Pour une révision réussie de la Constitution du Bénin sous le régime de Patrice Talon

Parmi les sujets d’intérêt national  qui font l’objet de légitimes préoccupations aujourd’hui au Bénin, la révision de la Constitution figure en bonne place et pour cause, il s’agit de notre loi fondamentale.Le mois de février s’est terminé à Dassa Zoumè avec un séminaire parlementaire ayant eu pour objet la préparation des travaux de la session extraordinaire qui s’annonce dans notre parlement à Porto Novo autour de douze points.

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Il s’agissait entre autres, de la proposition de loi relative à l’activité d’affacturage en République du Bénin, celle modifiant et complétant la loi no 2009-02 du 07 Août 2009 portant code des marchés publics et des délégations de service public en République du Bénin et la proposition de loi modifiant et complétant la loi no 2013-01 du 14 Août 2013 portant code foncier et domanial en République du Bénin. A ces lois il faut ajouter la proposition de loi portant code numérique en République du Bénin et celle fixant les conditions et la procédure d’embauche, de placement de la main d’œuvre et de résiliation de contrat de travail en République du Bénin sans oublier la proposition de loi relative au crédit-bail en République du Bénin et la proposition de loi portant régime général d’emploi des collaborateurs extérieurs de l’Etat en République du Bénin.

Bien que la révision de la Constitution ne figure nulle part dans cet ordre du jour très chargé de nos parlementaires, de nombreux observateurs visiblement préoccupés ont décelé dans cette initiative du gouvernement, une manœuvre destinée à préparer un hold-up parlementaire dans le processus de révision enclenché après l’élection du président Patrice TALON.

Pour que le processus de révision en cours actuellement au Bénin soit un véritable succès, il faut qu’un certain nombre de conditions soient réunies au nombre desquelles la dissipation des inquiétudes légitimes, le caractère inclusif du processus qui va garantir au consensus qui au Bénin a une valeur constitutionnelle, la plus grande largesse possible.

La principale cause des inquiétudes

L’une des sources majeures des inquiétudes des béninois se trouve dans l’article 155 de la Constitution du 11 décembre 1990 au terme duquel il a été prévu par le Constituant que « la révision n’est acquise qu’après avoir été approuvée par référendum, sauf si le projet ou la proposition en cause a été approuvé à la majorité des quatre cinquièmes desmembres composant l’Assemblée Nationale ».

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Sauf interprétation combinée de sa propre jurisprudence et d’autres articles par la Cour Constitutionnelle du Bénin pour des conclusions différentes, il ressort de cette disposition de notre loi fondamentale qu’en cas de vote du projet de révision de la Constitution par une majorité de 4/5 de nos 83 députés, il ne serait plus nécessaire d’interroger le souverain primaire c’est-à-dire le peuple par référendum.

Or, pendant sa campagne et même son élection le président Patrice TALON avait pris l’engagement de consulter le peuple avant la révision de la Constitution. Cette promesse qui semble ne pas tenir compte  des dispositions de l’article 155 de notre Constitution avait déjà suscité des interrogations au niveau des constitutionnalistes béninois. En effet, le recours au référendum n’intervient qu’en cas de défaut de la majorité des 4/5. C’est à croire que le président Patrice TALON présumait déjà qu’il ne réunirait pas la majorité des 4/5.

Quoiqu’il en soit la polémique a pris corps et continue de faire couler beaucoup de salive et d’encre aussi bien au niveau des débats relayés dans les journaux qu’au niveau des réseaux sociaux.

Pour Michel Adjaka, président du principal syndicat des magistrats béninois, « La seule alternative politique crédible et légitime pour réviser la constitution du 11 décembre 1990 est :

1) la recherche du consensus national,

2) la prise en considération du projet par son adoption à la majorité des 3/4 des députés composant le parlement,

3) le recours au référendum. »

Pour le magistrat, « toute autre option s’analyserait comme une confiscation de la souveraineté nationale par l’assemblée.

L’exiger n’est que rappeler au président de la République le respect d’un engagement électoral lorsqu’il affirmait au peuple qu’il ne révisera pas notre constitution à la l’assemblée nationale quelle que soit sa majorité ».

Se prononçant sur  le sujet, le Professeur Victor TOPANOU,déclare« Emprunter la souveraineté au peuple, c’est anti-démocratique» et l’ancien garde des sceaux de renchérir, « il faut laisser le choix au peuple de reconduire ou non son président».

