Thomas Sankara, 30 ans après !

Un Jeudi de juillet 1985, 16h. Le vol régulier d’Air-Afrique me dépose à l’aéroport international de Ouagadougou. Un chauffeur du PNUD m’attendait pour me conduire à l’hôtel Indépendance, au centre de la ville. Une fois installé, je décide de revenir dans le hall de l’hôtel pour flâner ?… pour m’informer ?… pour faire des rencontres ?… en descendant la dernière marche de l’escalier, je tombe nez à nez sur Alfred, le collègue, l’ami, le frère béninois, le directeur général de l’IPD (Institut Panafricain pour le Développement) basé à Douala, mais avec une Succursale à Ouaga.

Il va me transférer séance tenante de l’hôtel à l’IPD-AOS, (IPD-Afrique Occidental et Sahel), où je découvrirai un cadre et une famille chaleureuse, pour les premiers mois de ma nouvelle vie, de mon séjour extraordinaire au Burkina-Faso.

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Ouaga est le premier poste de travail que je devais occuper aux Nations Unies, à l’UNSO, le bureau régional du Bureau des Nations Unies pour le sahel ; depuis ma libération un an plutôt, le 02 août 1984, de dix années de prison, par la révolution béninoise qui m’avait arrêté sur mon lieu de travail et condamné à mort sans jugement, puis jeté en en prison en attendant l’exécution de la sentence.

Mes parents et amis avaient une peur bleue pour moi : quitter la chaudière de la révolution béninoise pour la chaudière-sœur de la révolution burkinabé ! Mais moi j’étais vraiment heureux, une folle espérance me brûlait les entrailles. Et puis, je ne venais pas vraiment sur un terrain inconnu : mon jeune frère, grand médecin en France, a épousé une fille du Burkina, et la famille africaine cela compte. Et puis j’ai suivi, du fond de ma cellule de condamné à mort, les évènements de la Haute-Volta, cela ne se passe pas comme chez nous…

C’est Alain qui le premier est venu me voir un soir à l’IPD. Comment a-t-il su, peu importe. Alain est mon beau-frère burkinabé, il est aussi le bras droit (l’un des bras droits) de Thomas Sankara. D’emblée, me voici dans l’anti-chambre de la révolution burkinabé. Je rends grâce au Seigneur, pour mon excellent séjour à Ouaga, au Burkina, un pays extraordinaire, des gens extraordinaires, de vrais patriotes, qui m’ont émerveillé et donné le goût du combat et de la vie. Les mesquineries humaines seules m’ont valu de revenir chez moi plutôt que prévu, mais les trois années sont un pan inoubliable de ma vie, de mes expériences et de ma foi…

La question essentielle en définitive, la seule question qui vaille vraiment la peine d’être posée, c’est : ‘’En quoi Thomas Sankara était-il un Révolutionnaire ?’’

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Il y a Révolution et Révolution. Je suis toujours choqué quand j’entends les gens parler du ’’Che’’ africain, pour comparer Thomas Sankara à Che-Guevara… quelle stupidité ! Thomas Sankara n’était pas un homme violent ! Personne jamais, personne de sérieux en tout cas, ne portera devant l’histoire le témoignage d’un Thomas Sankara violent !

Ce qui était violent chez Thomas Sankara, éternellement violent, c’était la vérité. La vérité des mots, la vérité des gestes, la vérité de la vie, la vérité du comportement. Et c’est bien de cette vérité, elle-même somme toute révolutionnaire, qu’il est mort ! ‘’Je suis le président d’un pays violent’’ !

Ce n’est pas lui qui a déclenché et exécuté la révolution de 1984, c’est les autres. Lui était en prison. Ils étaient ses émules, il les impressionnait, il les subjuguait : ils avaient besoin de lui.

