Bénin : Pourquoi faut-il repenser la décentralisation ?

Dix-sept ans après l’avènement de la décentralisation, tout porte à croire que les fruits n’ont pas tenu les promesses des fleurs. Pire, on assiste à un glissement vers une concentration insidieuse qui arrache aux communes des acquis. Alors que les aspirants conseillers communaux fourmillent d’imagination, de slogan et de maquette, loin de refroidir leur ardeur, il faut dire que les défis sont énormes et la volonté seule ne suffit pas à construire une ville. Trois goulots d’étranglement pèsent sur la survie de la décentralisation au Bénin : l’autonomie financière et les interférences politiques, une administration non fonctionnelle.

L’autonomie financière

En rédigeant les textes, les « pères » de la décentralisation ont copié les modèles européens sans tenir compte des réalités béninoises. D’une commune à une autre, les capacités de mobilisation des ressources propres sont presque inexistantes. Pour celles qui arrivent à mobiliser, les ressources propres arrivent à peine à assumer les charges salariales du personnel.

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La question de l’autonomie financière est d’autant plus importante qu’elle est le principal atout pour un Maire pour conduire la destinée de sa commune dans l’esprit du Plan de Développement Communal. Aujourd’hui, toutes les communes dépendent de l’Etat à plus de 60% pour leur fonctionnement. La mise à disposition de cette aide aux communes en temps et lieu est par ailleurs subordonnée à des impératives de soumission politique. Si l’on doit s’attarder sur les réalisations des communes, aucune ne peut se prévaloir d’avoir construit des infrastructures substantielles sur fonds propres au cours des dix-sept dernières années.

Interférence politique

Sur les 77 communes au Bénin, 70 ne sont pas viables économiquement. Dans un contexte béninois où la maturité politique laisse à désirer et où le pouvoir central tient compte parfois du bord politique du maire pour affecter les ressources, les communes jugées à tort ou à raison proches des partis d’opposition ont souffert au cours des dernières années.

Au cours de la dernière décennie, plusieurs maires ont été violemment délogés de leurs postes sous des prétextes grotesques, fallacieux, non quantifiables et non vérifiables. Les conseillers communaux sont aussi manipulés suivant les mouvements à la tête de l’Etat.

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Administration non fonctionnelle

Les trois maires qui ont succédé à la tête de nos communes depuis 2003 se sont installés avec leurs équipes. Des employés des circonscriptions urbaines et des sous-préfectures, chaque maire est venu avec une pléthore d’employés qui est venue s’entasser sur ceux qui y étaient déjà. Cet effectif pléthorique dans nos communes rend l’administration communale non performante et non fonctionnelle. Les quelques employés compétents sont distraits par des employés oisifs.  Pire, des milliers d’employés émargent dans nos communes sans rien apporter en retour ou passant leurs journées à traîner de bureau en bureau à colporter des ragots dont la seule utilité est de détourner leurs collègues des tâches à eux confiés l’administration communale.

Pistes de solution

Face à toutes ces difficultés, il urge que les acteurs s’asseyent pour adapter la décentralisation aux réalités politiques et économiques du Bénin en tenant compte des acquis et des mésaventures des dix-sept dernières années. En tenant compte du fait que 90% des communes sont économiquement non viables, il faut trouver une formule qui ne transforme les maires en « domestiques » des Chefs d’Etat à qui on impose des projets tombés du ciel qui ne figurent même pas dans le Plan de Développement Communal.

La première piste à envisager est de retourner dans le giron de l’Etat tous les axes budgétivores dont les communes ne sont pas capables d’assumer de façon indépendante les charges financières. Autrement, tout ce qui a rapport aux infrastructures routières urbaines, à l’électrification, la propreté urbaine, la construction des écoles devra retourner à l’Etat. Aux communes, il restera à mon avis la gestion de l’état civil, les affaires domaniales et la collecte des taxes (équipements marchands). Dans ce schéma, l’effectif pléthorique des fonctionnaires communaux sera dégraissé et transféré à l’Etat. Il en restera un petit noyau opérationnel pour gérer les nouveaux champs de compétence. Cette approche aura comme intérêt de ne plus mettre les mairies sous la pression de l’Etat et de faire d’elles des structures indépendantes financièrement.

