Le Bénin est régulièrement cité comme un pays modèle de démocratie sur le continent. Et cette qualification lui a souvent valu de la considération sur la scène internationale. Mais la culture démocratique n’a jamais été un acquis, elle demeure une constante quête.Puisque certains dirigeants appréhendent la démocratie comme un sérieux obstacle à la réalisation de leur dessein. Celui d’utiliser leur position de pouvoir pour se servir et non pour servir le peuple.
Ende telles circonstances, c’est l’Assemblée nationale, qui représentant le peuple, reste le dernier rempart. Malheureusement, la suspension brutale de la séance d’hier jeudi 21 décembre 2017 par le président de l’Assemblée nationale, pendant la lecture de la déclaration des députés de la minorité parlementaire, constitue le signal fort du refus de la contradiction au parlement.
La politique du Bénin gardera dans ses annales l’incident d’hier jeudi 21 décembre 2017 à l’Assemblée nationale. L’honorable Guy Mitokpè lisait la déclaration des députés de la minorité parlementaires lorsqu’il a été interrompu, deux fois de suite, par le président de l’Assemblée nationale, maitre de céans, puis définitivement privé de parole à travers la suspension de la séance par Me Adrien Houngbédji. Un revirement spectaculaire de l’ambiance démocratique qui régnait jusqu’ici au sein de l’hémicycle, marquée par des joutes oratoires, des analyses contradictoires, des critiques ou des propos de soutien au pouvoir. Pourtant, ce qui s’est passé hier est inédit, jamais produit au sein de l’Assemblée nationale. Des retraits de parole pour prise de parole non autorisée, oui. Mais des retraits de parole pour « outrage » aux institutions, comme cela a été avancé par le président de l’Assemblée nationale, restent sujets à étonnement.
Le constituant en 1990 savait justement que les députés peuvent être amenés à tenir des propos déplacés à l’endroit des institutions. C’est pour cela que l’article 90 de la constitution de 1990, a tenu à assurer une protection inviolable aux députés dans l’exercice de leurs fonctions : « les membres de l’Assemblée nationale jouissent de l’immunité parlementaire. En conséquence, aucun député ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ».
Cette disposition de l’article 90 écrite dans un français digeste, explique clairement que les propos du député dans le cadre de l’exercice de ses fonctions ne peuvent faire l’objet de sanctions. D’où la surprise de la censure instaurée par le président de l’Assemblée nationale, sur le contenu de la déclaration des députés de la minorité parlementaire. Cette surprise s’étend aussi à la qualification d’outrage…
Peut-être faut-il que chacun lise les propos que le président Adrien Houngbédji qualifie d’outrage aux institutions : « Comme poussée par une fatalité aveugle qui s’acharne depuis avril 2016 à compromettre dangereusement l’avenir de notre nation, notre parlement au plus grand mépris de ses attributions constitutionnelles, s’est résolument installé dans le rôle d’un exécutif bis. Pendant une année, nous de la minorité parlementaire, avons observé et tenté d’opiner diplomatiquement sur les dérives du gouvernement à travers les rencontres folkloriques du chef de l’Etat avec les groupes parlementaires, mais nous n’avons pas été écoutés… ». A chacun d’apprécier ces propos qui ont suscité la colère du président du parlement : « s’il vous plait cher collègue, nous n’accepterons pas que vous fassiez outrage aux institutions de la République. Vous avez commencé par un premier outrage concernant l’Assemblée Nationale elle-même, et je suis passé là-dessus. Mais vous ne pouvez pas outrager le chef de l’Etat. Ce n’est pas possible, c’est une institution. Donc essayez de modérer vos mots. Nous sommes ici à l’Assemblée Nationale, nous ne sommes pas en meeting ».
Etrange réaction de Me Adrien Houngbédji, devenu subitement censeur des propos des députés en faisant fi de l’article 90. C’est en lisant l’extrait qui a suscité le courroux du président du parlement que chacun peut comprendre que les véritables raisons de cette censure improvisée et inédite sont ailleurs : « En avril 2017, nous avons empêché la mise en œuvre de la plus vaste machination qui allait ouvrir la voie à la décapitation de notre jeune démocratie. Depuis, nous subissons les assauts les plus redoutables, mais qui ne nous émeuvent point et qui sont condamnés à l’échec, car nous avons foi en notre peuple. Ainsi donc, vous assumez la lourde responsabilité, appuyé par nos collègues retranchés avec vous dans une zone de confort moralement inconfortable, la lourde responsabilité disons-nous, de la destruction proclamée de votre jeune démocratie. Une démocratie dont la vivacité offre à tous la tranquillité de vivre et même à un exilé, la possibilité de revenir sur la terre de ses ancêtres se faire élire président de la République. M. le président de l’Assemblée nationale, nous sommes députés et assumons à notre morale défendant, toutes ces lois inappropriées que nous votons dans cet hémicycle au nom de la dictature de la majorité, à travers une commission des lois à genoux devant le ministre de la justice ». La réaction du président Me Adrien Houngbédji a été mécanique : « Ces propos-là seront sanctionnés. Si vous en faites encore trop, je suspends la séance (…), Si j’en entends encore un mot, je suspends la séance… (M. le président)… La séance est suspendue ». Pour ce second morceau de la déclaration des députés de la minorité qui a conduit à la suspension de la séance, c’est l’assertion : « une commission des lois à genoux devant le ministre de la justice », qui n’a pas plu à Me Adrien Houngbédji. Sanctionne-t-on déjà les propos des députés tenus au sein de l’hémicycle dans le cadre de leurs fonctions, ou est-ce une innovation de Me Adrien Houngbédji. Que fait-on alors des dispositions de l’article 90 de la constitution ?
Quelles que soient les réponses, la réalité reste que la représentation nationale qui doit servir de contrepoids au gouvernement selon l’expression de Montesquieu, est plutôt devenue avocate de ce régime au point de devenir réfractaire à la vérité et aux propos contradictoires. Mais qui mieux que les députés, représentants du peuple, sont bien placés pour dénoncer, fustiger et décrier les dérives institutionnelles ? En se proposant de sanctionner les propos de dénonciation des députés de la minorité, Me Adrien Houngbédji n’annonce-t-il pas par la fin de la contradiction, de la critique et de la dénonciation pour l’avènement de la pensée unique ? Quoi qu’il en soit, la question que tous citoyens doivent se poser sérieusement, eux qui confient des mandats aux députés, est : nos députés défendent-ils au parlement les intérêts du peuple, ou les leurs propres ?
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