Ce n’est pas lui qui inventait, créait les slogans, c’est les autres. Mais à chaque fois, il leur demandait : êtes-vous sûrs que nous pouvons le faire ? A leur réponse, il donnait son adhésion, mais toujours il était le premier à mettre en œuvre, dans la vérité, sans hypocrisie, sans se retrancher derrière un passe-droit.

Quelle que soit la décision prise par les organes dirigeants de la révolution, Thomas Sankara était le premier à la mettre en application. De manière exemplaire et rigoureuse. Il n’y a son égal nulle part ailleurs, dans le monde, où nous voyons plutôt la jouissance matérielle et le népotisme… De Moscou à Pyongyang… d’Alger à Maputo… de Luanda à Pékin. La révolution et la guerre de libération sont devenues des alibis. Pour tout et le contraire de tout…

Partout, des médiocres envahissent les organes de la Révolution. Ce sont eux, les médiocres, qui initient et exécutent les basses œuvres. Dans quels pays et avec quels responsables politiques l’on a envie de renoncer aux voitures haut de gamme pour des R5, des 204 Peugeot… ? Le  chef de l’Etat roulait dans une 205 Peugeot… le CNR a décidé… Sankara était le premier à prendre houe, bèche et pioche, pour sarcler la devanture de la présidence du Faso, curer les caniveaux, ramasser les ordures. Le CNR a décidé… Sankara était le premier à se présenter au terrain pour les sports de masse les jeudis… la construction par les femmes et les hommes du peuple d’une trentaine de kilomètres de rails, encadrés qu’ils étaient par les techniciens du chemin de fer, etc.

La décision de créer le NAGA-NAGANI, cet avion cargo qui a suppléé la trahison de l’UTA, la compagnie aérienne française qui a laissé des balles de légumes de contre-saison produits par les pauvres paysans de nos brousses et destinés au marché français… toute l’intelligence dont les hommes et les femmes ont dû faire preuve pour affronter l’imbécilité de l’occident chrétien ! Le NAGA-NAGANI a servi également dans la foulée, à convoyer à des coûts inimaginables des travailleurs africains de Paris à Ouaga… pour des vacances impensables et irréalisables autrement.

²Pour les 30 ans de son décès, on parle beaucoup de lui mais dans mille ans, on en parlera encore davantage, parce-que la vérité ne meurt jamais.

Qui a tué Thomas Sankara ? C’est la question qui intéresse et préoccupe les journalistes. Laissons-les chercher, ils trouveront bien un jour… nous les patriotes africains, nous savons qui est l’assassin de Thomas Sankara. Ce n’est ni la France, ni les anti-révolutionnaires burkinabé. Lorsqu’il m’en a donné l’opportunité, le président Mathieu Kérékou et moi avons eu des échanges exceptionnels sur maints sujets dont il faudra peut-être un jour que je rende compte dans un livre de souvenirs… Entre-autres choses, je lui ai fait admettre que…

‘’Ce ne sont pas les anti-révolutionnaires qui ont tué la révolution béninoise, mais les révolutionnaires béninois eux-mêmes, membres tout puissants du tout puissant PRPB, Parti de la Révolution Populaire du Bénin’’.

Et il était d’accord !

Je souhaiterais personnellement que dans ces débats qui nous concernent, on ne parle plus jamais de la France. Je suis profondément francophile et profondément francophone. En réalité, la France est plus à plaindre qu’autre chose… Par cet héritage de valeur et de culture, la cave de la Maison-France est un dépôt de pourritures et ordures de l’histoire. Lorsque en janvier 1967, il y a 50 ans, je rentrais définitivement au pays, avec en poche mes diplômes et mon contrat de travail, je me disais dans l’avion « désormais tous les combats du cadre et de l’intellectuel africain que je suis, sont de démontrer tous les jours par mon travail, ma compétence et ma loyauté, que la France s’est trompée deux fois à notre sujet en nous vendant dans l’esclavage et en nous soumettant à la colonisation ! ».

