Sur initiative du Président Patrice TALON, fut organisé un dialogue politique les 10, 11 et 12 octobre 2019 au Palais des Congrès de Cotonou. Dans le discours d’ouverture prononcé par le Président de la République, l’idée de rassembler les acteurs politiques pour un dialogue répond à un double objectif. D’une part, il s’agit d’une réponse apportée par l’exécutif et son Chef « à une exigence de check-up quand survient une quinte de toux d’une résonance inhabituelle ».
D’autre part, les travaux du dialogue devront permettre à une «meilleure et réaliste organisation de l’espace politique et de la compétition politique, permettant le renforcement de l’unité nationale et de la concorde, tout en préservant l’indispensable assainissement des pratiques politiques». Si on s’en tient à ce double objectif décliné par le Président Talon, on ne peut que saluer l’initiative et féliciter la démarche.
Cependant, à la lecture des conclusions du dialogue et au regard des manœuvres politiques en cours, dont la dernière en date est la remise d’un rapport produit par un comité d’experts pour la mise en œuvre des recommandations du dialogue politique, il y a lieu de s’inquiéter. De plus en plus, l’opinion nationale se demande si l’objectif caché de l’initiative du dialogue politique n’est-il pas une révision de la constitution du 11 décembre 1990.
S’il est vrai que dans une démocratie, toutes les opinions émises dans le respect des lois et institutions sont légitimes, il est encore plus vrai que dès qu’elles sont émises, le débat sur leur pertinence et leur crédibilité est ouvert. Apporter une critique à l’organisation du dialogue politique et la mise en œuvre de ses recommandations est le seul objectif de cette réflexion. Notre démarche consistera, d’une part, à examiner la crédibilité démocratique du dialogue politique au regard du contexte sociopolitique national (I) et, d’autre part, à discuter de la pertinence de certains points de ses conclusions (II).
I- De la crédibilité du dialogue politique dans le contexte sociopolitique national actuel
La crédibilité est le caractère de quelque chose qui peut être cru, c’est-à-dire digne de confiance, qui présente des éléments ou facteurs qui permettent de lui accorder du crédit. Si on s’en tient à cette définition, une action politique ne serait crédible que si dans son sens et dans sa quintessence d’une part, et dans sa conception et sa mise en œuvre d’autre part, elle respecte les règles et principes qui permettent, mutatis mutandis, de lui accorder du crédit. Si nous soumettons le dialogue politique organisé du 10 au 12 octobre 2019 à cet examen, il nous reviendrait de l’apprécier au regard de la méthode de l’initiative du Président de République et la représentativité des participants. En somme, il s’agit de règles et principes qui gouvernent tout exercice de dialogue sociétal et qui permettent de l’accréditer.
Sur la méthodologie de l’initiative, en convoquant le dialogue politique, le Président Talon semble vouloir honorer sa promesse du 20 mai 2019 et exécuter une recommandation de la 55e session ordinaire de la Conférence des Chefs d’Etats et de Gouvernement du 29 juin 2019 (voir les points 45, 46 et 47 du communique final du sommet). Cependant, le tout premier grief qu’on doit formuler contre la démarche du Chef de l’Etat est le défaut de base légale.
En effet, le dialogue politique organisé du 10 au 12 octobre n’est fondé sur aucun acte. A l’inverse de l’exemple du voisin burkinabè où le dialogue politique organisé cette année a été convoqué par l’arrêté N°2019-002/PRES du 15 juillet 2019 portant création, organisation et fonctionnement du cadre de Dialogue politique au Burkina Faso. Avant même de prendre ledit arrêté, le Président de la République a concerté la Majorité présidentielle et le Chef de file de l’Opposition politique. Ce qui témoigne du sérieux de la démarche et son ancrage dans l’ordre juridique républicain.
On comprend aisément pourquoi, dès l’entame du dialogue dans notre pays, les participants ont soulevé le défaut de base légale. Pourquoi ne pas rattraper cette exigence qui conférerait une valeur juridique aux travaux et conclusions issues du dialogue. Car, en l’état, les conclusions et recommandations du dialogue politique n’ont aucune valeur juridique. Il revient exclusivement au Président de la République de décider de ce qu’il veut en faire. Faut-il faire confiance à sa bonne foi politique ?
Enfin, cette position est si fondée que pour la mise en place du Comité d’Experts, le Président de la République a pris un décret. Or, le comité d’experts ne doit son existence et son utilité qu’au dialogue politique qui n’a aucune existence juridique.
