Depuis quelques jours, un débat secoue la toile par tribunes interposées en ce qui concerne le sort de la dette des pays africains. Ce débat oppose les partisans de l’annulation de la dette (Sénégal, France…) à ceux qui prônent une allocation de nouveaux DTS (les autorités béninoises dans le cadre d’une tribune publiée le 23 avril dernier dans Jeune Afrique). Ces deux approches visent à permettre aux Etats africains de dégager des marges de manœuvre budgétaires ou de mobiliser de nouveaux financements afin de faire face aux conséquences sanitaires et économiques de la crise. La décision prise par le G20 le 15 avril dernier est allée dans le sens d’un moratoire de six mois sur les intérêts de la dette bilatérale.
Le dernier communiqué du FMI concernant le Bénin indiquait que « le plan de riposte [béninois] est estimé à 1,7 % du PIB et comprend une hausse des dépenses de santé, une aide aux couches les plus vulnérables de la population et un soutien ciblé et temporaire aux entreprises affectées ; le déficit budgétaire pour 2020 s’établirait à 3,5% du PIB, « en raison de la baisse des recettes, de l’augmentation des dépenses de santé et des mesures de soutien à l’économie ». L’impact de la crise sanitaire et économique sera plus ou moins marqué et différent d’un pays africain à un autre compte tenu des disparités qui existent au niveau de nos économies. L’économie béninoise, déjà très éprouvée par la fermeture des frontières avec le Nigéria n’en fera pas exception. Revendiquer de nouveaux financements, une allocation de nouveaux DTS, un moratoire sur les dettes ou une annulation partielle ou totale de la dette bilatérale ou privée ne constituent pas la seule solution à apporter à cette situation.
Comment peut-on d’ailleurs revendiquer des ressources additionnelles (qu’elles émanent de l’annulation de la dette, d’un moratoire ou de l’allocation de nouveaux DTS) si au préalable un travail rigoureux d’évaluation des conséquences de la crise n’est pas réalisé par nos gouvernants. A ce jour, aucune communication n’a été produite par les autorités béninoises en la matière alors que bon nombre d’entreprises commencent à souffrir de la crise (l’hôtellerie, les transports, le tourisme, les entreprises exportatrices, les commerçants…) ; aucun plan de soutien n’a été annoncé pour soutenir les entreprises en difficulté. L’annulation de la dette (notamment bilatérale) ou l’allocation par le FMI de nouveaux DTS telle que proposée par les autorités béninoises, si elle ne s’inscrit pas dans un plan de relance cohérent pour notre économie sera inefficace et pure fuite en avant.
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L’avantage attendu d’une annulation de la dette, à savoir la réduction du service de la dette ne sera que de courte durée en l’absence d’un véritable plan de relance. En effet, il est reconnu que l’annulation de la dette bilatérale entraîne généralement un effet pervers : celui de privilégier le remboursement des créanciers privés au détriment des créanciers publics. En l’absence d’un contrôle de l’action gouvernementale, cette situation pourrait inciter certains pays à reconstituer le stock de dettes et la spirale de l’endettement peut repartir de plus belle.
Quant à une allocation (générale ou spéciale) de nouveaux DTS par le FMI, la mise en œuvre opérationnelle prend du temps, intègre des considérations de nature diplomatique comme en a témoigné la dernière allocation de DTS qui remonte en 2009… Si l’allocation de nouveaux DTS devait être générale, on peut craindre que loin d’atteindre les objectifs escomptés pour l’ensemble des pays, les premiers bénéficiaires seront les pays dits développés car les allocations sont proportionnelles aux quotes-parts. Les pays africains n’en recevront qu’une petite partie et la quote-part revenant à chaque pays africain sera donc très faible. Une allocation spécifique réservée à quelques pays pourra être contestée par certains pays non bénéficiaires qui subissent également les mêmes conséquences sanitaires et économiques liées à la pandémie. Cette proposition sera en ce sens peu favorable au Bénin avec ces conditions d’allocation.
Que compte faire le Bénin, champion de la sous-région en matière d’endettement de ces nouveaux financements ? Pour rappel, le Bénin a émis depuis janvier 2020 des obligations à hauteur de 700 milliards CFA (dont 313 milliards d’offres ont été retenues) sur un budget 2020 de 2000 milliards CFA. Sur la même période, selon les données disponibles sur le site de la BCEAO, les émissions sont respectivement de 255 milliards (Burkina), 765 milliards (Côte d’Ivoire), 60 milliards CFA (Guinée Bissau), 155 milliards (Mali), 50 milliards (Niger), 385 milliards (Sénégal), 250 milliards (Togo). En attendant d’avoir une réponse précise de nos gouvernants à cette question, dans l’immédiat, nous les invitons à évaluer précisément les conséquences de cette crise sur notre économie et inscrire toute mobilisation de financements additionnels dans un plan de relance cohérent.
A très court terme, il urge de mettre en place en concertation avec la Chambre de commerce et d’Industrie, un plan de soutien au secteur privé qui intègre les mesures suivantes au profit des entreprises durement touchées : des délais de paiement pour les échéances sociales et fiscales; des remises partielles d’impôts directs aux petites entreprises en grande difficulté de trésorerie et aux entreprises exportatrices. La mobilisation de l’Etat doit être totale. Le silence de nos autorités est assourdissant. D’autres mesures de portée sous-régionale peuvent également être envisagées au niveau des banques centrales. Le secteur bancaire sera confronté dans les mois à venir à une hausse des créances impayées liées aux défaillances d’entreprises. Les banques centrales pourraient adopter des mesures dites non conventionnelles ou offrir aux établissements de crédit la possibilité de recourir à un plus large éventail d’instruments de refinancement. A circonstance exceptionnelle, mesures exceptionnelles.
Enfin, l’amélioration de la gouvernance économique et politique dans notre pays ainsi que le renforcement de la transparence font également partie de la solution. La crise actuelle met en lumière les carences de la gouvernance dans notre pays. Comment s’assurer qu’un contrôle parlementaire sera réalisé sur l’action du gouvernement, notamment sur la stratégie d’endettement frénétique alors que les 83 membres de cette assemblée émanent tous des partis siamois du Président ? Si nos gouvernements sont conscients de l’importance du climat des affaires dans la détermination des taux d’intérêt, compte tenu du climat délétère qui y règne, il lui revient alors de déployer les efforts nécessaires pour y remédier sans attendre une allocation de nouveaux DTS.
Outre le climat des affaires, l’organisation d’élections exclusives, l’accaparement des secteurs clés de l’économie nationale par quelques personnes sont également des éléments extrêmement défavorables dans la perception de risque par les investisseurs. Le retrait de déclaration de protocole à la CADHP ainsi que les reculs considérables relevés en matière de droits de l’homme sont par ailleurs des facteurs aggravants.
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