,

(ENQUETE) Donga : Sèmèrè, entre isolement et pauvreté

Une population particulière, une longue histoire, une solidarité interne inégalable, un esprit de guerrier… Sèmèrè, une grande agglomération rurale du Nord Bénin, département de la Donga, est peu connue du béninois lambda, mais beaucoup plus par le peuple ghanéen, avec qui elle entretient des liens séculaires très étroits depuis des centaines d’années.  Presque isolée, cette terre béninoise et sa communauté demeurent  aussi très pauvres.

Elle est la toute première localité du Bénin à accueillir une visite inattendue du chef de l’État, Patrice Talon.  Sept mois après son investiture à la suite de la présidentielle 2016, il s’y est rendu précipitamment pour régler un conflit entre des chefs religieux musulmans ayant occasionné des pertes en vie humaine. Son nom est Sèmèrè. Cette grande agglomération rurale est constituée de deux arrondissements, Sèmèrè 1, Sèmèrè 2 sur les six que comptent  la commune de Ouaké, département de la Donga. Elle est située à  52km de Djougou et à plus de 500km de Cotonou. Une terre particulière qui abrite depuis plusieurs centaines d’années des habitants différents du béninois ordinaire en tout.

Publicité

Sannirirou est un vieillard de 82 ans et un fils pur sang  de Sèmèrè. Il raconte:  » Les premiers habitants de Sèmèrè, nos aïeux sont venus du Ghana et précisément des villages appelés Gandja, Kapété et Salégazongo, à la recherche d’un de leur chef disparu dans la nature,  Ousmane Dan Foodio, un guerrier mandingue. Après avoir traversé des régions du Togo, la première vague s’était installée ici sur une montagne pour quelques temps puis a poursuivi la route et les recherches vers d’autres localités du Nord Bénin« . Mais sur le chemin, le plus âgé du groupe est décédé. Ils ont alors décidé de retourner vers le site qui les avait abrités à Sèmèrè pour procéder à son inhumation.  Ils rencontreront sur les lieux une farouche résistance des Tanekas, un autre peuple du Nord Bénin qui en réclame aussi  la paternité, mais sera vaincu et poussé dehors pour toujours. 

C’est ainsi qu’ils s’installeront définitivement pour fonder ce qui constitue aujourd’hui Sèmèrè, un nom provenant de Samlè, désignant les porc-et-pics alors très nombreux dans les brousses locales, transformé par le colonisateur en Sèmèrè. Un royaume entier a été érigé avec une cour royale très respectée. « Après Manigri et Bafilo, Sèmèrè se retrouvait avec un certain prestige dans le cercle de Djougou » se rappelle le vieux Sannirirou qui ajoute qu’à ce jour, aucun fils de Sèmèrè ne se déchausse avant d’entrer dans le palais royal de Djougou.  » Le Sèmèrois est un vrai guerrier et un homme très courageux » vante-t-il, ajoutant : « Quand on parle de luttes traditionnelles depuis de longues années au Bénin, il faut venir à Sèmèrè. Les meilleurs au plan national sont d’ici. Certains sont aujourd’hui basés en France, au Sénégal où ailleurs et vivent de ce art » à  le croire.

Le Ghana, seconde patrie après le Benin

Des sources locales et des écrits historiques rapportent que les autorités royales de Sèmèrè, avaient même fait ériger une grande muraille tout autour du gros village de l’époque pour prévenir des représailles et toute invasion extérieure. Si les traces de  cette muraille, alors appelée Birini, ont complètement disparu, c’est un peu comme si  elles peinent à s’éloigner des habitudes et de la culture locale. Tout commence d’abord par la langue Foodo de Sèmèrè qui n’est  parlée nulle part ailleurs au Bénin  que dans cette localité, ou alors ce sont toujours entre les filles et fils de Sèmèrè, où qu’ils se trouvent. Fortement islamisée, presque toute la population, aucune autre religion n’y est pratiquée jusqu’il y a quinze ans où une église chrétienne s’est difficilement installée, sans avoir trop duré. Les premiers chrétiens catholiques, des Lokpa, sont arrivés dans cette localité  dans les années 1979.

