Depuis quelques mois, on assiste à une prolifération des cas de suicide dans le septentrion. Si le phénomène est mondial et répandu dans tous les continents, c’est sa fréquence dans certaines régions du septentrion qui inquiète. Et à ce sujet, il y a une part d’incompréhensions à élucider. Les cas de suicides sont de plus en plus déplorés au Bénin. En témoignent les tout récents cas survenus dans la partie septentrionale. En début de cette année 2020, un enseignant s’est donné la mort en se jetant dans un puits dans la commune de Djougou.
Tandis que le corps sans vie d’un homme, enseignant la trentaine environ a été retrouvé le lundi 02 mars 2020 dans sa chambre à Yadékparou, une localité de la commune de Banikoara. Il se serait suicidé par pendaison selon les résultats de l’autopsie suite à une déception amoureuse. Toujours dans la même commune de Banikoara au quartier Aviation, c’est Chabi Yorouba Liassou, professeur aspirant d’anglais au Ceg Banikoara qui va se donner la mort le jeudi 22 octobre 2020 en se jetant dans un puits. La commune de Parakou enregistre au quartier Nima dans le deuxième arrondissement, une institutrice qui s’est suicidée par pendaison le mercredi 21 octobre 2020. Son corps sans vie a été découvert dans sa chambre par ses voisins.
Mais avant, le cas de l’institutrice, c’est Abdel Aziz Idrissou dit le zinc qui fut technicien à radio Arzèkè FM de Parakou qui s’était pendu le mardi 21 juillet 2020 au quartier Banikanni dans le 2ème arrondissement de Parakou. Son corps a été retrouvé la corde au cou dans un fauteuil dans la chambre qu’il habitait. A cela, s’ajoute les cas de l’ancien garde de corps de l’ex maire Soulé Alagbé de Parakou. Le SD1 Tchanweni Jérôme s’est suicidé le mercredi 28 octobre 2020 vers 23h40 à Parakou en se tirant une balle dans le cou avec son arme de service selon les témoignages. JB quant à lui, la cinquantaine environ, s’est suicidé le 31 Octobre 2020 au quartier Souinrou Kpassagambou toujours à Parakou, laissant un courrier dans lequel, il demandait à ses sœurs de solder une dette de 30 mille francs qu’il détenait auprès d’une tierce personne qu’il a pris soin d’indiquer.
Autant de cas de suicides dont les raisons ne sont toujours pas connues des parents et proches. Ces derniers sont plongés dans le désarroi et éprouvent des sentiments de vives douleurs et de culpabilité. « En plus de la douleur, s’ajoute un sentiment de regrets et de culpabilité d’avoir peut-être manqué à un devoir d’assistance qui a conduit au suicide», a confié Charles Kouandi, un parent de JB. Pendant ce temps, un collègue d’Abdel Aziz Idrissou dit le zinc qui a requis l’anonymat, pense que c’est l’abandon, manque d’amour et de désespoir qui l’ont poussé au suicide. C’est pourquoi, il recommande, de ne pas laisser quelqu’un se sentir abandonné par tout le monde. Pour tenter de comprendre le suicide qui prend de l’ampleur, des hommes de science et de foi donnent leur avis sur le sujet.
Le sociologue Sotima Tchantipo et le psychologue Isaïe Nicanor Aimée sont unanimes sur la définition du suicide. Selon ces derniers, c’est le fait pour une personne de se donner volontairement la mort.
De la désaffiliation sociale
« Le suicide peut-être par pendaison, absorption de substances létale ou autre moyen », a précisé Dr Sotima Tchantipo. Pour lui, les causes du suicide en sociologie depuis Emile Durkheim résideraient dans la désaffiliation sociale. Un avis que le psychologue Isaïe Nicanor Aimée ne partage visiblement pas. Les causes du suicide, estime ce dernier, sont inconnues. Mais il croit savoir qu’il existe plutôt des facteurs de risques fréquents du suicide. La rupture des liens sociaux fragilise l’individu qui face aux difficultés de la vie, n’a plus le soutien de la société. Il est ainsi porté à se donner la mort. C’est ce que le sociologue, en réalité, désigne sous le vocable de désaffiliation sociale.
Selon le psychologue Isaïe Nicanor Aimée, deux grands facteurs peuvent généralement expliquer le suicide. Il a cité les problèmes psychologiques individuels ou facteurs psychologiques individuels et les problèmes sociaux ou facteurs sociologiques. C’est à dire l’influence des contraintes sociales sur l’originalité psychique de l’individu. Le psycho traumatisme, le stress, l’angoisse et le désespoir accompagné de solitude ou d’isolement social constituent les facteurs psychologiques qui cachent des troubles comme la dépression, le trouble bipolaire, la schizophrénie, l’alcoolisme ou l’abus de substances psychotropes. Concernant les facteurs sociologiques, il y a les facteurs de stress tels que les problèmes financiers ou des problèmes dans les relations humaines ; la désintégration sociale comme la pauvreté, le chômage, les crises économiques, les croyances religieuses, a indiqué le psychologue.
