Que faisons-nous de nos modèles ?

Jérôme Carlos : La culture, chez nous, en ses activités diverses, est globalement en panne. Plutôt la débrouille qu’un professionnalisme avéré en musique, en art plastique…L’accusation est grave : « les aînés nous ont sacrifiés ». Ainsi s’énonce, dans nos pays, une nouvelle querelle des « anciens et des modernes ».

Nous avons affaire à un conflit intergénérationnel à ne prendre à la légère sous aucun prétexte. La jeune génération d’Africains et d’Africaines semble ainsi, en majorité, témoigner à charge contre la génération des grands pères, pères et grand-frères. Un procès en règle dont le verdict, tranché et tranchant, pourrait faire refleurir dans la mémoire de plus d’un le titre d’un ouvrage de Jean-Paul Sartre « L’enfer, c’est les autres ».

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Il est plus facile d’accuser l’autre plutôt que de se regarder, en conscience, dans son propre miroir. Il est toujours plus commode de se trouver un bouc émissaire, de recourir au mouton du sacrifice pour se dédouaner à bon compte, pour se dédouaner au compte d’autrui. « Si je n’ai pas réussi ma vie, entend-on, ici, c’est parce que l’accompagnement de mes parents m’a fait défaut » « Si j’ai échoué à mon examen, se plaint-on, là, c’est parce que les professeurs bloquent la promotion et l’émergence des jeunes« .  » Si je suis au chômage, se complaint-on plus loin, c’est la faute du gouvernement« .

C’est vrai : chaque génération, face à l’héritage des aînés, bénéficie d’un droit d’inventaire. Et le patrimoine légué et reçu doit être assumé en totalité, en ses éléments actifs et passifs. Plus simplement dit, d’un héritage, on doit tout prendre : aussi bien les créances que les dettes. Par rapport à quoi, pour la jeune génération des Béninois, il s’agit moins d’instruire le procès des aînés que de s’instruire de leurs faits et méfaits dans l’esprit d’une saine continuité historique. Le témoin, lors d’un passage, peut tomber. Mais à qui la faute ? La faute de celui qui le transmet ou la faute de celui qui le reçoit ?

Dans le cadre colonial de l’Afrique occidentale française (AOF), c’était de notoriété publique que les dahoméens étaient d’excellents agents de l’Etat. Ils étaient appréciés comme étant compétents, travailleurs, honnêtes. La conscience du devoir accompli était alors la règle. Les dérives, excès et autres actes de corruption, si courants aujourd’hui, étaient l’exception. Qu’est-ce qui explique qu’une aussi belle tradition d’excellence se soit-elle arrêtée ? Pourquoi et comment l’ivraie a-t-elle pu avoir raison du bon grain ? Les jeunes Béninois peuvent-ils faire endosser à leurs aînés le déficit éthique partout constatable aujourd’hui ?

La culture, chez nous, en ses activités diverses, est globalement en panne. Plutôt la débrouille qu’un professionnalisme avéré en musique, en art plastique, au cinéma, en littérature, dans les arts du spectacle et de la scène, dans la formation des artistes créateurs. Pourtant, deux ans après l’accession de notre pays à l’indépendance, en 1962 plus précisément, le Dahomey se hissait sur le toit de l’Afrique. C’était à Paris, le 6 juillet, avec le Ballet national du Dahomey qui s’adjugeait le Challenge du théâtre des Nations. A la tête de ce Ballet, un Dahoméen bon teint, Flavien Campbell. Alors question : les Dahoméens d’hier, si brillants et si méritants, avant de se retirer de scène, ont-ils eu à condamner à l’incapacité et à la déchéance les jeunes Béninois appelés à les suivre ?

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Le Dahomey, en littérature, a pu se tailler la réputation d’avoir été une terre féconde. Avec des écrivains de renom. Maximum de respect pour Paul Hazoumè, Félix Coutchoro, Tovalou Houénou, Olympe-Belly Quenum, Paulin Joachim, Jean Pliya … Autant d’étoiles dans le ciel de notre pays mais qui, malheureusement, n’auront que peu éclairé les sentiers du présent. Mais, franchement, à qui la faute ? Le sel, selon un proverbe africain, ne dit pas qu’il est salé. L’arbitrage d’un autre proverbe, chinois celui-ci, nous satisfait pleinement : « Quand un doigt montre la lune, l’imbécile regarde le doigt ».

Le Bénin, à l’heure où le football est devenu l’une des entreprises les plus rentables de notre temps, n’en finit pas de s’emmêler les pédales. Les autres avancent, mais nous, nous entrons dans l’histoire à reculons. Pourtant, le ciel de notre football est constellé d’étoiles éternellement brillantes. Elles auraient pu nourrir des rêves, susciter des vocations, soutenir des ambitions. Ana Charles, Ata Pinceau, Bisolitaire, Chablis et toute la pléiade des talents de Gasapa. « Le futur, a très joliment dit André Malraux, c’est le présent que le passé nous fait ». La jeune génération de nos compatriotes a-t-elle entendu et compris les choses ainsi ? A chacun d’en juger.

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