Réflexion sur les réformes politiques et institutionnelles: Contre la rupture constitutionnelle

Dans son discours d’investiture le 06 Avril 2016, le nouveau Président de la République, monsieur Patrice Talon a réaffirmé son ambition politique d’impulser sous son mandat à discrétion unique à la tête de l’Etat, une réforme profonde de l’organisation et du fonctionnement des institutions politiques, judiciaires et administratives du pays.

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Cette volonté de réforme politique et institutionnelle formalisée par le Conseil des Ministres du 26 Avril 2016 s’est traduite d’emblée par la mise en place d’une Commission chargée de la conduire par décret n° 2016-272 du 03 Mai 2016.

Installée le 06 Mai 2016, la Commission de trente-cinq (35) membres a achevé son travail dans un délai de trente (30) jours. Dans le rapport général adopté le 14 juin et présenté le 28 juin 2016 par le professeur Frédéric Joël AÏVO, il est écrit :

«  Le modèle de 1990 est quelque peu en crise. Crise de confiance du citoyen en l’Etat, crise de confiance du citoyen en les partis politiques, crise de confiance de la République en ses citoyens. Il s’agit d’une crise de la démocratie béninoise qui manifeste de plus en plus des signes de relâchement dans ses usages les plus cruciaux».

Selon la commission, les pistes de réformes susceptibles de trouver la solution à la crise de la démocratie béninoise et visant à améliorer le modèle politique béninois conformément aux options fondamentales de la conférence nationale de février 1990 porteront sur : «le mandat du Président de la République, la loi organique sur le pouvoir Exécutif, la Cour Constitutionnelle, la Cour Suprême…»

Il importe de rappeler que les propositions de réformes de la commission Djogbénouinterviennent dans le cadre de l’ordre constitutionnel en vigueur. L’Etat pluraliste constitutionnel béninois n’a pas changé. Il continue d’être comme il fut établi depuis le Renouveau Démocratique en 1990. L’ordre constitutionnel n’est donc pas aboli.

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Le « Nouveau départ » ne s’entend en conséquence pas de l’érection d’une nouvelle République, ni d’une révolution ou d’un coup d’état susceptible d’interpeller l’intervention d’un pouvoir constituant originaire.

Fondement du modèle politique béninois

Le modèle béninois n’a pas jailli de l’imaginaire des participants à la Conférence des Forces Vives de la Nation. Les raisons qui ont conduit au modèle actuel sont contenues dans le préambule de la Constitution du 11 Décembre 1990. Le raisonnement est en substance le suivant : « Nous devons tirer des enseignements de notre passé politique récent caractérisé par des luttes partisanes, des affrontements régionalistes et tribaux, des désordres de tous genres frisant l’anarchie et l’instabilité gouvernementale provoquée par des manœuvres politiciennes de trois ou quatre partis politiques qui se disputaient âprement le pouvoir et se partageaient la direction des tâches gouvernementales mais aussi par l’autoritarisme révolutionnaire du PRPB marxiste léniniste ».

Il est apparu alors qu’il faut un exécutif monocéphale avec un président à la fois élément d’unité et instrument d’efficacité. L’impératif d’unité  et de réconciliation nationale implique nécessairement la monopolisation du pouvoir exécutif par un seul organe, par un seul homme.

Le régime présidentiel, dans la mesure où il postule un exécutif monocéphale, apparaît d’abord comme un remède préventif à la déconfiture de l’appareil gouvernemental,  au pouvoir d’état et au coup d’état qui pourrait en résulter comme dans les années soixante de l’alliance et de la connivence des partis et des syndicats.

Sur le plan pré-constitutionnel, la Conférence des Forces Vives de la Nation a été un grand moment de l’historicité du processus d’institutionnalisation des pouvoirs publics sous l’étendard du Renouveau Démocratique.

