Il avait tout pour connaître un destin aussi prestigieux que celui de Mandela. Mugabe, le vieillard de 93ans plutôt proche du gâtisme et de la sénilité qui est aujourd’hui vilipendé comme un dictateur assoiffé de pouvoir, était dans les années 70 et 80l’un des héros authentiques des guerres de libération qui ont secoué les pays encore sous domination coloniale, de la même lignée que Agostino Neto d’Angola, Amilcar Cabral de Guinée Bissau, Eduardo Mondlane et Samora Machel du Mozambique, etc., qui ont fait rêver tous les nationalistes Africains des années de braise de la lutte anti impérialiste.
La Rhodésie qu’il a aussitôt rebaptisée Zimbabwe a sa prise de pouvoir, en souvenir d’un mythique royaume qui a longtemps dominé cette partie du continent, ployait alors sous le joug du régime raciste de Ian Smith, un descendant des colons britanniques qui a proclamé l’indépendance unilatérale du pays en 1966, et appliqué à la majorité noire (4/5 de la population), la même politique ségrégationniste en vigueur en Afrique du Sud.
La génération des jeunes des années 90 à 2000, ne connaît de Mugabe que ce que disent les médias occidentaux d’un régime corrompu qui a détruit l’économie d’un pays qui était le grenier de l’Afrique australe, et contraint à l’exil une bonne partie de sa population. C’est de cette période en effet que date la descente aux enfers de Mugabe, qui a conduit l’une des premières guérillas d’Afrique, jamais menée contre la domination coloniale. Avec détermination et esprit de suite, comme on le disait à l’époque.
Quand à la fin des années 70 le régime de Ian Smith, alors au ban de la communauté internationale a tenté de sauver la partie en nommant Mgr Abel Muzorewa, un modéré à la tête d’un gouvernement dominé par des Blancs, c’est l’opposition et l’opiniâtreté de leaders comme Robert Mugabé et Joshua Nkomo, l’autre héros de la lutte de libération, qui ont contraint Smith à la table de vraies négociations, dites de Lancaster House. Le jour de l’indépendance, le 17 avril 1980, a été un jour d’intenses émotions avec la participation mémorable de Bob Marley, Idole de la jeunesse d’alors et totalement au faîte de sa gloire, qui a immortalisé ce moment de grandes retrouvailles panafricaines par sa fameuse chanson « Zimbabwé », un an avant sa disparition tragique.
Descente aux enfers oui ! La lune de miel entre les Occidentaux et Mugabe n’a duré que le temps d’un feu de paille, et a pris fin quand Mugabe, chouchou de la communauté internationale, a initié la réforme agraire sous la pression de la majorité noire confinée sur les terres mortes pendant que la minorité banche accaparait la grande majorité des terres fertiles. C’est de cette époque que date le durcissement du régime avec son cortège d’exactions, plus inouïes les unes que les autres, contre les opposants. Mais également l’exil par milliers de fermiers blancs et les 20.000 morts du Matabeléland, fief de Joshua Nkomo l’adversaire qui ne s’est jamais remis de ces combats fratricides. L’hostilité et la pression des puissances occidentales ne sont pas sans rappeler les expériences similaires de la Guinée de Sékou Touré et du Ghana de Kwame Nkrumah, où Mugabe a d’ailleurs passé une bonne partie de sa vie. Mais Mugabe l’insubmersible a résisté à toutes les tempêtes et toutes les vagues de déstabilisation, jusqu’à ce jour fatidique où il a franchi le Rubicon, en cédant aux pressions du clan de son épouse pour limoger Emerson Munangangwa.
L’erreur fatale
Le drôle de coup d’état du général Constantino Chiwenga, serait-il intervenu si Mugabe s’était contenté de gérer le statu quo jusqu’aux échéances de 2018 comme il l’entendait ? Son épouse et sa clique de « quarantenaires » connus sous le nom de G40 qui rêvaient de prendre les devants auraient-ils attendu si longtemps ? Rien n’est moins sûr ! Ce qui est certain, c’est que tôt ou tard les régimes autocratiques finissent par commettre l’erreur fatale qui les perd. Au Zimbabwé, c’est le parti de type bolchevik que Mugabe a contribué à façonner et qu’il a toujours utilisé contre ses adversaires de tous bords, qui se retourne tout entier contre lui pour dire : Halte à cette clique de quarantenaires qui n’a pas pris part à la lutte de libération. Et les évènements de ces deux derniers jours le démontrent amplement : les militaires qui ont encerclé la résidence de Mugabe n’ont eu de cesse de répéter qu’ils n’étaient pas venus faire un coup d’état. Ils sont venus rappeler à leur leader ce qu’il leur a toujours enseigné, à savoir la suprématie du parti sur tout. De ce point de vue, les militaires Zimbabwéens ont admirablement joué leur coup : réussir un coup de force, sans en avoir l’air. Les apparences de la démocratie sont sauvées. Tôt ou tard, Mugabé sera évincé du pouvoir par son parti. La communauté internationale n’y verra que du feu ! Le rideau de l’histoire tombera alors lourdement sur un vieux dictateur que la gloutonnerie de son épouse a perdu ! Une leçon dont peuvent s’inspirer les démocrates togolais qui n’en finissent pas de battre le macadam depuis des lustres.
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