Les Béninois, partagés entre le désespoir et la trahison, ont suivi l’entretien télévisé du Président Patrice TALON le 11 avril 2019. Comme on s’y attendait, le Président a assumé l’exclusion des partis politiques de l’opposition de la compétition électorale en cours. Pour l’essentiel, il y a eu plus d’amalgames que d’éclaircissements, il y a eu plus de contradictions avec soi-même que de convictions démocratiques affirmées. Pour faire simple, disons que le Président a fait délibérément le choix de tourner dos aux aspirations profondes de démocratie et de liberté du peuple béninois. Et pourtant, n’était-il pas possible pour lui d’écouter ce peuple qui l’avait propulsé brillamment au poste de premier magistrat ? Seule l’histoire répondra.
Dans cette partie de jeu politique, alors que l’opposition a encore ses cartes intactes, la mouvance vient de jouer son joker. En effet, après la décision de la Cour constitutionnelle du 1er février instituant le certificat de conformité, après le refus du ministère de l’intérieur de délivrer le certificat de conformité aux partis politiques de l’opposition le 21 février, après les diversions du 25 février et du 06 mars, après le simulacre anticonstitutionnel de rencontre des Présidents des institutions du 02 avril, après le déploiement des chars dans les grandes villes du pays le 04 avril, l’émission politique du Président TALON du 11 avril marque simplement le point culminant de la stratégie du régime. Même s’il est plausible que la mouvance ait recours à une ruse de dernières minutes qui pourrait être fatale à l’opposition. En effet, au Bénin, la politique est une affaire de gros sous. De potentiels candidats et leaders de l’opposition peuvent se voir proposer des intéressements financiers pour renoncer à la lutte. Partons du fait qu’un Député gagne environ deux millions par mois, ce qui fait vingt quatre millions par an et durant les quatre années de la mandature on se retrouve avec un total de quatre-vingt-seize millions (96.000.000), on pourrait l’arrondir à cent millions (100.000.000). Avec deux milliards, vingt (20) leaders politiques de l’opposition seraient maitrisés et contrôlés. Celui qui règne sans partage sur le pouvoir économique du pays et qui exerce un contrôle absolu sur le trésor public peut se permettre cette ruse, sans difficulté aucune, pour pouvoir réaliser son projet politique. C’est une tactique qui serait même déjà en exécution.
Cependant, vu les enjeux, l’opposition peut surprendre. Personne ne peut dire avec certitude ce que prépare l’opposition politique béninoise en termes de riposte. Elle est peut-être infiltrée ce qui peut justifier la prudence sur ses stratégies et actions. Connaissant le mode de fonctionnement de la classe politique béninoise, l’opposition pourrait aussi compter sur des soutiens du côté de la mouvance notamment des acteurs politiques conscients de la gravité des options et choix du Président Talon mais qui ne sauraient s’y opposer pour des raisons que chacun peut deviner aisément. Ce qui paraît évident, c’est qu’elle a tout de même résisté à toutes les tentatives de la mouvance et semble déterminée pour l’assaut final.
La grande équation pour les deux camps reste et demeure l’attention et l’implication de la communauté internationale. En effet, malgré les missions d’information de la CEDEAO, de l’Union Africaine, de l’ONU et récemment de l’OIF, la crise préélectorale s’est transformée en une crise systémique. Ce n’est plus une question de participation aux élections mais plutôt de l’effondrement d’un système démocratique qui sert de modèle à la communauté internationale. Le contexte politique régional, marqué par ce qu’il faut qualifier de « printemps des peuples », en référence aux évènements d’Algérie et du Soudan, n’est pas en faveur du Président Talon et de ses partisans. Comme il est de principe, les éventuels développements de la situation indiqueront la position et l’implication de la Communauté Internationale.
Parlant d’éventuels développements, au regard des acteurs et des rapports de forces politiques en présence, trois (03) probables scénarios sont envisageables.
Scénario 1 : Le peuple béninois manque de conscience patriotique, tombe sur le coup des mensonges et diverses manipulations de la mouvance présidentielle, désabusé par l’incohérence et l’inconséquence de l’opposition, et fait l’option de la résignation. Les Béninois sont des pacifistes dira-t-on. Le 28 avril, avec une participation faible et une élection timide jamais organisée au Bénin, l’escroquerie démocratique du siècle passe. Le Bénin aura des députés, mais ne disposera plus d’un parlement, le socle même d’une démocratie. C’est le plan et le rêve des partisans du Chef de l’Etat. Le Bénin deviendra une démocratie de façade, un Etat régenté et contrôlé avec une main de fer. La loi n’aura plus de sens en face de la volonté du Chef de l’Etat.
Scénario 2 : Les militants des partis exclus du processus électoral et les leaders politiques de l’opposition s’organisent et empêchent les élections dans leurs fiefs électoraux respectifs. De graves incidents se produisent et pour éviter une insurrection populaire générale, une révolution bien évidemment, le Chef de l’Etat prend conscience de la situation et annule les élections sur l’ensemble du territoire national. Dans ce schéma, il pourra convoquer à nouveau le corps électoral le temps que les conditions d’une élection inclusive soient réunies. Cette option serait appuyée par une assise politique nationale immédiate, inclusive et souveraine et validée par la communauté internationale.
Scénario 3 : Si le scénario 2 est mal négocié par le pouvoir, le pire serait à nos portes. En effet, imaginons que de graves incidents se produisent, jusqu’au point où on compte d’importantes pertes en vies humaines et de violations graves et massives des droits de l’homme du fait de la répression policière ou militaire. Les choses pourraient aller très vite et dans le sens que personne n’aurait imaginé. Dans tous les cas, si on en arrive à des faits de tir à balles réelles sur les manifestants (ce qu’il ne faut jamais souhaiter), on serait en présence de faits constitutifs de crime contre l’humanité. En se référant à l’article 7 du Statut de Rome, le crime contre l’humanité s’entend d’ « une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque » en « persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique ». C’est un scénario impossible. Peut-être ! Mais si de tels évènements adviennent, l’image des chars en circulation dans certaines grandes villes du Bénin avant l’élection n’arrangerait pas le pouvoir du Président TALON. Tout peut changer en une matinée. La communauté internationale demanderait des comptes aux autorités gouvernementales. Si la situation est gravissime, les mesures habituelles de pressions pourraient être déclenchées : interdictions de voyage aux proches du Chef de l’Etat (notamment les responsables politiques faucons), gel des avoirs à l’étranger et une sortie politique par la petite porte. Le pire évènement de ce scénario serait de voir dans le mois de mai un avion décoller du Bénin pour la prison de la CPI. Rien n’est impossible en politique. Mais nous en sommes encore très loin.
En conclusion, le Bénin traverse une période difficile et complexe. Le régime du Président TALON joue gros. Les évènements du Soudan et de l’Algérie ont montré que les armées africaines sont conscientes de leur responsabilité dans la marche démocratique du continent. Il faut souhaiter autant de consciences chez les acteurs politiques. Les chars ne peuvent plus jamais avoir raison des aspirations profondes des peuples africains. Cette période est révolue. Que la providence protège le Bénin et inspire son Président. Pour le peuple béninois, que le scénario de la paix dans la dignité se produise.
Djidénou Steve KPOTON
Juriste-Analyste Politique.
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