La deuxième piste est de reformer le « système partisan » pour créer des partis politiques communaux. Les aspirants aux charges communales ne vont plus dépendre des partis nationaux qui sont en compétition directe avec les partis soutenant les actions du gouvernement. Dans ce cas, les maires et leurs conseillers vont se concentrer sur le développement local n’ayant plus à représenter ou à défendre un parti politique national. Leur champ d’action politique se limiterait au niveau communal.  A mon avis, cette formule permettra à l’Etat d’agir plus efficacement pour accompagner les mairies.

Dans tous les cas, sans des réflexions profondes pour évaluer les dix-sept années d’expériences de la décentralisation et lever les goulots d’étranglement, les maires ne seront que l’ombre d’eux-mêmes et la décentralisation n’existerait que dans les textes. On attendra en vain des maires, des prouesses dont ils n’ont ni les moyens, ni les compétences. La nécessité de réformes courageuses s’impose sinon la prochaine décennie de vie de la décentralisation pourrait être plus chaotique.

DJOSSOU Jules
Ancien Directeur de cabinet
Mairie de Porto-Novo
pour LNT – Toute reproduction sans autorisation est interdite

5 réponses

  1. Avatar de Gombo
    Gombo

    Bonne analyse qui toutefois néglige une des sources des difficultés, la crainte des politiques de voir les mairies être des plate formes de lancement des carrières politiques surtout dans les communes à statut particulier.
    En ce domaine le régime de la rupture est le plus exécrable.

  2. Avatar de Analyste
    Analyste

    Merci pour cette belle analyse.
    Le format de l’article est à saluer: pas trop long pour le support utilisé (journal web), cependant, l’usage de la photo du ministre en charge de la décentralisation comme illustration laisse penser qu’il est auteur de la publication.
    – L’analyse de l’article couvre l’entièreté de l’expérience de décentralisation au Bénin. Mais en se référant à l’actualité, lors d’un récent bilan télévisé (https://www.youtube.com/watch?v=afCk3AmXzTk), le ministre a indiqué que la répartition des fonds aux communes se faisait par le biais d’un logiciel qui attribuait de façon paramétrée les ressources à chaque commune (minimum de 400 millions pour la plus petite commune), donc à priori, de façon dépolitisée.
    – Dans le bilan télévisé ci-dessus évoqué, le ministre actuel semble être très au fait des différentes problématiques énoncées dans cet article et peut-être que des approches de solutions sont en cours d’élaboration.
    – Parlant des pistes de solution, retourner certaines prérogatives dans le giron de l’État est une excellente solution. Mais cela devrait conduire à trouver un juste équilibre, car trop de retours de responsabilités à l’État central viderait la décentralisation de son sens.
    – La création de partis politiques communaux n’aurait de sens que (1) si les communes conservent un portefeuille de responsabilités qui mérite qu’on compétisse pour les assumer et (2) si le partage des responsabilités entre pouvoirs central et local réduit significativement les risques d’interférence politique (autrement, dans les faits, les partis communaux seraient amenés à faire allégeance ou non au parti au pouvoir pour avoir accès à des ressources). Par ailleurs, il faudrait éviter de développer à l’échelle locale le foisonnement qui sous-tend la récente refonte du système partisan à l’échelle nationale.

  3. Avatar de (@_@)
    (@_@)

    Ce qui est à repenser de mon point de vue, si tant est que ce soit le moment, c’est plutôt les pratiques administratives des hommes une fois en place. Celles en usage aujourd’hui, démontées on sait comment, n’étaient pas différentes de celles décriées aujourd’hui. Seuls ont changé les équipes ou leur allégeance..
    \\\\ ///
    (@_@)

    1. Avatar de (@_@)
      (@_@)

      « celles en usage hier… »

  4. Avatar de Joeleplombier
    Joeleplombier

    Je partage l’objectivité de l’analyse de monsieur Djossou qui est édifiant.
    D’où la nécessité de repenser la décentralisation dans notre pays.
    Je passais
    Le Plombier

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