Proposition de loi portant recueil du renseignement: Menaces sur la république

Au cours d’une imminente session parlementaire, les députés étudieront plusieurs propositions de loi. C’est la raison d’être du séminaire parlementaire en cours à Dassa. 

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Parmi ces propositions supposées, il y en a une qui attire l’attention déjà par son nom. Il s’agit d’une proposition de loi portant recueil du renseignement. Le document dont notre rédaction a réussi à avoir copie, ne dissipe guère nos inquiétudes. Au contraire, à sa lecture, on se rend bien compte que le souci de son initiateur et des sponsors politiques, est d’installer au Bénin un régime policier où les espionnages et les écoutes téléphoniques de paisibles citoyens, seront désormais légalisés et les auteurs d’éventuelles exactions bien protégés par la loi.

Parmi les propositions de loi prévues pour être étudiées lors de cette session, il y a cette fameuse proposition de loi portant recueil du renseignement au Bénin. Le sujet sur lequel porte cette proposition ainsi que son auteur, n’ont pu nous laisser indifférents. Elle est à l’initiative encore supposée de Nassirou Arifari Bako, député Fcbe , ancien président de la (Commision Politique de Supervision de la Lépi ),en abrégé : Cps-Lépi  , ancien ministre des Affaires étrangères du président Boni Yayi.

Professeur de sociologie à l’université,  on ne lui connaît pas une expertise militaire ni sécuritaire. Et c’est pourquoi on se demande si Bako ne porte pas la voix et les intérêts du gouvernement actuel qui, habilement, passe par des députés pour faire passer ses propres lois pour éviter le détour de la cour suprême imposé à tout projet de loi. Car, la sécurité et les renseignements, bien qu’ils fassent partie intégrante des préoccupations d’ordre national, ne devraient pas être une priorité dans le contexte actuel, où la misère ronge dangereusement les populations.

Dans les justificatifs de la loi, Nassirou Arifari Bako affirme pourtant une bonne intention, celle d’encadrer juridiquement l’activité de recueil de renseignement. Mais à la lecture de cette proposition de loi assez concise de 19 articles, on se rend compte que cette loi saute tous les verrous sur la protection des données individuelles et les droits de l’homme. Elle officialise l’espionnage et les mises sur écoute. En somme, elle va instaurer un régime policier où le secret de la correspondance et des communications, pourtant garanti par la constitution,sera légalement violé.

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Désormais dans notre pays, on peut mettre qui on veut sur écoute, une fois que le coordonnateur des renseignements en juge de l’utilité. Cet agent, rappelons-le, est nommé directement par le Chef de l’Etat, et lui rend compte. La menace la plus grave se trouve dans l’article 11 de cette loi, « N’est pas pénalement responsable l’agent des organismes désignés à l’article 3 qui, en recueillant des renseignements conformément aux dispositions de la présente loi, commet des faits susceptibles de constituer des infractions pénales. Ces faits doivent toutefois être strictement nécessaires à l’accomplissement de ses missions ».

Cet article ouvre royalement la voie à toutes les exactions et persécutions. Il suffit pour le service en charge du recueil des renseignements, de décider de mettre n’importe qui sur écoute pour une des raisons évoquées à l’article 2, ou même de décider de prendre son ordinateur ou son téléphone portable, et cela sera fait sans aucun problème. La loi l’y autorise et le blanchit pour tout ce qu’il fera pour avoir les renseignements nécessaires. Pour cette cause de recueil de renseignement, l’agent habilité peut violenter, insulter, voler, espionner voire tuer, il ne sera jamais poursuivi.