Les grandes orientations politiques et les options fondamentales dégagées par la Conférence Nationale sont les principes fondateurs de la nouvelle et de l’actuelle société démocratique béninoise. Ces options constituent le pacte républicain fondateur du lien social et ont donné naissance au régime présidentiel actuel dans des circonstances qu’il importe de rappeler.

En effet, à l’instar des révolutionnaires français de 1789 qui ont proclamé leur souveraineté pour déposer le tiers Etat, la déclaration sur les objectifs et les compétences de la Conférence des Forces Vives de la Nation avait posé et affirmé la souveraineté de la conférence et sa suprématie sur les institutions de l’Etat ainsi que le caractère immédiatement exécutoire de ses décisions en recommandant l’élaboration d’une nouvelle Constitution.

A cette fin, la Commission des Lois et des Affaires Constitutionnelles est mise en place sous la présidence du professeur Maurice Ahanhanzo.Glèlè. Le rapport des travaux de cette commission qui a décliné les principes ou règles de la future constitution a retenu :

– le suffrage universel qui assure l’unique source de l’autorité légitime du Président de la République et des membres de l’Assemblée Nationale ;

– l’instauration d’un Etat de Droit et de pluralisme politique et démocratique ;

– la forme républicaine et la laïcité de l’Etat ;

– le mandat de cinq années renouvelable une seule fois ;

– la limite d’âge de 40 ans au moins et 70 ans au plus pour tout candidat à l’élection présidentielle ;

– le type présidentiel du régime politique au Bénin ;

– l’institution des mécanismes de contre-pouvoirs ;

– l’exigence du retour de l’armée dans les casernes.

Soumis au vote des participants à la Conférence des Forces Vives de la Nation, ce rapport fut adopté par 258 voix pour, 61 voix contre et 45 abstentions.

Le pacte républicain contenu dans ce rapport est le fondement même de la Constitution sociale entendue comme la somme des tendances ou aspirations légitimes du peuple. C’est cet ensemble de préceptes politiques, moraux et sociaux qui a été approuvé par la Conférence Nationale pour organiser fondamentalement l’agencement des pouvoirs publics et valoir dans le passé, le présent et pour l’avenir.

Au plan du droit positif, les options fondamentales de la conférence ont été confirmées et consacrées par la Cour Constitutionnelle dans la loi organique portant conditions de recours au référendum (Décision DCC 11-067 du 20 octobre 2011).

Ces options fondamentales sont ce qu’il y a de plus constant, de plus stable et de plus légitime dans la société politique béninoise. Elles constituent un bloc compact, cohérent et ses composantes sont nécessairement cumulatives de sorte qu’enlever un seul élément conduira inévitablement à sa remise en cause globale. C’est le socle indéboulonnable de la Constitution politique du Renouveau Démocratique. C’est l’idée de droit consacrée par la Cour Constitutionnelle dans la décision DCC-14-156 du 19 Août 2014.C’est l’image de l’ordre désirable selon l’expression de Georges BURDEAU. (Cours de Droit Constitutionnel et Institutions Politiques, Paris, 1966)

La consécration des options fondamentales dans le Droit positif béninois par la Cour Constitutionnelle revêt une portée considérable.

En effet, aux termes de l’article 124 al 2 «  les décisions de la Cour Constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles ». Il en résulte que l’Assemblée Nationale, comme toutes les autres institutions de la République est tenue d’appliquer la décision de la Haute Juridiction. Le pouvoir constituant dérivé doit s’incliner devant les décisions de la Cour Constitutionnelle et ne peut remettre en cause les options fondamentales de la Conférence Nationale, même par référendum.

C’est bien le sens qu’il convient de donner à ces options fondamentales : ce sont des clauses éternelles de la Constitution du 11 décembre 1990, insusceptibles de révision par le pouvoir constituant dérivé.

Il convient aussi de rappeler que les options fondamentales de la Conférence Nationale consacrées dans la décision DCC 11-06 du 20 octobre 2011 et réaffirmées dans les décisions DCC du 14-156 du 19 Août 2014 et DCC-199 du 20 Novembre 2014 s’imposent à la Cour Constitutionnelle elle-même.