Esclavage et colonisation pendant 50 ans, j’ai vécu le drame de la confirmation par les miens propres, que la France devait avoir eu raison de nous avoir colonisés et de nous avoir réduits à l’esclavage ! Qui es-tu en effet, et comment as-tu fait pour devenir partie prenante de toutes ces ignominies où l’extérieur t’utilise, et à quel prix, pour tuer ton frère et ton  pays ?… (La France a été probablement à l’origine de tous nos drames, de tous les Coups d’Etats et de toutes les déstabilisations. Mais c’est nous, nous-mêmes et nous seuls, qui appuyons sur la gâchette et qui trahissons fondamentalement !). On n’est jamais par hasard ce que l’on est ; on n’est pas un assassin par hasard ; on n’est pas un bandit par hasard ; on n’est pas honnête homme par hasard ; on n’est par vertueux par hasard. La France et les français paieront à l’Immanence, car Dieu pardonne toujours, l’Homme pardonne de temps en temps, la Nature, l’Immanence, ne pardonne jamais !

C’est quoi, c’est qui Che-Guevara, lorsque nous parlons de Thomas Sankara !? Seigneur Non… Non !

J’ai vu de mes propres yeux Madame Ouédraogo Josephine, Ministre de la famille dans le gouvernement de Sankara, visiter et rassembler presque toutes les prostituées du Burkina, de Ouaga à Bobo, de tous les coins du pays, pour réhabiliter la femme burkinabé, la femme africaine.

Quel travail magnifique, extraordinaire, méthodique, fraternel, humain ! Révolutionnaire ! Qui en parle aujourd’hui ? Qui s’en souvient encore ? Même au Burkina ?…

Je n’osais pas ‘’jouer de la familiarité’’ avec lui, malgré toutes les assurances et les apaisements de mon beau-frère Alain. Un jour que le président du Faso revenait d’un voyage en Europe, j’ai été amené à représenter le Bureau pour l’accueil officiel. Lorsqu’il arriva à mon niveau, le chef du protocole m’a présenté. Il l’interrompt immédiatement et me dit : ‘’Adrien mon grand frère, tu es chez toi ici au Burkina. Oublie tout ce que tu as vécu. Et donne-nous toute ton expérience, tout ton engagement que je connais et apprécie. Et à tous ces moments que tu voudrais me voir, tu sais comment !’’.

Oui, en effet je savais comment… Avec Alain ou avec mon grand frère Spéro. Seigneur quelle Merveille !

Le président Emile-Derlin Zinsou était très inquiet pour Moi. Il ne comprenait pas comment  je pouvais sortir des misères de la Révolution béninoise, et prétendre trouver le bonheur au pays des hommes intègres, animateurs d’un régime également décrié ? J’ai beau lui dire  tout le bien possible de Sankara et de la Révolution burkinabé, il n’y avait rien à faire. Je me suis résolu, avec Thomas lui-même, mais aussi Alain et Janvier, à aménager un régime de quelques jours à Ouaga pour le Président Zinsou, avec une conduite du Président du Faso.

Zinsou est arrivé. Sankara nous reçoit à la Présidence. Mais c’est pour s’excuser et fixer  l’audience au samedi qui suivait, dès 8h le matin. Janvier et moi-même conduisons le Président Zinsou à l’audience. Sankara attendait devant son bureau, dans la Cour du palais. Il salue respectueusement le Président, et nous lance :

‘’ Quand nous finirons, on vous appellera ‘’

Nous pensions naïvement qu’à midi ils auraient fini, et Janvier qui hébergeait le Docteur Zinsou pour l’occasion, apprêtait un repas de roi pour midi : de 8 h à midi ou 13 h, on espère que les deux hommes auraient fait le tour du sujet, quel qu’il fut !