Le Ghana est leur seconde patrie après le Bénin. Et ce n’est pas Fousseni Kondo, un fils de Sèmèrè, enseignant et ex directeur d’école qui le démentirait. Il  s’y est rendu plusieurs fois déjà.  » Il n’y a pas de famille ici à Sèmèrè qui n’a pas de lien avec une famille au Ghana » confie-t-il. A ce jour, rien n’a pratiquement changé dans les relations très proches entre les fils de Sèmèrè et le peuple du  Ghana. « Chaque fois qu’on veut introniser un roi à Sèmèrè, il va d’abord chercher sa couronne au Ghana qui est à 500km de vol d’oiseau d’ici.  Et dans chaque village de Ghana, il y toujours un fils de Sèmèrè dans la cour royale »  fait-il savoir, informant aussi, qu’il y a actuellement un cadre de Sèmèrè, candidat à la députation au Ghana pour les législatives en vue au pays de Nana Akufo.   » Le citoyen Sèmèrois est considéré comme un citoyen ghanéen. Lors du congrès de l’Association de développement de Sèmèrè organisé chaque année, plusieurs ghanéens y prennent part. » renseigne par ailleurs Fousséni Kondo.

Publicité

La promesse de Talon toujours attendue

 Considérée comme l’une des trois  agglomérations de l’Atacora Donga avant les années 1960, après Djougou et Natitingou, Sèmèrè, pour sa forte population aujourd’hui estimée à plus de 25000 âmes,  est « une communauté oubliée aujourd’hui » regrette-t-on dans les rues. Il y a à peine 15 ans que Sèmèrè a connu l’électricité. Quelques lampadaires solaires récemment installées assurent un faible éclairage la nuit par endroits sur les artères publiques. L’eau y fait suffisamment défaut aussi. A part les puits traditionnels qui assurent tant bien que mal les besoins en la matière aux populations, une seule adduction d’eau villageoise leur  sert à ce jour d’une source fiable d’ accès  à l’eau potable. Au plan sanitaire, c’est encore pire: un seul infirmier d’Etat s’occupe de la santé de ces 25 000 âmes, et des cas d’évacuation à Djougou doivent braver 51 km de route.

Troucou Nourou Dine, chef du village de Trucaré en a le cœur amer. Pour lui , »Sèmèrè ne mérite pas d’être encore à ce niveau parce qu’elle existe depuis fort longtemps et continue de produire de hauts cadres de l’Etat ».  Allusion à l’actuel ministre d’Etat, Abdoulaye Bio Tchané, feu l’ambassadeur Issa Kpara, le député Wallis Zoumarou, le Général Alassane Kpimbi ou encore le patron béninois de MTN Bénin, Saya, qui sont, entre autres,  tous originaires de Sèmèrè. Ce qui le révolte davantage est que toute la  localité n’est pas encore lotie à ce jour, un préalable important pour son urbanisation tant espérée. 

Fier d’être  un fils de Sèmèrè, malgré tout, Moukaila Mamane, capitaine des forces armées  à la retraite tient une petite quincaillerie au quartier Zongo. « Ce qui nous caractérise, c’est le sérieux dans ce que nous faisons. Vous pouvez tout faire à l’homme de Sèmèrè, mais la trahison, il n’aime pas » souligne-t-il.  L’esprit communautaire et la solidarité interne sont également si développés qu’un enfant d’un Sèmèrois est considéré comme l’enfant de tous les Sèmèrois. «  Ici, quand tu rencontres un enfant dans la rue en train de déambuler ou dans une mauvaise posture, tu le récupères automatiquement et tu fais tout pour  retrouver ses parents et tu le ramènes chez eux. Même s’il arrive que tu corriges un peu un récalcitrant, c’est sans aucune crainte que cela soit mal vu par ses parents. Bien au contraire, ils te  remercieront. »

Moukailla Mamane se dit fier de ce trait caractéristique du Sèmèrois et rapporte aussi tous ceux qui vivent ailleurs agissent de la même manière. Partout où ils sont, ils ont toujours un creuset de rencontre qui s’anime régulièrement et est consacré à des questions essentiellement liées au mieux être de chaque membre et au développement de leur localité. « Quand un Sèmèrois est en difficulté ailleurs, et il n’y a plus aucune solution, on s’organise pour le ramener au bercail et ensemble, on s’occupe de  lui » rajoute aussi le capitaine á la retraite avant de déplorer, lui aussi, la situation générale de précarité de vie qui règne à Sèmèrè. Au cours de son passage, il y a plus de quatre ans dans la localité, le président Talon avait fait une promesse ferme et il y est toujours attendu. Il s’agit de la reconstruction de la voie Sèmèrè- Alédjo Pénéssoulou longue de 49km, surtout avec son pont en état de dégradation avancée, impraticable en saison pluvieuse. Il avait surplace baptisé ce projet « route de la paix« . Et avait tenu à préciser ceci: « Nous n’avons pas encore planifié dans notre plan de bitumer la route qui vient à Sèmèrè. Mais comme je suis venu ici aujourd’hui, un grand jour, et qu’il vous tient à cœur que venir à Sèmèrè ne soulève plus la poussière, alors, je vais décider tout seul, alors que je n’ai pas tenu de séances avec les ministres, d’inscrire votre doléance. » Satisfait de ses « nombreuses réalisations » dans le pays depuis qu’il est au pouvoir, le militaire retraité tient à rappeler cette promesse à Talon. Il est également très préoccupé de la santé de la population nombreuse de Sèmèrè assumée par un seul infirmier d’Etat. Entre cadres et autres fils du coin, ils s’organisent déjà  pour faire recruter un second infirmier et  se sont engagés  auprès des autorités compétentes à assumer eux mêmes ses rémunérations mensuelles.

