On peut craindre de parler ou d’écrire sur la politique, mais on ne peut craindre de servir son pays. Les conditions historiques qui ont prévalu à la constitution de l’Etat en Afrique et au Bénin expliquent pour une bonne part le dés-amour qui a caractérisé et caractérise les rapports des Béninois avec la chose politique. Il n’y a pas lieu de s’en étonner : l’Etat béninois, à l’instar des Etats africains enfantés par la colonisation, a vu le jour dans l’adversité, je dirai une double adversité. Adversité dans l’affranchissement du joug colonial. Adversité dans les coups bas pour le pouvoir politique suscités et encouragés en partie par le système colonial.
Aussi le pouvoir politique au Bénin est-il à l’image de ce masque africain, masque magique, masque sortilège et tentateur qui donne envie qu’on le porte et, aussitôt porté, parasite tout pouvoir, y compris celui de s’en défaire, puisqu’il rend fou. Libéré de sa raison première et rendu errant par la perte de tous repères, il transforme peu à peu de l’intérieur l’apprenti sorcier pris à son propre piège en un monstre social plein de menaces pour la république. C’est de ces menaces permanentes et insidieuses que naît la crainte des citoyens qui croient pourtant à l’idéal républicain au point de faire don de leur bonne foi.
Je veux, quant à moi, conserver mon droit d’écrire et surtout de parler à mes frères et sœurs béninois. Car, si dans une république on ne peut plus écrire ni dire ce que l’on pense de la conduite des affaires publiques sans peur des représailles des puissants, ce n’est pas le droit d’écrire ou de parler que l’on perd, c’est la république elle-même tout entière qui est menacée. On a donc peur, mais une peur thérapeutique, parce que c’est elle encore qui procure la foi, elle qui fraie la voie d’une république nouvelle, plus démocratique et plus respectueuse du droit ; parce que l’instinct de servir son pays, de ne pas trahir, est plus fort.
Il est temps que le soleil béninois luise pour chaque Béninoise et pour chaque Béninois, et non pour une poignée de privilégiés triés sur le volet !
Parce que le rêve d’un Bénin fraternel, juste et travailleur doit s’inscrire dans la réalité !
Parce que l’Aube Nouvelle ne doit plus rester lettre morte, balbutiée par l’esprit songeur et la voix implorante des citoyens qui perdent peu à peu patience devant la misère et l’asservissement généralisés !
Parce qu’il est temps que le devoir politique prenne le pas et sur le vouloir et sur le pouvoir politiques devenus les générateurs de la gouvernance par la faute!
Et précisément, je me propose ici de gager sur la bonne foi et surtout, par mon propre différentiel de parcours, faire la preuve concrète et constructive qu’une rupture positive peut être opéré en conjurant la gouvernance par la faute au Bénin.
Conjurer la faute politique en tant que mode de gouvernement et de gestion, tel est en effet le problème qui se pose chez NOUS et qui mérite qu’on s’y penche en cette occasion solennelle . Car de plus en plus, l’homme politique béninois ne s’engage pas en politique parce qu’il a une conviction ou est convaincu de servir loyalement son pays ; il s’engage plutôt parce qu’il cherche une place au soleil mais surtout parce qu’il cherche à se soustraire à une sanction collective. Soif de paraître ou quête d’impunité ? Assurément, mais pourquoi donc ? Parce que la pratique aujourd’hui au Bénin est que la faute passe pour le principe fondateur de l’engagement politique, que le Paraître conduit à l’Avoir et que l’Avoir pour l’Avoir conduit immanquablement à la faute. Aussi l’impunité est-elle vectorielle et sa quête génératrice de la faute. La règle générale est que quand on est sans faute ou plus ou moins sans faute, on est d’office déclaré inapte à l’action politique, qui pourtant est une action noble.