Notre attente va durer jusqu’à 18h… 18h30. On peut imaginer nos inquiétudes… La sonnerie du téléphone n’a pas calmé nos agitations et lorsque nous arrivons à la présidence du Faso pour récupérer le Président Zinsou, un spectacle irréel nous attendait : les deux hommes marchaient dans la cour du palais, Zinsou la cravate dénouée, la veste déboutonnée, les deux mains dans les poches du pantalon, Sankara les deux mains nouées dans le dos, les bras le long du corps dans un geste d’écoute et de profonde attention. Ils restent ainsi encore plus d’une demi-heure après notre arrivée, insensible à notre présence. Finalement, c’est Sankara qui nous voit le premier, fait ce qu’il faut, vient vers nous dans un flot d’excuses. Le président Zinsou vient, nous prenons place dans la voiture, Janvier devant à côté du chauffeur, et moi derrière à côté du président. Nous étions impatients de l’écouter.

« Vous ne connaissez pas Sankara ! » Ça c’était la meilleure…

Il m’avouera plus tard qu’il savait, ce jour-là, que ce jeune homme aurait la vie courte.

Et mes enfants, ces jeunes français venus de France chez moi pour leurs vacances, imbibés de tous les nectars de l’anti-Sankarisme ambiant de la Belle et Douce France, il a suffi d’un déjeuner dans la belle-famille où Sankara, pourtant imprévu et inattendu, s’est présenté à bord de sa 205 Peugeot noire, dans sa salopette de pilote d’avion, sans garde-corps et sans aucun accompagnateur. Et même à la demande de ma fille aînée, il a donné un autographe dans roman policier.

Il y a deux mille ans, un autre révolutionnaire en seulement trois ans de ministère public, et qui n’a vécu que trente-trois ans, a laissé un message qui mobilise encore les humains… La marque de ce message, c’est la vérité. Il ne laisse personne indifférent même si les Femmes et les Hommes, ci et là, se déterminent contre lui. Aucune philosophie, aucune association, aucun groupement d’hommes et de femmes, n’enseigne durablement des choses qui remettent en cause la vérité du message.

On peut oublier Martin Luther King, on peut oublier Mère Teresa, on peut oublier Thomas Sankara, jamais on n’oubliera LA Vérité et l’éternelle actualité de leur Message profondément humain.

5 réponses

  1. Avatar de Prince Toffa 1er
    Prince Toffa 1er

    Une étoile montante qui brille et scintille émerveille tellement les humains mais éblouit désagrablement aussi bien d’autres. Ceux qui en sont éblouis tentent toujours de l’éteindre lorsque ceux qui en sont émerveillés restent inactifs.
    C’est nous les africains qui sommes complices avec Babylone, avec l’impérialisme pour éteindre nos propres étoiles montantes.
    Malheureusement ça continue de plus belle !!!

    1. Avatar de aziz
      aziz

      toffa..

      ta réflexion..est bonne..je l’avoues..

      mais thoma.sankara…était un idéaliste,un réveur,un homme vrai..comme on l’aurait aimé

      La preuve thoma..n’est plus burkinabé….il est devenu universel…

      En était il conscient…de sa mission sur terre…?…moi je crois que oui….

      Sa faute..à mon avis…c’est qu’il n’a pas eu le courage..de le dire à sa famille…mariam et ses enfants

      quand je visionne…les témoignages..les vidéos,la paroles de ceux…qui étaient à ses cotés…comme alouna traoré..on est consumé par la douleur

      Il avait raison…sur toute la ligne…mais impuissant devant la force des réalités

  2. Avatar de Totchénagnon
    Totchénagnon

    Ce monde ci n’est pas fait pour les hommes justes. JÉSUS en est la parfaite illustration. Il a choisi de vivre 33 ans parmi les humains. Que tous ceux qui ont choisi le chemin de la vérité le sache en toute connaissance de cause, leur vie sur terre sera pareille à celle de JÉSUS. Mais leur VÉRITÉ restera éternellement.

    1. Avatar de aziz
      aziz

      Tu as dit vrai

    2. Avatar de Philippe
      Philippe

      Une vérité sans commentaire

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