Par rapport à la représentativité des participants, en dehors du défaut de base légale, le dialogue politique a péché quant à la représentativité des participants. Si nous sommes d’accord que l’exploit de la conférence nationale reste une exception historique, il y avait une possibilité de faire mieux au regard du contexte sociopolitique national actuel.
Primo, contrairement à ce qu’on essaie de faire croire à l’opinion, la crise des législatives de 2019 est née avec la décision de la cour constitutionnelle, de l’application partiale et détournée de nouvelles lois par le ministère de l’intérieur et la CENA. Ce fait a entrainé un désintérêt, disons un désengagement des Béninois à participer à l’élection de leurs représentants au parlement, une institution qui symbolise le cœur de tout système démocratique. En conséquence, tout dialogue dont l’objectif est la résolution de la crise issue des législatives de 2019 devrait rassembler toutes les forces vives de la nation. Il faut retenir simplement que nous avons assisté à un dialogue politique interpartis, une concertation restreinte entre les acteurs du système partisan. Dans ce cas, comment le vivre-ensemble de 11 millions d’âmes peut-il être engagé par des personnes qui n’ont reçu aucun mandat pour assumer une telle mission ?
Secundo, non seulement il faut condamner vivement l’exclusion des forces vives (la société civile, les organisations syndicales, les fédérations de jeunesse, les corps constitués, etc.), mais aussi il faut relever l’éviction de l’opposition politique. En effet, le critère retenu pour accréditer les participants au dialogue parait arbitraire et trahit l’esprit même du dialogue. Le Chef de l’Etat, initiateur du dialogue politique, n’a retenu que les partis politiques validés par le ministère de l’intérieur. Or, le 20 mai 2019, dans son discours à la nation, il avait promis convoquer « toute la classe politique » pour un dialogue sincère et direct.
On se souvient que le certificat de conformité, qui n’existe dans aucune loi votée dans le cadre de la réforme du système partisan et du code électoral mais inventé par la cour constitutionnelle, avait permis l’exclusion de l’opposition du processus électoral de 2019. Lors de la rencontre du 15 juillet entre le Chef de l’Etat et les partis politiques de l’opposition, de nouvelles conditions extralégales ont encore été instaurées pour l’enregistrement des partis politiques de l’opposition. C’est à cette occasion qu’il a été exigé l’exclusion de certains responsables politiques de l’opposition des organes statutaires de leurs partis respectifs au motif qu’ils sont visés par des procédures judiciaires. Alors que ces différentes personnalités n’ont jamais fait l’objet d’une condamnation définitive pouvant les priver de la jouissance de leurs droits politiques, droits fondamentaux de la personne humaine garantis par la constitution du 11 décembre 1990.
De tout ce qui précède, on retient que l’exclusion, la base même de la crise, continue toujours. Après l’exclusion des forces vives, les partis politiques ont été sélectionnés arbitrairement on peut dire. Et, pour éviter qu’on parle d’un dialogue politique interpartis soutenant les actions du Chef de l’Etat, une opération d’enrôlement du parti FCBE a été orchestrée. Il semble que la consigne du Chef de l’Etat du 15 juillet a été suivie par quelques responsables du parti pour l’obtention de leur existence légale. Les manœuvres politiques en cours pour la révision de la constitution montrent qu’en réalité, la participation d’une partie des FCBE devrait servir de caution de l’opposition, du plus grand parti de l’opposition, le parti de l’ancien Chef d’Etat Boni YAYI au dialogue. Ainsi, la cour constitutionnelle pourrait se servir de ce dialogue politique comme consensus national pour valider la révision constitutionnelle qui se projette. Mais, quel crédit accorder à un dialogue politique qui manque de base légale et dont la représentativité des participants est contestable ?
II- De la pertinence de certains points des conclusions du dialogue politique
L’une des idées sur laquelle semble s’accorder l’ensemble des participants du dialogue politique, idée reprise par le comité d’experts, est l’alignement des mandats. Cette proposition dangereuse et grave est symptomatique de l’état d’esprit de la classe politique toute entière. Après avoir tourné en rond depuis 30 ans, l’organisation régulière des élections serait à la base de la situation socioéconomique de notre pays selon les conclusions du dialogue politique. Il est évident qu’on ne peut pas aligner les mandats sans modifier la durée du mandat des députés, c’est-à-dire sans réviser la constitution. C’est le cheval de Troie en réalité.