Aucune réforme ne saurait donc remettre en cause les options fondamentales de la Conférence Nationale.

La Démocratie béninoise est –elle en crise ?

Selon la Commission chargée des réformes politiques et institutionnelles, la démocratie béninoise est en crise et cette crise se manifeste de plus en plus dans ses rouages les plus cruciaux. Elle se traduit parla suprématie de l’exécutif sur les deux autres pouvoirs (législatif et judiciaire).

Ce diagnostic n’est pas exact. Il y a certes une crise du système partisan mais la démocratie béninoise n’est pas en crise. On n’enregistre aucune remise en cause de la Constitution comme celle qui s’est abattue en 1989 sur la Loi fondamentale de 1977, ni aucune exaspération ou colère comme celles qui ont fait vaciller puis abattre le régime du PRPB. La Constitution ne porte une quelconque responsabilité dans les difficultés rencontrées sous le régime du gouvernement de Boni Yayi. Ce sont plutôt les comportements personnels de l’ex-président qui ont induit des critiques légitimes.

C’est la première fois dans l’histoire de notre pays depuis son accession à l’indépendance le 1er Août 1960 que nous avons une Constitution avec une durée aussi longue. La Constitution béninoise a vingt-six (26) ans. Elle a permis d’organiser sept (07) élections législatives, six (06) élections présidentielles avec quatre (04) alternances au pouvoir en 1991, 1996, 2006 et 2016 et deux (02) élections municipales.

Le régime institué par la Constitution du 11 Décembre 1990 reste solide dans ses fondements et demeure respecté par l’ensemble des Béninois.

La constitution du 11 décembre  1990 a institué un mandat de 4 ans renouvelable indéfiniment pour les députés et un mandat de cinq (05) ans renouvelable une seule fois pour le Président de la République.

En optant pour le quadriennal parlementaire, le constituant de 1990 a trouvé remède à l’épineux problème de la combinaison entre un exécutif puissant et stable et une liberté effective incarnée par le parlement dans toute démocratie.

Le constituant a fait preuve d’innovation en abandonnant volontairement le mandat de cinq ans constamment reconduit pour l’élection des députés par les anciennes constitutions de 1959, 1960, 1964, 1968 et la Loi Fondamentale du 26 Août 1977 après la révision du 06 mars 1984.

Le pouvoir exécutif sous le Renouveau Démocratique n’a pas toujours été hégémonique. Le sentiment d’hégémonie est cyclique. Il tient à la rencontre de la majorité présidentielle avec la majorité parlementaire consécutive au couplage des deux grands scrutins politiques, avec moins d’un an de décalage au maximum, la dynamique de la victoire de l’un influant l’autre.

Avec le quadriennal parlementaire et le quinquennat présidentiel, les élections législatives et présidentielles n’auront lieu la même année qu’une fois tous les vingt (20) ans. C’est ce qui s’est passé en 2011 et s’est traduit par la même majorité au Parlement et au sommet de l’exécutif. Il s’agit donc d’une situation conjoncturelle qui se produit tous les vingt (20) ans. Elle ne nécessite pas une réponse structurelle.

Présidentialiste dans sa structure et unipersonnel dans son fonctionnement, l’exécutif dans la Constitution du 11 décembre 1990 oscille entre un présidentialisme de type américain affaibli par les contre-pouvoirs et un présidentialisme de type latino-américain.

C’est ce qui s’est passé sous le premier gouvernement du Président Soglo et dans une large mesure sous le premier gouvernement du Président Kérékou. Mais à partir de 2001, sous le deuxième quinquennat du Général Kérékou la transhumance des députés est venue fausser le jeu des contre-pouvoirs et affaibli le contrôle des députés devenus caisse de résonnance du pouvoir exécutif.

En 2011, sous le second mandat du Président Boni Yayi et avec le couplage de l’élection présidentielle et des élections législatives la même année, le gouvernement a viré vers un présidentialisme de type latino américain n’admettant plus de frein à son développement.