Pour l’avocat Maitre Sadikou ALAO, le processus de révision en cours serait clandestin et serait en train d’être mené sans débat démocratique en catimini et en cachette. Selon l’avocat connu pour être un des acteurs majeurs de la société civile béninoise, les évènements ayant conduit à la désignation de l’actuel président de l’Assemblée National Maitre Adrien Houngbédji dont certains aspects et non des plus reluisants ont été révélés à tous les Béninois, sont la preuve que des votes peuvent être vendus ou achetés au parlement au Bénin. Tout le monde a vu le recours suspect à des procurations en vue de garantir une orientation donnée au vote en cours. Cette méthode qui a cours ailleurs mais qui est aussi pratiquée au Bénin, porte en elle le vice d’exclure toute opinion du citoyen.

Quand on applique cette triste pratique à la révision de la Constitution, l’affaire devient une affaire de jeu d’intérêt entre les 83 députés et la parole est ainsi arrachée au peuple. Ce qui est  tout sauf normal.

Le rôle déterminant de l’arbitrage de la cour constitutionnelle

Une des questions fondamentales qui se pose actuellement est de savoir ce qu’il adviendrait si le projet porté par le président Patrice TALON était voté à la majorité des 4/5. Tout le monde est en train de réclamer le référendum mais personne n’a l’air de souligner que le mandat de 5 ans renouvelable une seule fois (contenu dans le projet du Président Patrice TALON) est exclu des questions pouvant faire l’objet de référendum par la loi N° 2011-27 du 18 janvier 2012.

Aux termes des dispositions de cette loi organique qui reprend en son article 4 alinéa 4, l’article 155 de la Constitution béninoise, le recours au référendum n’est possible qu’en cas de vote préalable  d’une proposition ou d’un projet de modification de la Constitution à la majorité des 2/3 (voir article 154 de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990).

Il ressort de tout ce qui précède mais aussi de la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle du Bénin qu’en principe, avec un consensus national et une majorité des 4/5 des 83 députés le projet de modification de la modification de la Constitution porté par le président Patrice TALON peut se passer du référendum pour prospérer.

En effet, quand on se réfère à l’histoire constitutionnelle de notre pays, on peut retenir qu’en 2003, les députés avaient testé la révision institutionnelle sans référendum de notre constitution avec une proposition pour porter leur mandat de 4 à 5 ans. La cour constitutionnelle, au motif que leur démarche n’a pas obtenu le consensus, principe à valeur constitutionnelle issue de la conférence nationale, avait déclaré le texte voté contraire à la constitution.

L’interprétation de la Cour Constitutionnelle semble donc indispensable pour savoir si le projet de révision de notre Constitution porté par le Président Patrice TALON, au cas où  il venait à être voté à la majorité des 4/5 a fait l’objet d’un consensus national. Toute l’inquiétude ne se trouve t-il pas à ce niveau ? Dans la décision de la Cour en 2003, il était question d’une proposition de loi. Dans l’actuel processus il s’agit d’un projet du président élu et de son gouvernement. Le consensus tel que la Cour Constitutionnelle l’avait analysé avec la proposition de révision des députés, sera-t-il perçu de la même manière que dans le cas du projet de révision de Patrice TALON ? Que recouvre réellement ce consensus et comment est il réalisé le plus largement possible ? En attendant l’éventuel arbitrage de la Cour Constitutionnelle, chacun semble avoir sa réponse à cette question.

Toutefois, cette question n’est pas la seule cause de préoccupation. En dehors de cette question d’interprétation de la Cour Constitutionnelle, la modification de la Constitution envisagée par le Président Patrice TALON suscite des préoccupations pour d’autres raisons.

Poser les préalables indisponibles pour une révision réussie

Dans une tribune datée du 10 Avril 2012 et intitulée « les 10 raisons pour ne pas réviser la Constitution », le président de Commission ayant eu pour mission de plancher sur les propositions pertinentes à introduire dans la prochaine révision constitutionnelle, le Professeur Joseph DJOGBENOU agrégé des facultés de droit avait dénoncé la démarche exclusive adoptée par le président Boni YAYI et souligné l’opacité de la procédure caractérisée par l’absence du texte sur le site du gouvernement.

En dépit du fait que le gouvernement de Patrice TALON brille depuis son entrée en fonction par une communication parfois en temps réel avec des infos réactualisées qui apparaissent régulièrement sur le site du gouvernement, personne à ce jour n’a encore eu l’occasion de lire le texte qui sera soumis à nos parlementaires. Et pourtant, parlant de la nécessité d’associer les citoyens, le professeur Joseph DJOGENOU avait déclaré en avril 2012qu’ «Il est rarement arrivé dans une démocratie que l’on engage une réforme constitutionnelle en s’aliénant les intelligences de celles et ceux dont on ne partage pas les vues. Cette méthode de communication renforce le sentiment de perplexité et d’inquiétude sur les véritables enjeux de la révision projetée ». Pour le Professeur agrégé des facultés de droit, le projet du président Boni YAYI était « introuvable ».