Ce qui fait que la plupart des dirigeants passent à l’action politique après avoir commis une faute ou avec la certitude d’en commettre pour assouvir des intérêts égoïstes préétablis ou établis. Le phénomène dit de « casseroles » a pris sans doute son essor de là, tout comme celui dit de » Tu me tiens, je te tiens ». Mais ce n’est pas seulement l’engagement politique individuel qui est ainsi compromis dans son esprit et sa lettre, c’est aussi les actes de nomination à des postes de responsabilité : ministres, préfets, directeurs généraux, chefs de projets, diplomates, etc. Du coup, ce qu’on appelle « l’échiquier politique » s’est transformé peu à peu chez nous, en un repère de citoyens hors-la-loi ou au-dessus de la loi, répréhensibles moralement ou pénalement, en un mot opérant en marge de la République. A cet égard, ils ont raison ceux qui comparent notre classe politique aux « animaux malades de la peste ». Jamais allégorie n’a aussi bien peint cette situation de passe-droit par la faute qui fait que ce sont les plus blâmables qui accèdent aux responsabilités politiques les plus élevées, jouissant de l’impunité la plus grande, et rendant la société où nous sommes pire qu’une jungle ! La jungle, en effet, repose sur une loi, celle des plus forts. Et même le lion qui pourrait se targuer d’être le plus fort parmi les plus forts doit son leadership au respect de cette règle. La différence donc avec la jungle, c’est que l’échiquier politique, tel qu’il s’est constitué au Bénin, ne respecte aucune loi, mais annihile toutes les règles du vivre ensemble, les rend impuissantes. Telle est la faute originelle de l’engagement et de l’action politiques depuis notre prise en main au milieu des nations. On peut là-contre invoquer l’exception que furent les pères fondateurs ; je réponds que c’est l’exception qui confirme cette analyse, les pères fondateurs étant pour la plupart des assimilés plus ou moins affranchis de la cause coloniale.
Certes, parlant d’impunité, convenons que l’accent n’est encore mis que sur sa quête par l’individu fraîchement engagé en politique ; mais il ne s’agit là justement que d’une quête, d’une requête. Que l’homme politique veuille vivre sous le parapluie de l’impunité est une chose, que le peuple, l’Etat, la société tout entière le lui concèdent en est une autre. Il y a donc lieu d’interroger aussi cette seconde impunité qui, elle, n’est pas quête, mais acceptation, complicité, irresponsabilité et, par suite, faute devant la faute. Une impunité qui n’est pas individuellement voulue mais collectivement cautionnée voire sacralisée. Comment la collectivité politique en arrive-t-elle à conférer à une poignée de citoyens un tel pouvoir, si grand qu’il déborde les limites de tout pouvoir, y compris sa propre souveraineté ? Ce que je puis dire de cette matière dont les fondements sont difficiles à cerner, c’est qu’un peuple qui consent à une telle négation n’est plus un peuple, du moins il ne l’est encore qu’en théorie, tel que l’esprit prédateur des requérants le conçoit, c’est-à-dire un faire-valoir. Mais cela signifie quoi ? A partir de l’instant où ce qui fait qu’un peuple est un peuple disparaît, il est aisé de savoir à qui profite la disparition : à ceux qui n’ont pas intérêt que le peuple subsiste, que subsiste sa souveraineté. Ainsi, l’homme politique béninois est, par sa quête irrationnelle d’impunité, le premier pourfendeur de la souveraineté du peuple et, par la certitude que cette impunité lui est acquise, le véritable bourreau du peuple lui-même. Ainsi, et la quête et la caution sont une seule et même chose mais c’est la quête qu’il faut s’atteler à prévenir et éradiquer, non sa caution.
Que la faute exprimée dans cette double impunité perdure n’est que juste et équitable salaire. La conséquence de tout cela, c’est que l’Etat et la société deviennent les obligés inconditionnels d’une oligarchie sans foi ni loi, établis en plein contexte démocratique. Un contexte entièrement aux mains des princes et des puissances d’argent. Une démocratie réglée sur les intérêts particuliers et concertés de ceux qui sont aux commandes. Le peuple ayant disparu comme entité autonome et homogène ainsi que sa souveraineté, parler d’Etat de droit, de Constitution ou même de justice sociale devient pure illusion et inconséquence. D’où les échecs et les désillusions sans fin, sorte d’épopée maléfique qui se célèbre chaque 1er Août chez nous, au nom d’un peuple absent ! Disons-le : A l’allure où vont les choses, et comme cela arrive souvent sous d’autres cieux, le Bénin court à une faute plus grande. Et c’est parce qu’il faut prévenir le crime politique chez nous, empêcher, comme dit Senghor, « la déchéance de l’être », que nous devons impérativement conjurer la gouvernance par la faute en attaquant directement et sans ménagement son vecteur porteur, l’impunité.
C’est mon cri de Cœur afin que l’impératif d’un Dialogue National devienne enfin réalité pour exorciser cette tendance lourde préjudiciable au vivre ensemble et au développement.
Célestine ZANOU
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