Le caractère et le tempérament de chaque Président de la République, ses habitudes, ses manières de faire, son style, ses espoirs déterminent et modèlent sa Présidence et imprègnent l’appareil gouvernemental.

La coïncidence de la même majorité à l’exécutif et à l’Assemblée Nationale ne constitue pas une crise de la démocratie béninoise. Cela n’autorise pas la modification du mandat de Président de la République institué par l’article 42 de la Constitution du 11 Décembre 1990.

Abordons certains points de la Réforme Djogbénou

1) La loi organique sur le Pouvoir Exécutif

La Commission propose l’adoption d’une loi organique sur l’exécutif.

Selon le lexique des termes juridiques (Dalloz.2015), la loi organique est celle  votée par le Parlement pour préciser ou compléter les dispositions de la Constitution. Elle est différente des lois ordinaires tant par sa procédure d’adoption, avec une majorité absolue que par sa position hiérarchique en ce sens qu’elle est immédiatement située en dessous de la Constitution et placée au-dessus des lois ordinaires.

Selon la Commission, la prise en compte de cette loi permettrait d’organiser le pouvoir exécutif. La démonstration n’est pas convaincante car non seulement aucun texte fondamental n’est en mesure de régler par le détail, le cadre juridique du pouvoir exécutif, mais encore, l’intervention du législateur organique plus aisée que le pouvoir constituant vise à rendre la Constitution flexible. Cela revient à consacrer la possibilité de modifier, « d’amender » en tout moment des dispositions de la constitution sans devoir passer par la procédure de révision des articles 154 et 155 de la Constitution.

Notre jeune démocratie dont la sacralité de la loi fondamentale est l’un des éléments fondateurs du lien social ne saurait s’accommoder de ce principe de malléabilité de sa constitution. La loi organique vise tout simplement à introduire dans notre Constitution la procédure d’amendement, c’es-à-dire de complément comme dans la constitution américaine. En définitive, la loi organique sur l’exécutif n’est ni plus ni moins qu’un moyen savant de contournement des modes traditionnels de révision de la Constitution par les pouvoirs constitués.

2) La Cour Constitutionnelle

Selon la commission, le problème de l’indépendance des membres de la Cour Constitutionnelle pourrait être résolu au moyen d’un savant dosage qui met davantage l’accent sur le profil professionnel et technique des candidats à la fonction de juge constitutionnel et sur leur mandat.

La commission avance deux propositions :

  1. Faire désigner une partie des membres de la Cour Constitutionnelle par le corps des magistrats, le corps des avocats et le corps des professeurs de droit et de science politique en assemblée générale, à raison de deux (02) par collège.
  1. Instituer pour les membres de la Cour Constitutionnelle, un mandat unique de neuf ans renouvelable par tiers.

Les propositions de la commission vont, non seulement à contre sens de l’histoire, mais surtout elles attestent de la volonté de rompre et de détruire tout ce qui ne provient pas du « Nouveau Départ ».

Le titre V de la Constitution du 11 décembre 1990 relatif à la Cour Constitutionnelle est l’une des parties qui ont suscité de très vives discussions lors de la popularisation de l’avant-projet de ladite Constitution. Il en est ainsi parce que c’est la première fois dans notre histoire que la Constitution attribue la connaissance du contentieux constitutionnel à un organe juridictionnel spécialisé détaché de l’appareil judiciaire et indépendant de toute autre autorité étatique.

Dans l’avant-projet de la Constitution de 1990, l’article 51 a laissé au chef de l’Etat le redoutable privilège de nommer les sept (07) juges membres de la Cour Constitutionnelle.

Ce dispositif était rattaché au système américain où le Président des Etats-Unis désigne seul les neuf (09) juges de la Cour Suprême après avis et consentement du Sénat.

