Avec l’avènement d’un nouveau régime donc, les Béninois ont nourri le rêve d’une rupture. Rupture d’avec les pratiques du Yayisme.En mars 2016, lorsque le doute sur la tenue à bonne date de l’élection présidentielle a été levé avec la distribution effective des cartes d’électeurs sur toute l’étendue du territoire national, nombre de Béninois ont soupiré à l’idée d’en finir définitivement avec le régime Yayi.
Lorsqu’au soir du 1er tour de cette élection, le K.O. chanté par les partisans de Lionel Zinsou n’a pas eu lieu, le sentiment que c’en sera vraiment fini avec Yayi s’est renforcé. Car, pour beaucoup, Zinsou n’est qu’un prolongement du système « Yayi ».
Un système Yayi qui portait les défauts de l’improvisation et donnait le sentiment d’un pilotage à vue au sommet de l’Etat. C’est qu’avec Yayi, les Béninois ont déchanté au fil des ans.
Porté au pouvoir en 2006 avec l’espoir pour des milliers de Béninois de tourner dos à la politique politicienne qui dure depuis des décennies et amorcer véritablement le développement du pays, Yayi s’est révélé un mauvais choix pour le Bénin. Talon, alors sponsor de ses deux campagnes a lui-même parlé de « mauvais casting » !
Il était reproché au système Yayi une gouvernance caractérisée par des dérives et déviances jugées non démocratiques ; une politique populiste émaillée de combines, de compromissions, de corruption et de malversations.
Avec l’avènement d’un nouveau régime donc, les Béninois ont nourri le rêve d’une rupture. Rupture d’avec les pratiques du Yayisme. Surtout, les jeunes ont nourri l’espoir de retrouver un emploi. La ménagère s’attendait à voir son panier bien garni. Il se raconte même que de nombreux électeurs ont porté leur choix sur Talon parce qu’il serait détenteur d’un conteneur dans lequel se trouverait le trésor du guide libyen, feu Mouammar Kadhafi. Pour ces électeurs, le trésor du fameux conteneur injecté dans l’économie béninoise changerait la vie des béninois dès les premiers mois et placerait notre pays au rang de pays développé.
Mais, après moins d’un an règne de Talon, on note comme un sentiment général de désenchantement. Les griefs contre le régime Talon sont multiples et s’enchaînent comme des perles. Impatience ou insatisfaction justifiée ? La réalité est que ça grogne dans le pays ! D’un individu à l’autre, les plaintes et complaintes sont diverses ; mais se rejoignent à peu près. Tous soutiennent que le Peuple a faim ; que la pauvreté s’accroît et que le bout du tunnel est encore loin ou ne se dessine pas.
« (…) le pays n’est pas content. Est-ce que le président Talon écoute le pays ? Qu’il fasse comme certains sultans, qu’il sorte la nuit, pour écouter le peuple. Il saura combien son peuple est insatisfait, que son peuple meurt de faim, et que son peuple n’a rien à ficher avec une révision en urgence de la constitution. Son peuple demande à manger, à ne plus avoir un problème de lèpre qui est revenu dans notre pays, de poliomyélite qui fait qu’à Malanville des enfants ne marchent pas », tempêtera la doyenne d’âge de l’Assemblée nationale, Rosine SOGLO en réaction à la demande du gouvernement Talon d’étudier en urgence le projet de révision de la constitution.
La transmission du projet de révision de la constitution semble d’ailleurs avoir exacerbé les sentiments d’insatisfaction et offert une occasion à une partie de la population d’exprimer leur ras-le-bol.
Les griefs contre le régime Talon émanent des personnalités, des associations, des syndicats, des partis politiques, …
Le Front pour un Sursaut Patriotique qui est « né pour dire non à une révision opportuniste de la constitution » rappelle qu’en portant [Talon] au pouvoir, « le peuple béninois voulait rompre avec les 10 années de gestion calamiteuse du pouvoir de YAYI BONI et tirer au clair tous les scandales et crimes qui ont défrayé la chronique durant ces années. » Mais, « un an après cette élection, le Bénin est plongé dans une situation de crise économique, sociale et politique très grave. » regrette le front avant de dresser la liste de ses reproches :
- crise économique et sociale, doublée des mesures brutales de déguerpissement des petits vendeurs et artisans des rues, de fermeture de sociétés d’Etat, de licenciement de fonctionnaires etc. a entrainé une détresse générale dans le pays ;
- atteintes aux droits de l’homme se sont aggravées, (tracées de lignes rouges, interdiction d’organisations d’étudiants, fermeture de media non conformistes, interdiction de marches et sit-in) etc. ;
- Patrice TALON ne fait que se servir de l’Etat pour régler ses problèmes personnels (SODECO, Port Sec d’ALLADA, Achat d’un domaine de l’Etat qui n’est pas à vendre, PVI etc.) ;
Pour Sonagnon, un internaute de lanouvelletribune.info, « ce qui se passe est plus qu’un abus de pouvoir, nous sommes en face d’un véritable problème éthique et de mal gouvernance. Le port et le coton, les principaux piliers de l’économie béninoise, et TALON en prend les commandes au mépris de toutes les règles de bonne gouvernance, et de conflits d’intérêts aggravés!!! Mieux, il prépare une constitution pour empêcher toute poursuite à son encontre, pendant et après son mandat. »
La Cstb, la Fesyntra-Finances et d’autres organisations craignent des « mesures liberticides de l’administration Talon, et certaines propositions de lois des députés qui pourraient mettre le pays en péril. »
Parlant de la communication gouvernementale, Jérôme Carlos souligne que « beaucoup de bonnes décisions se prennent. Mais elles tombent sur les populations avec la violence d’un orage tropical : sans préparation, sans discussion, sans explication. C’est à prendre ou à laisser. Comme si on devait acquiescer à tout et dire « amen » pour tout. » « Drôle de manière de faire le bonheur des gens sans eux. », ironisera-t-il.
La liste est longue et la démission surprise du ministre de la défense dans cette tempête n’est pas pour apporter de la sérénité !
A l’analyse, ces griefs portés contre le régime Talon seulement après un an de pouvoir, sont similaires à ceux portés contre le régime Yayi vers la fin de son premier mandat. Mais, Talon fait mieux ! En bonus, il lui est reproché un conflit d’intérêts entre ses sociétés et ses fonctions de Chef d’Etat.
Dans la mythologie grecque, Charybde et Scylla sont deux monstres marins qu’Ulysse dut éviter lorsqu’il traversa le détroit de Messine : situés l’un en face de l’autre, le premier absorbait l’eau de la mer et la rejetait trois fois par jour, formant alors un gigantesque tourbillon. Le second, monstre pourvu de six têtes, dévorait les navires qui s’approchaient de trop près. « Tomber de Charybde en Scylla », c’est s’écarter d’un danger pour tomber dans un autre aussi grand.
Les béninois ont-ils le sentiment d’être tombés de Charybde en Scylla en choisissant Talon pour mettre fin aux dix années du régime Yayi ?
En tout cas, certains citoyens vont parfois même jusqu’à dire que si Yayi revenait aujourd’hui, ils voteraient pour lui.
Talon, qui aurait promis les fruits de ses réformes et actions après deux années de pouvoir a du pain sur la planche et il lui appartient de donner tort à ses compatriotes qui s’impatientent sous le poids de la vie chère !
Césaire SEDAGONDJI (contribution)
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