Le mercredi 23 décembre 2020, le ministre des Sports, Oswald Homéky a annoncé la réouverture des stades sur toute l’étendue du territoire national. Cet allègement intervient après neuf mois de chômage imposés à tous les sportifs à cause du coronavirus. Neuf mois sans travail. Neuf mois sans salaire. Neuf mois de misère et de stress. Voilà ceux à quoi les sportifs Béninois en général et les joueurs de football en particulier ont été confrontés depuis mars au mercredi 23 décembre 2020.
Loin des terrains, ils se sont retrouvés du jour au lendemain sans travail et sans revenu. «On souffre trop », a confié un joueur rencontré à la devanture du CEG de Comé, dans la première quinzaine du mois de décembre. «Depuis près de huit mois, je n’ai plus de travail. J’ai dû me résoudre à aider un de mes parents à vendre de l’essence frelatée pour qu’il puisse me donner à manger », raconte-t-il. Un autre fait remarquer qu’il a été viré de sa chambre avec sa femme par son propriétaire parce qu’il devait plus de quatre mois de salaire. Ayant pris part au récent tournoi qualificatif de la zone B de l’UEMOA pour la Coupe d’Afrique des nations juniors de 2021, un autre joueur confie : «C’est Dieu qui a fait que j’ai payé mes arriérés de cinq mois de loyer. J’ai supplié mon propriétaire fatigué avant que cette opportunité ne vienne. Si je n’avais pas eu cette occasion, où j’allais rester ?».
C’est dire que depuis que le ministre des sports a fermé les stades, les athlètes et principalement les joueurs de football sont retournés à la précarité. Chaque jour, ils doivent rivaliser d’initiative pour pouvoir subvenir à leurs besoins. Il est vrai que dans l’environnement du sport béninois, les athlètes s’engagent avec les clubs souvent sans contrat formel. Mais, même si l’employé ne paie pas à bonne date et la totalité de ce qu’il doit, cet environnement permettait aux joueurs d’avoir un peu de fonds pour payer par exemple le loyer et subvenir à leurs besoins. Et tout le monde est d’accord qu’il faut revoir l’environnement et le professionnaliser. Mais, en arrêtant les activités de fait, on a créé des dommages aux clubs et surtout aux joueurs.
Des impacts psychologiques
Faousa Sabrossa Boni, Kinésithérapeute des Buffles du Borgou, club de première division qui vient de représenter le Bénin à la league africaine des clubs champions explique qu’une interruption non désirée de près de neuf mois d’activité professionnelle des sportifs et leur isolement peuvent conduire, entre autres conséquences, «à la peur d’être laissé pour compte dans la préparation physique, à la perte de soutien familial et social et les problèmes financiers ». Et sur le plan psychologique, cette situation d’adversité peut entraîner des troubles d’humeur et des troubles anxieux voir une dépression cruciale. Surtout, si le joueur a des pathologies antérieures telles que l’insomnie, les troubles obsessionnels compulsifs, dans cet état, ces pathologies peuvent être aggravées. Elle fait remarquer que dans le cas d’une interruption d’activité contre le gré du joueur, les conséquences d’un arrêt peuvent être comparées à une blessure ou à une retraite sportive. La Kinésithérapeute relève que «la pratique sportive est associée à une plus grande estime de soi dans différentes facettes de la vie, mais lorsqu’elle se développe dans des environnements de convivialité professionnelle, des facteurs de stress potentiellement graves apparaissent et cela déséquilibre les sportifs dans leur identité avec des conséquences sur leur santé mentale ». Et «il y a une perte d’estime de soi aussi qui s’installe surtout quand certains étaient habitués à entendre parler d’eux presque chaque fin de semaine à la radio ou à la télé ou à lire leurs noms très souvent dans la presse écrite et que tout d’un coup, ils ne voient plus leurs noms dans les médias chaque semaine ». Selon Faousa Sabrossa Boni plusieurs questions peuvent passer par la tête des joueurs comme «qui suis-je, où vais-je, qu’est-ce qui va suivre? ». Elle précise que jusque-là, les joueurs ont vécu en poussant leur corps à la limite, rivalisant avec eux-mêmes pour voir jusqu’où ils peuvent aller. «Une vie sans ces défis ou incitations les a fait se sentir complètement hors de propos », souligne-t-elle.