Pour rappel, en juin 2018, c’est ce même argument qui a été brandi par la majorité présidentielle qui avait porté une proposition de loi modificative de la constitution pour rallonger le mandat des députés (le faire passer de quatre (04) à cinq (05) ans. Or si nous questionnons le sens des choses, le mandat de quatre (04) ans pour les députés et celui de cinq (05) ans renouvelable une seule fois pour les autres institutions, consensus issu de la conférence nationale et approuvé par le peuple Béninois par référendum, a un fondement démocratique solide : les députés sont des représentants du peuple. Leur mandat relativement court par rapport aux autres institutions a été décidé pour leur permettre de ne pas rester trop distant du peuple une fois leur élection acquise. Donc, le mandat de quatre (04) ans des députés a tout son sens et ne pose aucun problème.
Maintenant, si l’alignement des élections est la nouvelle panacée dénichée par la classe politique et qui garantirait le développement socioéconomique du Bénin, ramenons alors tous les mandats à quatre (04) ans et renouvelable une seule fois. Les mandats présidentiels et parlementaires sont de quatre (04) au Nigéria et au Ghana et aucun débat sur leur rallongement n’est à l’ordre du jour dans ces deux pays. Aussi, avec des mandats de quatre (04) ans les acteurs politiques du Nigeria ont réussi à faire de leur pays la première puissance économique de l’Afrique. Quant au Ghana, un pays qui a organisé, depuis 1992, le même nombre d’élection, presque, que notre pays, ce pays a réalisé le meilleur taux de réduction de la pauvreté en Afrique subsaharienne depuis 1990.
Par ailleurs, dans le régime présidentiel béninois, le Président de la République est l’acteur politique le plus important. Il est élu au suffrage universel direct. Il concentre beaucoup de pouvoirs et tous les rapports politiques à l’interne se structurent autour de sa personne. Les élections qui s’organisent au cours de son mandat sont un baromètre de l’efficacité de l’action gouvernementale. A travers ces élections, le résultat des partis politiques qui soutiennent ses actions très souvent indique si le peuple souverain approuve ou désapprouve sa gestion. L’utilité d’un tel système est si avéré que certains systèmes démocratiques ont prévu des élections de mi-mandat. C’est le cas des Etats-Unis par exemple. D’autres systèmes démocratiques comme la France, l’Allemagne, le Ghana, ont le même système que le Bénin. C’est-à-dire, l’élection du chef de l’Exécutif ou du Président de la République est la principale. Après, les élections régionales, communales, communautaires (pour les pays de l’Union Européenne) sont organisées dans le cours de son mandat et servent de baromètre du peuple pour sa gestion. Est-ce vraiment les élections le problème au Bénin ou la médiocrité de la classe politique ?
Pour conclure cette réflexion, si l’on s’en tient aux objectifs de checkup et de réorganisation de notre cadre politique annoncés, le compte n’est pas bon. Le dialogue politique est une mise en scène politique dont le résultat le plus visible est la projection dans le néant du destin de 11 millions d’âmes. L’effondrement de notre édifice démocratique ne peut être exclusivement imputable au président Patrice TALON. En revanche, c’est avec regret qu’il faut relever que sa philosophie politique et son mode de gestion du pouvoir conduisent inexorablement à un délitement de notre Etat.
Un Président de la République est un prisonnier. Il est le prisonnier de ses idées, de ses doutes, de ses conseillers, de ses opposants, de son pouvoir. Il est prisonnier de tout. Le nôtre est déjà « prisonnier » de son propre dialogue politique et de ses recommandations. N’oublions pas qu’une constitution est pour tout un peuple et non pour la classe politique, encore moins pour le Président de la République. Sa révision ne peut être une ambition personnelle ou le projet de quelques-uns. Le dialogue politique en soi et ses conclusions ressemblent à un deal entre partenaires politiques et non une quête de consolidation de notre système démocratique et la réalisation de l’intérêt général. Faut-il constitutionnaliser les caprices de quelques acteurs politiques ?
Enfin, nous sommes les héritiers de la conférence nationale. Le président TALON est, lui-même, le produit d’une ferveur démocratique inédite et historique, fruit du pluralisme politique consacré par la constitution qui, aujourd’hui, est accusée de tous les péchés, bafouée et abusée. Toutes les couches sociales de notre pays étaient à la conférence nationale. Les débats étaient publics et retransmis en direct sur la radio nationale pour permettre au peuple, seul détenteur de la souveraineté, de suivre ce qui se faisait en son nom. La constitution issue de ce consensus sur l’avènement d’un nouvel ordre politique a été approuvée par référendum. Aujourd’hui, toute cette histoire partira en fumée du fait de la classe politique sans même que le peuple souverain ait son mot à dire. Pris à la gorge, le peuple Béninois est embarqué dans une aventure identique à l’enfer de Guyana. Dieu a t-il abandonné le Bénin ?
Djidénou Steve KPOTON
Citoyen Béninois.
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