Une disposition qui rappelle étrangement les dispositions de la loi américaine qui accorde l’immunité et l’impunité aux soldats américains auteurs d’exactions voire de crimes de guerre dans les zones de conflit. L’article 16 est sans appel. Il facilite les choses, puisqu’il fait obligation à l’Arcep et aux responsables des réseaux de téléphonie, de faciliter les écoutes aux agents de renseignement. On se demande finalement depuis quand les Béninois sont devenus aussi menaçants pour la sécurité de leur pays et de leur gouvernement, pour mériter autant de tracasseries!? L’épée de Damoclès plane sur la tête des hommes politiques, des opposants, des syndicalistes, des journalistes et des acteurs de la société civile, une fois qu’ils tiennent des propos « jugés » durs contre le régime.

On est averti. Et tout le monde sait qu’un homme averti en vaut deux ! 

Lire l’intégralité de la proposition de loi ci-dessous

PROPOSITION DE LOI

REPUBLIQUE DU BENIN

ASSEMBLEE NATIONALE

LOI N° …. DU …………….. .

Portant recueil du renseignement

L’Assemblée Nationale a délibéré et adopté en sa séance du………………………….. .

Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit:

CHAPITRE 1: DISPOSITION GENERALES

Article 1er : Le secret des correspondances et le respect de la vie privée sont  garantis par la loi conformément aux articles 20, 21 et 98 deuxième alinéa de la Constitution du 11 décembre 1990.

Il ne peut être porté atteinte à ce secret que par l’autorité publique, dans les seuls cas de nécessité d’intérêt public prévus par la présente loi et dans les limites fixées par celle-ci.

Article 2: Peuvent être autorisées, à titre exceptionnel, sur décision du Président de la République, dans les conditions prévues au chapitre II, les techniques’ de renseignement ayant’ pour objet de rechercher des renseignements intéressant :

l’indépendance nationale, l’intégrité et la sécurité du territoire ainsi que  la défense nationale;

la prévention du terrorisme;

la prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions et des  violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix  publique;

les intérêts majeurs de la politique étrangère, l’exécution des  engagements internationaux du Bénin et la prévention de toute forme  d’ingérence étrangère;

la criminalité et la délinquance organisée.

L’autorisation peut concerner toute personne pour laquelle il existe des raisons sérieuses de croire que l’interception de ses communications est susceptible de permettre de recueillir des informations au titre des finalités précitées.

Article 3: Les organismes autorisés à recourir aux techniques de  renseignement sont désignés par décret.

CHAPITRE II : PROCEDURES APPLICABLES

Article 4: Les techniques de recueil de renseignement sont soumises à l’autorisation préalable du Président de la République qui est assisté par le coordonnateur national du renseignement, qu’il nomme par décret.

Article 5 : Les demandes de mise en œuvre de ces techniques sont exprimées par écrit, et motivées par les organismes désignés conformément à l’article 3, auprès du coordonnateur national du renseignement. Il arrête sa décision dans un délai fixé par décret.

Article 6 : Chaque demande précise:

– l’organisme pour laquelle elle est présentée;

– la ou les finalité(s) poursuivie(s) ;

– le ou les motif(s) des mesure(s) ;

– la ou les personne(s) concernée (s). Si leur identité n’est pas connue, elles  peuvent être désignées par leurs identifiants techniques ou leurs  fonctions.

Les demandes de renouvellement d’une autorisation précisent également les  raisons pour lesquelles ce renouvellement est justifié.

Article 7: Les autorisations d’interception sont accordées pour une durée  maximale de quatre mois. Elles cessent de plein droit à l’expiration de ce délai.

Elles sont renouvelables dans les mêmes conditions de forme et de durée.

Ces demandes et autorisations sont enregistrées par le coordonnateur national du renseignement.

CHAPITRE III: DES RENSEIGNEMENTS COLLECTES

Article 8 : Seuls les renseignements en relation avec l’un des objectifs énumérés  à l’article 2 peuvent faire l’objet d’une exploitation. Cette exploitation est effectuée par les personnels spécialement habilités.

Article 9: Le coordonnateur national du renseignement, sous l’autorité du Président de la République, organise la traçabilité des interceptions et définit les modalités de la centralisation des renseignements collectés.

