A propos de la vente esclavagiste des Noirs en Libye : plus jamais ça !!!

Il a fallu une journaliste américaine de CNN pour porter l’information jusqu’à nous. Sans elle, peut-être, sans doute, aucun journaliste Africain ne l’aurait fait ! Après, il est vrai, le cri de cœur indigné de Claudy Siar relayé par les réseaux sociaux l’ont très rapidement propagée, telle un virus et tout particulièrement dans les pays ayant en partage la langue française.

Et il a fallu le Sous-secrétaire d’État Américain aux affaires africaines et le Ministre Britannique des affaires étrangères pour obtenir des autorités Libyennes que des poursuites soient engagées contre les auteurs de ce crime contre l’humanité. Sans eux, peut-être, sans doute, les autorités Libyennes n’auraient jamais levé le petit doigt. Après, il est vrai, le Président du Niger a lui aussi exprimé son indignation et a demandé à ce que la Cour Pénale Internationale se saisisse du dossier, cette même Cour pénale internationale que les pays africains n’ont cessé de dénoncer ces derniers temps.

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Ce crime contre l’humanité qui se déroule sous nos yeux doit susciter, comme c’est le cas, notre indignation, notre légitime indignation émotionnelle (I), mais il doit être aussi pour nous, une occasion d’aller au-delà de l’émotionnelle et de nous poser les vraies questions structurelles qui mettent en lumière la responsabilité pleine et entière des élites africaines (II).

I / Une indignation émotionnelle légitime

La diffusion du reportage de la journaliste a soulevé une vague d’indignation généralisée dans le monde entier. Les Noirs en France ont donné le ton et montré la voix à suivre en organisant une gigantesque marche à Paris le samedi 18 novembre. De mémoire d’observateur, jamais une « cause noire » n’a réuni autant de monde dans les rues de Paris. Ils étaient plusieurs dizaines de milliers originaires d’Afrique, des Antilles et d’ailleurs, unis pour dire non à la barbarie, au crime contre l’humanité. Avec la vente aux enchères de Noirs en Libye, tous les seuils ont été dépassés. L’esclavage dit moderne, n’avait jamais donné à voir une vente aux enchères de Noirs. Brusquement, il revient à la mémoire de tous, la pratique esclavagiste décrite dans les livres d’histoire mais qu’aucune génération actuelle, qu’elle soit du XXe siècle et encore plus du XXIe siècle n’avait réellement vécue.  Ainsi donc, cette diffusion replongeait collectivement toute la planète, toute la conscience humaine dans les pages les plus sombres de l’histoire de l’humanité, XVIe siècle. Ce siècle dit des lumières mais qui fut celui de l’obscurantisme pour les Noirs a vu disparaître, grâce à la complicité de tous, l’humanisme, c’est-à-dire le fait seul de placer la personne humaine, qu’elle soit noire, blanche, rouge ou jaune (les couleurs convenues, pourtant à tort) et ses valeurs au-dessus de toute autre valeur. Durant cette sombre période, les Noirs, après les Amérindiens, ont perdu toute valeur puis marchandisés ; durant toute cette longue période, le Noir n’avait plus de valeurs, il n’avait qu’un prix, bien dérisoire, celui fixé par son propriétaire.

La controverse de Valladolid de 1550 a officiellement validé cette marchandisation en décrétant sous les hospices de l’Eglise catholique (les Papes Paul III et Jules III) que le Noir, à l’opposé de l’Amérindien, n’avait pas d’âme. Dès lors, il pouvait être vendu aux enchères puis transporté loin de chez lui, dans des conditions inhumaines, comme des bêtes de somme pour accomplir les tâches que les hommes, dotés d’une âme, ne devaient accomplir.

La cruelle vérité, c’est qu’aucun homme vivant actuellement sur cette planète terre n’avait vécu cette histoire, si ce n’est qu’à travers les livres d’histoire et les souvenirs légués à travers le temps. Et pourtant, pour les générations actuelles que nous sommes, cette histoire était définitivement révolue, que la conscience humaine avait considérablement progressé et que la sacralisation, voire la sacralité de la vie humaine, de toute vie humaine était irréversiblement acquise. Mais l’histoire de la vente des esclaves Noirs en Libye dans les formes qui rappellent tristement le XVIe siècle vient rappeler que rien, en cette matière, n’était définitivement acquis et que la veille, ce qu’il faut bien appeler le devoir de mémoire doit être permanente, pour ne pas dire éternelle.

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C’est en cela que la vague d’indignation observée partout sur la planète, de l’Afrique à l’Europe en passant par les Amériques est fondée, qu’elle soit le fait de citoyens ordinaires, d’organisations de la société civile, des responsables des Organisations internationales (ONU et UA) ou encore des responsables étatiques. C’est en cela qu’elle est légitime et c’est pourquoi, je joins mon indignation à cette vague.