Des impacts sur la performance
Pendant la pandémie, il y a eu une perte de statut économique, de soutien social et de fans. Ce sont des situations qui affectent le stress à travers un sentiment d’impuissance et d’isolement. Et tout cela agit sur leur résultat sur le plan physique. Certes, chacun travaille de son côté pour toujours être en jambes mais «la question est de savoir s’ils faisaient le même temps de travail, est-ce que les -répétitions et les volumes étaient respectés, est-ce que l’objectif fixé dans le planning de la semaine était réellement atteint ».Pour certains peut être oui et pour d’autres non. De toutes les façons, «le plan physique reçoit aussi un coup ». Si le plan physique reçoit un coup, il faut savoir que la performance aussi ne sera pas bonne. Donc il faut un plan stratégique de travail de la part de l’encadrement technique et l’encadrement médical. Il va falloir que le joueur, le staff technique et médical joue un grand rôle pour atteindre l’objectif.
De la discrimination dans le traitement
Malgré tous ces désagréments, l’Etat béninois n’a rien prévu pour venir en aide aux joueurs. Pendant que l’Etat a levé le cordon sanitaire instauré entre temps et l’interdiction des transports en commun ; pendant que les classes ont rouvert leurs portes et que les marchés s’animent sans restriction, le gouvernement béninois a maintenu les stades fermés et contraint les athlètes au chômage. Des pères de famille et les mères de famille ont été mis au chômage. Quand on prend le cas du football, le Bénin a 34 clubs en ligue 1 et en ligue 2. Il y a aussi la ligue 3 et le championnat amateur au niveau des ligues départementales. Donc, si on prend les joueurs, les encadrements techniques, le personnel des clubs, les arbitres et tous ceux qui interviennent directement ou indirectement dans le football, c’est plus d’un millier de personnes. Le gouvernement est venu en aide aux entreprises et à certains groupes sociaux impactés par la restriction des activités pour cause de coronavirus. Mais, rien n’est fait pour soutenir cette frange de la population. Comme si, leur condition importe peu et qu’ils n’ont rien perdu.
Un cas de violation de droit humain
Face à ces désagréments causés aux joueurs, la réouverture des stades ne peut se faire sans penser à une compensation. Et cette compensation doit se faire après avoir situé les responsabilités. Selon l’expert des droits humains, S.J.C.P.A, dans le cas d’espèce, la faute ne peut pas être imputée aux présidents de clubs. Il explique que l’interruption des activités sportives est une conséquence de la décision de l’Etat à travers le ministère des Sports de fermer les stades sur toute l’étendue du territoire national. Et donc, l’arrêt des activités sportives n’est pas une volonté des présidents de clubs. Mais si l’Etat a pris sa décision pour faire face à la propagation de la COVID-19 qui est un cas de force majeure, il n’en demeure pas moins qu’il a violé le droit des joueurs. Car, l’article article 23 alinéa premier de la déclaration universelle des droits de l’homme dispose que «Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage ».
La possibilité d’un recours pour un plaidoyer
Dans la situation actuelle des athlètes avec la reprise imminente des championnats, une porte s’ouvre à eux pour quand même exiger réparation pour les préjudices subis. Les athlètes ont la possibilité de saisir la Commission béninoise des droits de l’homme (CBDH). Cette commission peut être saisie par toute victime présumée ou ses ayants droit, les ONGs des droits de l’homme et toute personne physique ou morale intéressée. La saisine peut être faite par une déclaration verbale ou lettre enregistrée au bureau de la CBDH, tout autre moyen utile et pratique (appel ou en ligne sur le site de la commission : cbdh.bj).La requête doit préciser l’identité et l’adresse de l’auteur et celle de la personne ou de la structure mise en cause et spécifier sommairement la nature de la violation commise. Une fois la requête envoyée, la Commission va l’analyser et va procéder à l’investigation. Et ce n’est qu’après cela qu’elle va pouvoir statuer et aider la victime si elle a raison et si elle le souhaite.
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