Curieusement, alors même que le  projet de révision du président Patrice TALON qui portera le sceau de la commission DJOGBENOU est tout aussi  »introuvable »pour l’heure que celui de Boni YAYI à l’époque, le chargé de communication de la Présidence de la République affirme ouvertement sur l’émission ‘carte sur table’, ce 12 mars 2017 qu’il n’y pas d’exigence de publication préalable du projet de loi portant révision de la Constitution.

A tout ceci il faut ajouter le fait que l’absence du projet de révision à l’ordre du jour de la prochaine session de l’Assemblée Nationale n’ait pas empêché le ministre de la justice garde des sceaux d’affirmer que le mois de mars sera celui de la révision de la Constitution. Comment comprendre cette déclaration surtout quand on sait que matériellement il semble désormais impossible de faire adopter le projet au cours du mois de mars 2017 ?

Il faut que le projet soit examiné par la commission des lois, soit débattu avant d’être voté. Au cas où la majorité des 4/5 n’est pas atteinte, il faudra aller au référendum et il faudrait dans ce cas que le oui l’emporte. Quand on prend tout ceci en compte, on se demande comment le ministre de la justice sait il déjà que le mois de mars 2017 sera celui de la révision ?

Tous ces éléments ne sont pas de nature à rassurer.

De la nécessité de rassurer et du comment rassurer pour la réussite du projet

Face à tout ce qui précède, on est en droit de se demander si les exigences décrites par le garde des sceaux en avril 2012 à propos de révision de la constitution (dont certaines doivent s’appliquer à toute révision) sont aujourd’hui réunies ? Nous sommes aujourd’hui à l’ère des nouvelles technologies de l’information et de la communication.

Pourquoi ne pas publier le texte du projet sur le site du gouvernement exactement comme ce fut le cas pour le PAG ? Pourquoi ne pas initier des sondages sécurisés en ligne pour jauger de l’appréciation des citoyens surtout au sujet de certaines options du projet comme le mandat unique par exemple ?

C’est logiquement ce à quoi on pouvait s’attendre, mais au lieu de cela, nous sommes invités à suivre les débats certes, démocratiques qui auront lieu au parlement mais qui sont un peu mis en doute en raison des soupçons d’achat de conscience de certains députés impliqués dans des scandales de malversation financière. Ces soupçons justifiés ou non, ne datent pas d’aujourd’hui. En effet, de nombreux citoyens s’imaginent que depuis le régime de KEREKOU, des valises d’argent ou des promesses de nomination sont utilisées par l’exécutif pour obtenir le vote des lois au cas où ce dernier ne dispose pas d’une majorité confortable au parlement.

Dans un contexte pareil fait de rumeurs colportées sur internet et parfois dans certains média, n’est il pas plus justifié de rassurer le souverain primaire en publiant le projet pour susciter le débat ? N’est il pas justifié de prendre des initiatives de sondage des populations ? A défaut de référendum (si la majorité des 4/5 arrivait à être atteinte), ne peut-on pas saisir cette occasion de révision de notre contrat social pour écouter par divers moyens tout le monde, y compris des institutions comme le parlement des jeunes, les organisations de la société civile, les rois et chefs traditionnels ?  Chacun aura sa réponse à cette question.

A la question « est ce que la Constitution du 11 décembre 1990 est-elle parfaite ? », Le Professeur Joel Aïvo agrégé des facultés de droit, après avoir répondu par la négative, ajoute sur les conditions de la révision « qu’il faut rappeler à tous ceux qui peuvent en parler et à tous ceux qui en parlent que la révision de notre Constitution est un acte extrêmement grave. Il ne s’agit pas de la ratification d’un accord de prêt. Il ne s’agit pas de la ratification d’un don. Il ne s’agit pas non plus de l’adoption de la loi des finances… C’est la révision d’une Constitution qui a apporté à notre pays 26 ans de stabilité. Il faut sensibiliser tous ceux qui en parlent. Il faut qu’ils sachent que c’est un acte extrêmement grave qui doit se faire dans la mesure, sans remettre en cause l’équilibre de l’architecture. C’est fondamental… Il faut que la main qui veut la toucher, soit une main sage, et que le processus soit visible et participatif ».

En tout état de cause, comme le diraient Robert DE FLERS et Gaston de CAILLAVET, « la démocratie est le nom que nous donnons au peuple chaque fois que nous avons besoin de lui ».Quel est le nom à donner à un système lorsqu’on n’a pas besoin du peuple ?

Pour Edouart HERRIOT, « la démocratie est une bonne fille, mais pour qu’elle soit fidèle, il faut faire l’amour avec elle tous les jours ». En remplaçant démocratie par pouvoir du peuple, il devient alors facile de comprendre quelque soit le régime, qu’il faut interagir avec le peuple, c’est le seul gage pour la réussite d’un projet aussi capital que la révision de la loi fondamentale.

 

Aldrice Aubert DJAKPO ( Juriste )

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