Mais il faut le dire tout de suite, on ne saurait se satisfaire d’un simple acte d’indignation de la part de nos gouvernants, eux qui ont principalement la charge de nous protéger, de nous sécuriser et de nous prémunir de tels actes. Les organisations de la société civile ainsi que les individus ordinaires peuvent se satisfaire d’une marche ou de marches dans les rues de Paris, de Bamako ou d’ailleurs.

Nous attendons de nos gouvernants bien plus qu’un appel à la Cour Pénale Internationale pour qu’elle se saisisse du dossier. Nous attendons d’eux, d’une part, qu’ils enclenchent effectivement les procédures de saisine de la Cour et bien d’autres Cours encore et, d’autre part, qu’ils se donnent les moyens, qu’ils soient politiques, diplomatiques ou militaires, d’aller chercher par toutes les voies possibles, le reste de nos frères et sœurs restés sur ce vil marché d’hommes libyen. C’est un impératif et c’est à l’aune de cela et de cela seulement qu’ils seront jugés. Macky Sall, Alassane D. Ouattara, Patrice Talon, Jacob Zuma et les autres ont là une occasion de montrer qu’ils se préoccupent aussi de la dignité du Noir, au lieu de ne penser qu’à la jouissance matérielle, financière et symbolique du pouvoir politique. Car en réalité, ce que révèle cette crise, c’est d’abord et avant tout la responsabilité des élites africaines, celle des élites politiques essentiellement et celle des élites intellectuelles accessoirement.

II / La responsabilité des élites africaines

Cette responsabilité se révèle autour de trois grandes questions, à savoir le devoir de mémoire, la bonne gouvernance et la lutte pour la réduction de l’écart de technologique entre nous et nos esclavagistes.

En ce qui concerne, le devoir de mémoire, il est à noter pour le regretter que les Africains sont très peu portés sur le travail de mémoire. Nous sommes présentés comme des peuples oublieux. Même si à titre individuel, nous ne le sommes pas, il n’existe que trop peu d’évènements historiques, à part nos indépendances que nous célébrons collectivement. Cette absence de devoir de mémoire s’observe autour de trois points à savoir l’absence de journée consacrée au souvenir de l’esclavage, l’existence de trop peu de places de souvenir ainsi que la place marginale consacrée à l’enseignement de cette partie de notre histoire dans nos écoles.

En effet, il n’existe pas de journée consacrée à l’esclavage et à son abolition, ni au Bénin ni dans la plupart des pays africains ni à l’Union Africaine. La liste des fêtes légales est plutôt truffée de fêtes chrétiennes.

De même, il existe très peu de places de souvenir de cette période difficile de notre histoire. La route des esclaves à Ouidah au Bénin ainsi que la maison des esclaves à l’Ile de Gorée au Sénégal sont dans un état de dégradation avancée pour ne pas dire dans un piteux état, indigne d’un travail de mémoire. Les meilleurs musées consacrés à cette partie de notre histoire sont encore en Europe et aux Etats-Unis, en dehors de nos pays plus qu’à l’intérieur. Le peu de musées que nous avons dans nos pays sont à la limite du ridicule.

Par ailleurs, en dehors des départements d’histoire des Universités, l’histoire de l’esclavage n’est que trop peu enseignée dans nos écoles. Les jeunes cadres africains n’ont qu’un souvenir trop lointain et à la limite très approximatif de l’esclavage. Nul ne peut pourtant construire un avenir en ignorant son passé, a fortiori un peuple. Nous n’avons jamais voulu marquer un arrêt pour nous interroger et repartir sur de bonnes bases. C’est la raison pour laquelle nous assistons à la reproduction cyclique du même phénomène comme c’est actuellement le cas en Libye, voire à sa banalisation sous l’appellation barbare « d’esclavage moderne » et que l’on retrouve aussi bien dans les sociétés africaines elles-mêmes que dans les sociétés étrangères (arabes et européennes).

En ce qui concerne la bonne gouvernance, tout le monde est unanime pour reconnaître que c’est la mauvaise gouvernance dans nos pays qui poussent nos concitoyens dans le désespoir au point de justifier leurs aventures ou plutôt leurs mésaventures. Au lieu de prendre nos Etats pour des gâteaux à parts multiples et infinies auxquels il faut absolument accéder pour prendre sa part et le plus de parts que les autres, les élites politiques feraient mieux de les considérer comme des moyens, et non comme des fins, pour améliorer les conditions de vie de nos concitoyens. Il est inacceptable que pendant que de jeunes citoyens africains vont à la recherche de l’eldorado au péril de leur vie, leurs dirigeants soient traînés dans les tribunaux européens pour accumulation illicite de biens meubles et immeubles, de corruption et autres. Une petite amélioration qualitative de la gouvernance dans nos pays améliorerait de beaucoup le niveau de vie de nos populations et leur redonnerait une partie de leur dignité qu’ils ont perdue. Autant  les questions de devoir de mémoire ainsi que de la bonne gouvernance peuvent se résoudre au court et au moyen terme, autant celle de la réduction de l’écart technologique ne peut se résoudre que sur le long, voire le très long terme.