Dr Sotima Tchantipo justifie la récurrence des cas de suicides au Bénin, par l’individualisme de plus en plus poussé de la société marqué par le manque de solidarité et les difficultés de la vie. « A cela, pourrait s’ajouter, la culture de certains groupes sociaux béninois qui encouragent leurs membres à se donner la mort dans certaines circonstances », poursuit-il. Cette récurrence, fait observer pour sa part le psychologue Isaïe Nicanor Aimée, est plutôt justifiée par les facteurs psychologiques individuels et les facteurs sociologiques.
A la question de savoir, s’il y avait des métiers ou professions qui prédisposeraient au suicide, les deux hommes de science et enseignants dans les universités nationales du Bénin ont répondu par la négative. Tous les métiers au monde comportent des facteurs de risques psychologiques pour le suicide. Pour le sociologue, l’analyse des cas récents ne pousse pas à cette conclusion. Le psychologue estime pour sa part que sans une étude de cas, il n’est pas prudent d’affirmer que les derniers cas de suicide sont dus exclusivement aux facteurs psychologiques individuels ou aux facteurs sociologiques, ou encore à un concours de circonstances des deux facteurs. Cependant, il renseigne que, dans environ 80% à 90% des cas, les troubles mentaux sont présents lors de la crise suicidaire. Par conséquent, soutient-il, la co-morbidité augmente le potentiel de passage à l’acte. Face aux facteurs de risque de suicide, la prévention s’avère donc nécessaire.
Comment prévenir les cas de suicide ?
Pour prévenir le suicide, Isaïe Nicanor Aimée estime qu’il faut promouvoir les règles d’hygiène mentale afin de faciliter l’adaptation des personnes à leur milieu social. Lorsque des pensées suicidaires interviennent suite à un évènement interpersonnel immédiat, il recommande alors de se confier à un ami ou un membre de sa famille. Quant au Dr Sotima Tchantipo, il conseille de faire recours à un réarmement moral, une meilleure prise en charge des individus au sein de la société actuelle. Face aux limites des institutions classiques de socialisation, donc d’intégration de l’individu, il souhaite que l’État providentiel se substitue et prenne des mesures d’intégration des individus, à travers la création des emplois et des associations. Il est persuadé que la religion peut aussi jouer un grand rôle.
Dans le Septentrion, existe-il une communauté encline au suicide ? Les avis du sociologue et du psychologue sont partagés sur la question. Le premier pense que les populations de la région de la Pendjari notamment les Bialibè et Ngnindé sont tolérantes au suicide. Chez les Baatombu dans le Borgou, le suicide est toléré lorsque l’individu perd la face dans une situation. Ils pensent que le suicide est préférable à la honte ou l’humiliation. Le second, contrairement au premier, préconise une étude pluridisciplinaire qui va observer la récurrence du phénomène sur une période plus longue, avant toute affirmation. Car, les récents cas sont loin d’être des indicateurs pour conclure à identifier une communauté dans le Nord Bénin encline au suicide.
Les confessions religieuses et le suicide
« Le suicide est le fait de se donner la mort volontairement », admet également Issa Mohamed Awalou, imam de la mosquée centrale de Yarakinin. L’islam, précise-t-il, interdit formellement à un individu de se donner la mort volontairement. Car, Dieu le créateur est très miséricordieux envers ses créatures. « A cet effet, le suicide est l’expression d’une ingratitude envers Dieu. Celui qui se donne la mort volontairement doit savoir qu’il s’est réservé une place en enfer », indique avec précision l’imam. Ce qui traduit, le degré de l’interdiction de l’islam à celui qui se donne la mort volontairement, selon l’homme de Dieu. Pour ce dernier, les difficultés et péripéties de la vie ne peuvent justifier le suicide en islam.
La position de l’Eglise catholique sur le suicide est défendue par le père David Ahossinou des Oblats de François de Sales. Le suicide, c’est le fait de s’ôter la vie. C’est le fait de se donner la mort. Face à la question du suicide, l’Eglise commence par rappeler que la vie est un don de Dieu dont chacun doit répondre devant Lui : « Chacun est responsable de sa vie devant Dieu qui la lui a donnée. C’est Lui qui en reste le souverain Maître. Nous sommes les intendants et non les propriétaires de la vie que Dieu nous a confiée. Nous n’en disposons pas » (cf CEC n° 2280).
Partant de ce principe, elle rejette cet acte d’autodestruction qui nuit gravement à l’homme dans toutes ses dimensions. « Le suicide contredit l’inclination naturelle de l’être humain à conserver et à perpétuer sa vie. Il est gravement contraire au juste amour de soi. Il offense également l’amour du prochain, parce qu’il brise injustement les liens de solidarité avec les sociétés familiale, nationale et humaine à l’égard desquelles nous demeurons obligés. Le suicide est contraire à l’amour du Dieu vivant ».
Max CODJO /Partenariat OSIWA-LNT
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