La mairie de Ouaké ne cache pas  son impuissance  à faire face, elle seule, aux multiples problèmes qui se posent à Sèmèrè aujourd’hui.  » L’Etat central est la seule voie de recours  pour nous.  La mairie ne peut pas grand chose. Notre budget de fonctionnement fait pitié » se lamente, Zacharie Adamou Moustapha, premier adjoint au maire de Ouaké et natif de Sèmèrè.  Pour lui,  les trois problèmes cruciaux dont le règlement rapide apportera un debout de soulagement aux populations de Sèmèrè se résument à l’état de dégradation de la  voie, à la pénurie permanente de  l’eau et à la question sécuritaire liée à l’ insuffisance criarde de l’éclairage public.

Erickson Assouan Partenariat OSIWA-LNT

14 réponses

  1. Avatar de KM Moubarak
    KM Moubarak

    Vraiment les semerois doivent se prendre aux sérieux pour le développement de leur localité.J’ai aimer l’histoire de beau village le semere merci

  2. Avatar de Ambeli
    Ambeli

    Vraiment que c est l histoire des boda seul je lit ici pour la forme sinon le fond est à féliciter monsieur le rapporteur

  3. Avatar de Tchité
    Tchité

    En ce temps où toutes les régions du Bénin quémandent(doléances par ci par la), dans le domaine de la recherche et la technologie, la Chine revient hier de la lune avec des roches et sable lunaire pour de plus grandes recherches. De jamais vu dans l’histoire de la recherche.

  4. Avatar de Tchité
    Tchité

    Ne peuvent-ils pas envoyer directement leur lettre au prégo en personne, au lieu de passer par ici?

  5. Avatar de Tchité
    Tchité

    Ne peuvent-ils pas envoyer directement leur lettre à Talon en personne, au lieu de passer par un journal( LNT)?

  6. Avatar de sultan aziz
    sultan aziz

    Je crois aussi….que les sémèrois…ont donné…les premiers cadres du nord benin

    Mon enseignant….de c.i…fut un certain arouna de sèmèrè

    J’ai eu une tutrice sèmèrouaise quand vers..12 ans j’avais des difficultés

    A vrai dire…ils sont bons…!!!

  7. Avatar de Lassidou ISSA
    Lassidou ISSA

    Par rapport à l’histoire je suis resté sur ma fin puisque j’ai lu là l’histoire des Bida de Semere et non l’histoire de Semere. Merci pour le travail

  8. Avatar de rodrigue
    rodrigue

    Belle plume qui doit réveiller le patriotisme. Merci

  9. Avatar de Mike
    Mike

    Merci pour ce reportage!

  10. Avatar de Joeleplombier
    Joeleplombier

    Une visite élogieuse de nos compatriotes de Semerè par notre ami Assouan
    Une belle plume agréable à lire
    Chapeau l’artiste
    Vivement qu’on s’occupe de cette localité et de sa population
    Une leçon d’histoire
    Je passais
    Le Plombier

    1. Avatar de Joeleplombier
      Joeleplombier

      Lire : visite élogieuse contemporaine

  11. Avatar de Le flux
    Le flux

    J’ai du plaisir à lire ce reportage sur la localité de semere

  12. Avatar de BABALOGOUN
    BABALOGOUN

    A Sultan Aziz tu devrais aller aider les populations de tes grands parents esprit malin

    1. Avatar de sultan aziz
      sultan aziz

      Je ne suis pas de sèmèrè..mais j’ai de rapports et de souvenir…avec ce peuple..

      Je confirme…que c’est un brave peuple fier de son authenticité

      Ma fiancée…de jeunesse…fut une sémèrouaise…fille du colonel zoumarou wallis

      Hélas…!!

Répondre à Le flux Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Publicité



Publicité