En ce qui concerne la réduction de l’écart technologique entre l’Afrique et le reste du monde, elle reste capitale dans l’équilibre des rapports entre les peuples. Seul le développement technologique détermine les rapports de force entre les Peuples. Et le retard que nous avons accumulé sur les sociétés occidentales date du XVIe siècle et donc de plus de cinq siècles. Pendant que nous en sommes encore à fabriquer nos pirogues à l’identique de ce que faisaient nos aïeuls du XVIe siècle, les autres sociétés en sont à construire les plus beaux navires, les plus beaux avions et les plus belles voitures et pendant qu’elles ont fini de construire leur sol et leur sous-sol et qu’ils ont entamé la construction de l’espace, la plupart de nos pays n’ont même pas fini de bitumer une seule ville entière et nous sommes obligés d’attendre qu’ils viennent avec leur appareil pour nous aider à extraire nos richesses souterraines. Nous avons conscience que la réduction de l’écart technologique entre les sociétés africaines et les autres sera de longue, voire de très longue durée mais Edem Kodjo ne disait-il pas que « la volonté politique a toujours précédé dans l’histoire la réalisation des grandes œuvres ». Il est clair que ce qui manque le moins à l’Afrique et à ses élites politique, c’est la volonté politique.

Profitons de cette vague d’indignation suscitée par ce crime contre l’humanité pour allumer et entretenir, le plus longtemps possible, la flamme de la volonté politique dans nos pays et que nos dirigeants puissent dire avec fierté « Never, never again », plus jamais ça !!!

Par Topanou Prudent Victor, Maître de conférences de Sciences politiques
Université d’Abomey-Calavi. Ancien garde des Sceaux du Bénin.

7 réponses

  1. Avatar de aziz
    aziz

    Makhily Gassama…ancien ministre sénégalais…vient de sortir un billet

    Celui de topkanou..est un pipi de chat…quand je compare..

    J’invite les forumistes…à allez sur seneweb.com…et le lire

  2. Avatar de Tchite'
    Tchite’

    L’Africain a tout sur et sous son sol, ou’ le monde entier vient se servir. Mais l’Africain lui meme souffre et continue de souffrir et d’etre la risee de tout le reste du monde.

    https://fr.news.yahoo.com/papouasie-%C3%A9vacuation-force-r%C3%A9fugi%C3%A9s-camp-australien-manus-061650123.html

  3. Avatar de aziz
    aziz

    L’indignation,les marches,les déclarations..n’ont jamais résolu..ce probleme

    Appliquons la loi du talion..de moise

    C’est pédagogique….

    1. Avatar de OLLA OUMAR
      OLLA OUMAR

      Frère Aziz , cette loi  » de talon  » zut du talion à ton avis serait quoi ?  » à chaque noir désormais son esclave blanc  » ? Belle rigolade ; finis d’abord de balayer devant chez toi , avec les enfants  » vidomegons  » , les enfants qu’on exploite dans les champs de café , coton , et cacao ,etc 
      Mais ceci ne pas dire que nous cautionnons ce que CNN nous a montré, nous nous indignons 

      1. Avatar de aziz
        aziz

        Ollah…!!!

        Je crois que 500 ans de cruauté des noirs c’est suffisant…

        On s’est indigné,on a marché et ça changé quoi…?

        Et si on changeait..de méthode et d’approche…en appliquant la loi du talion..partout en afrique….pour montrer que nous pouvons aussi faire…preuve de cruauté…et à partir de là…on se fera respecter

        Toute personne qui nous attaque…sait qu’il aura la réplique..n’est ce pas

        C’est mieux que les discours

        1. Avatar de Hervé Talabalo
          Hervé Talabalo

          Aziz a raison; sans réplique, pas de respect. Quelques actions immédiates que les pays dont les ressortissants sont l’objet de crimes:
          1. Identifier les traffiquants libyens et mettre leurs têtes à prix,
          2. Faire des raids en Libye pour libérer les migrants, style raid sur Antebe,
          3. Reconnaître et encourager les Libyens qui aident les migrants en détresse.
          L’intérêt des pays dont sont originaires les migrants, c’est la securité et le respect des droits de leurs ressortissants.

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