Le professeur de droit public Moïse Lalèyè a accordé une interview conjointe à votre journal et à la radio privée Soleil Fm.A l’occasion, il s’est prononcé essentiellement sur la décision de la Cour Djogbénou retirant le droit de grève aux agents de la santé, de la justice et de la police, contrairement à une décision de la Cour précédente sur le même sujet. Pour l’invité, il s’agit d’un revirement jurisprudentiel basé sur une procédure d’interprétation de décision qui, défend-t-il, est anticonstitutionnelle. A l’en croire, il s’agit d’une invention de la Cour Djogbénou.
Professeur Moïse Lalèyè. Vous êtes professeur de droit public et de science politique. Quelle appréciation avez-vous de cette décision de la Cour constitutionnelle qui revient sur le droit de grève accordé plutôt à certains secteurs des travailleurs au Bénin ?
Il faudrait que nous soyons techniques et éviter tout chauvinisme politico-juridique ou juridisme et tout le reste. Cette décision est préoccupante du point de vue technique. C’est préoccupant dans la mesure où dans un premier temps, quand vous lisez cette décision, c’est un revirement jurisprudentiel qui ne dit pas son nom et qu’on est passé par des artifices juridiques pour y parvenir. Alors, dans un premier temps vous allez constater que cette décision repose sur trois visas à savoir, le visa de la constitution, le visa de la loi organique et le visa du règlement intérieur.Ce qui veut dire que le fondement doit être en accord avec ces trois éléments de la légalité constitutionnelle au Bénin. Mais nous constatons qu’il y a une violation pure et simple de la constitution.
C’est-à-dire ?
Je rappelle que la Cour constitutionnelle n’est pas un tribunal comme les autres, ce n’est pas un juge ordinaire.En matière des procédures, le siège se trouve au titre 2 de la constitution en ses chapitres 2 à 8. C’est cela qui régit les procédures. Donc le règlement intérieur, comme l’indique son article premier vient appliquer en cette matière, la constitution et la loi organique or quand vous prenez cette décision, c’est une décision d’interprétation d’une décision. A ma connaissance et au vu de notre droit positif, une telle procédure n’existe pas.
Cela ne se fait pas ?
Une telle procédure n’existe pas. Interprétation d’une décision, ça n’existe pas. Pour vous en convaincre, c’est l’article 25 du règlement intérieur qui vient même d’être modifié qui stipule ceci très clairement : « Si la Cour constitutionnelle constate qu’une de ses décisions est entachée d’une erreur matérielle, elle peut la rectifier d’office et procéder à tout amendement jugé nécessaire. » C’est le seul élément d’une voix de recours. Et ça c’est la Cour constitutionnelle même qui constate. Donc la procédure d’interprétation d’une décision n’existe pas au point de permettre à la Cour constitutionnelle aujourd’hui de s’en saisir et de réécrire au besoin les dispositions de l’article 121 de notre constitution en son aliéna 2.
En fait, vous voulez dire clairement que la Cour constitutionnelle Djogbénou n’avait pas à revenir sur les décisions de la Cour Holo. Rien ne l’autorise à le faire.
En l’état actuel de notre loi constitutionnelle. Et c’est parce qu’ils en sont conscients qu’ils ont pris le chemin de cette procédure d’interprétation de décision. Et d’ailleurs, comme vous allez le constater, elle dit au niveau de la décision qu’elle décide d’office. Ça signifie quoi ? C’est une interprétation erronée des dispositions de l’article 121 de notre constitution en son alinéa 2 qui dit expressément ceci : « Elle se prononce d’office sur la constitutionnalité des lois et de tout texte règlementaire censé porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques. Elle statue plus généralement sur les violationsdes droits de la personne humaine et sa décision doit intervenir dans un délai de huit jours. »
Alors, si on considère que la Cour est elle-même dans l’illégalité au vu de ce que vous expliquez, peut-on considérer aussi que ces secteurs ont désormais le droit de grève qui leur est retiré ?
C’est un très mauvais précédent dans la mesure où, comme je l’ai dit, les visas sont fondés sur la constitution donc la Cour constitutionnelle est la première à respecter les dispositions constitutionnelles. On ne peut pas inventer. Dans le cas d’espèce, nous n’avons pas à l’état actuel de notre droit positif, l’auto saisine de la Cour. Et on ne peut pas confondre cet impérium de se prononcer d’office qui est ouvert au niveau de l’article 121 comme une autosaisine de la Cour. En toute logique, la Cour dit que la requête est irrecevable. A partir du moment où elle a déclaré que la requête est irrecevable comment peut-elle se saisir de cette même requête et trouver au fond et même objecter à la place des requérants en réécrivant lettres constitutionnelles ? Ça c’est le considérant numéro 3 de la décision de la cour qui le dit. Il énonce : «… cependant que lorsqu’une requête élève à la connaissance de la Cour une situation de violation d’un droit fondamental ou de remise en cause d’un impératif ou d’un principe à valeur constitutionnelle la Cour peut d’office, qu’en l’espèce la requête vise à obtenir le rétablissement et la réalisation de l’impératif constitutionnel que constitue le fonctionnement constitue des services stratégiques essentiel, etc. En l’espèce c’est bien une réécriture pure et simple des dispositions de l’alinéa 2 de l’article 121de la Fondamentale béninoise de décembre 1990.