Lors de la popularisation, plus de quarante pour cent (40%) des propositions ont porté sur la Cour Constitutionnelle. La majorité des consultés ont proposé un système qui attribue à part égale, la nomination au Président de la République et au Président de l’Assemblée, ou à la plénière de l’Assemblée Nationale. La majorité des consultés ont préféré la nomination par ces deux autorités (la Gazette du Golfe, 16 juillet 1990).

Lors des discussions au HCR, le choix du bureau de l’Assemblée Nationale comme autorité de désignation a été retenu. Ce choix apparaît comme une solution intermédiaire excluant la nomination par le seul président de l’Assemblée Nationale et l’élection par le plénum de l’Assemblée.

L’autorité et l’acceptation du rôle d’une juridiction constitutionnelle dépendent de sa représentativité au sein du système politique qu’elle a pour mission de réguler.

Sous sa forme actuelle, l’organisation de la Cour Constitutionnelle obéit à la double nécessité de favoriser sa légitimation par l’ensemble des acteurs politiques et de garantir son indépendance fonctionnelle vis-à-vis des autres organes constitutionnels.

Comme en France et dans la plupart des pays européens, les juges constitutionnels procèdent exclusivement d’autorités politiques dérivant du suffrage universel, desquels ils tiennent leur légitimité démocratique.

La Cour Constitutionnelle béninoise est conçue comme une arme contre la déviation du régime présidentiel et pour la sauvegarde de la séparation des pouvoirs.

La proposition de désignation par les pairs revient à conférer aux membres de la Cour Constitutionnelle une autre légitimité. La conséquence d’une telle disposition est de voir émerger une logique d’intérêts corporatiste rondement défendus par les syndicats majoritaires.

Le syndicat majoritaire des magistrats pourrait influencer la désignation des membres de la Haute Juridiction.

En ce qui concerne les professeurs de droit, membres désignés à la haute juridiction, la conséquence serait la même que le corps des magistrats, à savoir une désignation déterminée par l’influence des réseaux de syndicats et en tant que cela, procéder d’une légitimité syndicale totalement corporatiste.

En distribuant le pouvoir de nomination des membres de la Cour Constitutionnelle entre les organisations professionnelles, on court le risque de les instrumentaliser.

L’indépendance de la juridiction constitutionnelle ne procède pas des nominations des membres par les pairs (magistrats, avocats, professeurs de droit). Ce mode de désignation par les pairs n’est pas une nouveauté. Il a déjà été pratiqué au Togo dans la constitution de 1992 sans que cela n’ait aucune  influence positive sur la justice constitutionnelle. En effet, les corps professionnels font l’objet de récupération politique.

En 2002, le Togo a d’ailleurs renoncé à ce mode de désignation et est revenu à la désignation par les autorités représentatives.

Le modèle béninois a fait ses preuves et mérite donc d’être conforté et non remis en cause.

3) La Cour Suprême

Selon la commission Djogbénou, il est possible d’accroître l’indépendance de la justice en agissant sur la Cour suprême … par le mode de désignation de son président. A cet effet, la commission propose que :

1- le Président de la République ne nomme plus le Président de la Cour Suprême ;

2- le Président de la Cour Suprême soit élu par les magistrats en fonction dans l’ordre judiciaire réunis en Assemblée Générale.

Dans les grandes démocraties (Etats-Unis, France, Canada), il appartient toujours au Chef de l’Etat ou au Premier Ministre de nommer le Président des instances juridictionnelles (Cour Suprême, Tribunaux de districts aux Etats-Unis ; Conseil d’Etat, Cour de Cassation en France). Une étude comparative révèle que dans les pays africains qui ont des Cours Suprêmes, (Afrique du Sud, Burkina-Faso, Cameroun, République Centrafricaine, Côte-d’Ivoire, République Démocratique du Congo, Gambie, Guinée, Kénya, Mali, Niger, Togo, etc.), le Président de la Cour Suprême n’est pas élu par ses pairs. Il est toujours nommé par le Président de la République.