Article 10: Les renseignements collectés par la mise en œuvre d’une technique de renseignement sont archivés sous l’autorité du coordonnateur national du renseignement qui peut décider, le cas échéant, de leur destruction.

Article 11 : N’est pas pénalement responsable l’agent des organismes désignés à l’article 3 qui, en recueillant des renseignements conformément aux dispositions de la présente loi, commet des faits susceptibles de constituer des infractions pénales. Ces faits doivent toutefois être strictement nécessaires à l’accomplissement de ses missions.

CHAPITRE IV : DE L’ORGANISME CHARGE DE RECEVOIR LES DEMANDES DE MISE EN ŒUVRE DES TECHNIQUES DE RENSEIGNEMENT

Article 12: Le coordonnateur national du renseignement est directement rattaché au Président de la République.

Il a pour missions de :

centraliser les demandes de mise en œuvre des techniques de renseignement présentées dans les conditions prévues à l’article 5 et de les soumettre au Président de la République;

veiller à leur mise en œuvre;

veiller au respect des délais de conservation et de destruction des renseignements collectés.

Il présente, au minimum une fois par an, aux membres habilités de la commission en charge de la défense de l’Assemblée Nationale, un rapport des activités des organismes de renseignement.

CHAPITRE V: DES OPERATEURS DE COMMUNICATION

Article 13: Pour les finalités énumérées à l’article 2, peut être autorisé le  recueil, auprès des opérateurs de communications, des informations ou  documents traités ou conservés par leurs réseaux ou service de  communications, y compris les données techniques relatives à l’identification  des numéros d’abonnement ou de connexion à des services de communications, au recensement de l’ensemble des numéros d’abonnement ou de connexion d’une personne désignée, à la localisation des équipements terminaux utilisés ainsi qu’aux communications d’un abonné portant sur la liste des numéros appelés et appelants, la durée et la date des communications.

Article 14: Les opérations matérielles nécessaires à la mise en place des interceptions dans les locaux et installations des organismes placés sous l’autorité ou la tutelle du ministre en charge des télécommunications ou de l’autorité de régulation des communications électroniques et de la poste, des exploitants de réseaux ou fournisseurs de services de télécommunications autorisés ne peuvent être effectuées que sur ordre du Président de la République, par des agents qualifiés de ces services, organismes, exploitants ou fournisseurs da ns leurs installations respectives.

Les opérations matérielles nécessaires à la mise en place des interceptions sont à la charge des exploitants de réseaux ou fournisseurs de services de télécommunications.

Article 15: Les responsables de l’autorité de régulation des communications électroniques et de la poste, des exploitants de réseaux ou fournisseurs de services et leurs agents habilités pour effectuer les opérations matérielles nécessaires à la mise en place des interceptions doivent être employés depuis au moins deux ans dans leur organisme de tutelle et ne faire l’objet d’aucune condamnation pénale.

Ces mêmes responsables assurent la confidentialité des informations relatives à l’identité des agents qualifiés.

Article 16: L’autorité de régulation des communications électroniques et de la poste veille à ce que l’exploitant public et les autres fournisseurs de services de télécommunications autorisés prennent les mesures nécessaires pour assurer l’application des dispositions de la présente loi.

Article 17: La révélation de l’existence d’une interception est une atteinte au secret de la défense nationale punie d’un (01) an à cinq (05) ans d’emprisonnement et de cinq cent mille (500.000) à deux millions (2.000.000) FCFA d’amende.

CHAPITRE VI: RECOURS DEVANT L’AUTORITE JUDICIAIRE

Article 18: La chambre administrative de la Cour suprême est compétente pour connaître, en premier et en dernier ressort, du contentieux concernant la mise en œuvre des techniques de renseignement.

Les magistrats et les agents chargés d’instruire le recours doivent être habilités au secret de la défense nationale.

CHAPITRE VII: DISPOSITION FINALE

Article 19: la présente Loi qui abroge toutes les dispositions antérieures contraires, sera exécutée comme loi de l’Etat.

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