D’aucuns considèrent que les décisions de la Cour constitutionnelle jusque-là sont sans recours mais visiblement c’est une correction, une révision des décisions de l’autre Cour et que les décisions ont désormais de recours ?
Cette décision, quand vous l’étudiez, qu’est-ce que ça amène aujourd’hui ? Ça viole l’autorité de la chose jugée. A partir de ce moment, l’article 124 de la Constitution de 1990 est radicalement violé. Aujourd’hui, en ces lettres la décision de la Cour s’érige en une double injonction. En pratique, elle fait injonction à la fois au parlement et au président de la République pour promulguer une loi qui avait été rétorquée et qu’il fallait encadrer le droit de grève par exemple. Aujourd’hui qu’est-ce que cette décision ouvre ? Cette décision permet tout simplement de dire aujourd’hui au parlement de retourner au président de la République une loi qui devrait normalement être votée pour mise en conformité sans cette mise en conformité. En l’occurrence, il s’agit d’une loi inexistante aux termes des dispositions de l’article 124 et 3 de notre et c’est bien une flagrante violation de la légalité constitutionnelle en vigueur dans notre pays.
L’autre élément, c’est que le même jour, c’est-à-dire le 28 juin, où la Cour prenait cette décision, le chef de l’Etat promulguait la même loi. Quel effet ça devait avoir ?
C’est extraordinaire, parce que quand même il y a la procédure législative que doit suivre une loi. Certes, la loi en l’état aujourd’hui est au parlement si on doit respecter la première décision de la Cour constitutionnelle. Quand est-ce que le parlement a pu déjà transmettre cette dernière suivant la norme requise en cette matière ? Où bien le président de la République avait déjà copie ? Cela pose un véritable problème. Ça ne fait que franchement suggérer qu’il y avait des agendas. Ce n’est pas possible pour autant. Il y a bien une procédure législative incontournable. Où se trouve la loi là aujourd’hui ? La loi doit être aujourd’hui au parlement.En tout cas au moment où la Cour vient de prendre sa nouvelle décision, il appartient au parlement une fois notifié de transmettre de nouveau au président de la République ce texte législatif pour promulgation. Et en même temps, à voir cette décision, ça empêche le président de la République de faire exécuter le contrôle de constitutionalité parce que tout a été déjà déclaré conforme. Ce n’est pas techniquement et légalement possible ce que vous dites. C’est un mauvais précédent. Je ne sais pas quelle est la plus value de ce forçage juridictionnelle surtout à partir du moment où la Cour a décidé que c’est un recours irrecevable, tout s’arrête normalement.
Est-ce une première ?
Vraiment. Ça il faut le reconnaître. J’ai toujours reproché cela aux précédentes compositions de la Cour, surtout les deux dernières mandatures ces outrages et malfaisances juridictionnels. C’est comme ça parfois que ces conseillers eux-mêmes alors qu’ils ont déclaré l’irrecevabilité d’un recours trouvent aussitôt le moyen d’aller au fond quant à l’examen du recours. Mais ça c’est une violation à la fois de la procédure au niveau d’un tribunal, d’une juridiction supérieure et mieux dans le cas d’espèce, c’est une violation de la constitution chaque fois puisque la procédure d’interprétation n’existe pas. Je le dis fermement et je mets quiconque au défi de me dire où est-ce que ça se trouve dans notre positif. La seule procédure qui est ouverte, c’est la procédure de la rectification de l’erreur matérielle.
Pour un juriste de votre état, quand la juridiction arbitre plutôt dans l’égarement, que devait-on faire ?
Il faudrait que nous soyons sérieux. Je le dis très sincèrement. Nous devons éviter le chauvinisme. Le droit après tout est une science qu’on le veuille ou non. Il y a des règles que nous devons pouvoir respecter. C’est pourquoi il y a la procédure. Il n’y a pas d’action en dehors de procédure. C’est un b-a ba. Les conseillers de la Cour sont sous serment, ils ont juré d’exercer avec professionnalisme, loyauté leur mission. Et ils n’ont pas de droit au-delà des dispositions constitutionnelles.
Qu’est-ce qui devrait être fait pour remettre les choses en place ?
Tout ce qui est anticonstitutionnel est nul et non avenu. Tout ce qui se fera dans le sens de faire respecter une telle décision ne sera que du forcing. Et ça, vous comprenez ! Ça ne sera plus du droit, ça sera les rapports des forces. Et quand nous ne sommes plus en droit c’est la force brutale. Ça sera dommage. Sinon, une fois qu’on n’a pas respecté la constitution, c’est nul et non avenu. Les dispositions de l’article 124 de notre constitution sont claires et nettes. Cela ne se négocie pas. Les décisions de la Cour sont sans recours. On sait pourquoi on l’a dit. Ça n’a pas été changé. Donc je répète, dans le cas d’espèce,il n’y a pas une procédure d’interprétation de décision. Où est-ce qu’on est parti trouvé cela et pour quelle fin ? Je vous le dis, c’est une fin anticonstitutionnelle dans tous les cas de figure.
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