L’Italie a fait l’expérience d’une véritable « révolution judiciaire dans les années 1980 en coupant tout lien institutionnel des juges italiens avec le système politique et en démantelant toute contrainte hiérarchique rendant le juge italien plus libre et plus indépendant. Cette situation a conduit les juges à mettre en place un réseau avec la mafia.

Dans le contexte béninois marqué par la corruption dans le milieu judiciaire, la déconnexion avec l’Etat pourrait conduire à une situation similaire à celle de l’Italie.

Réformer l’organisation judiciaire dans le droit filde la réforme impulsée par la commission Djogbénou, c’est dépouiller l’Etat de l’une de ses prérogatives régaliennes et mettre le président de la Cour Suprême sous l’influence du réseau des syndicats des magistrats.

Le préambule de la Constitution du 11 décembre 1990 rappelle : le Dahomey, puis le Bénin ont connu une vie politique et constitutionnelle agitée. Et malgré cela, de 1959 à ce jour, la République n’a jamais été remise en cause : « seule est restée pérenne l’option en faveur de la République ».

Dans le même ordre d’idées, certaines clauses constitutionnelles ont traversé le temps, dont cellede la nomination du Président de la Cour Suprême par le Président de la République (Constitutions de 1959 ; 1960 ; 1964 ; 1968 et la Loi fondamentale de 1977). On peut donc en déduire que cette clause n’est pas seulement une option fondamentale de la Conférence Nationale. La nomination du Président de la Cour Suprême par le Président de la République est une clause constitutionnelle pérenne au Bénin.

La nomination par le Président de la République confère au Président de la Cour Suprême, une onction de légitimité pour agir, laquelle légitimité découle de la légitimité du chef de l’Etat. Le Président Nicéphore SOGLO aimait bien rappeler qu’il était le seul élu de la Nation.

Le véritable problème qui se pose aujourd’hui est d’organiser le système judiciaire béninois pour assurer la nécessaire indépendance des juges dans l’exercice de leur fonction. Celui qui a choisi cette fonction doit faire preuve d’indépendance  par rapport aux réseaux de relations diverses : politique, sociale, philosophique, religieuse etc. C’est plus un problème d’aménagement technique, de garantie, de garde-fou qu’une question d’élection par les pairs.

Cet aménagement par le haut ne pourra pas assurer l’indépendance du pouvoir judiciaire. Il faudra  sortir du cadre actuel et ouvrir le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) sur l’extérieur et non plus en faire un organe exclusivement dominé et contrôlé par les magistrats. Dans cet organe, le Président de la République, le Bureau de l’Assemblée Nationale nommerait chacun, un tiers des membres parmi les hommes et femmes d’expériences qui se sont distingués depuis longtemps par leur droiture d’esprit et dont les compétences sont unanimement appréciées au cours d’une vie professionnelle de plusieurs dizaines d’années.

La volonté d’éviter que ne se renouvelle et se perpétue dans le milieu judiciaire, la corruption, ne réside pas dans l’élection du Président de la Cour Suprême par les magistrats mais dans la structure qui garantirait l’indépendance de la magistrature : à savoir le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM).

Notre Constitution n’est pas un pacte de suicide collectif. Elle n’est donnée ni par Dieu ni octroyée par un monarque, ni révélée par un prophète. Elle est le produit de la volonté du peuple béninois libre.

Le préambule et l’article 3 al 2 de la Constitution énoncent que celle-ci  est la loi suprême de l’Etat. En tant que telle, tous les pouvoirs institués par elle doivent s’y soumettre.

Notre Constitution n’est donc pas immuable. On peut la réviser mais seulement selon la forme qu’elle a elle-même prévue et dans le respect des options fondamentales de la Conférence des Forces Vives de la Nation consacrées par la Cour Constitutionnelle.

Le socle de notre Etat de droit, c’est notre Constitution. C’est elle et elle seule qui doit commander nos démarches.

 

Arèmou Ogoudédji

Constitutionnaliste

Enseignant à l’Université d’Orléans

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