Un engagement collectif qui s’enracine dans les comportements au fil des ans. Dans le nord du Bénin, en particulier dans la Donga, les peuples Lokpa et Foodio, majoritairement natifs de Ouaké et ses environs, sont réputés comme d’excellents « donneurs de sang ». Depuis des décennies, ils s’organisent volontairement et se mobilisent pour fournir le précieux liquide, sauvant des milliers de vies humaines. Un engagement parfois émoussé par des frustrations et quelques indignations.
Karim Fousséni, la trentaine est un Foodio- ethnie dominante à Sèmèrè, commune de Ouaké dans la Donga- et un photographe professionnel. « J’ai déjà donné 50 fois mon sang, depuis 5 ans que j’ai commencé à le faire. J’ai pris cette résolution depuis que la situation des enfants anémiés a commencé à m’affoler quand je me rendais dans des centres de santé ». Lorsqu’il a vécu lui même une triste scène, où une femme pleurait à chaudes larmes avec, dans ses bras, un enfant anémié et presque mourant dans l’un des centres de santé de Ouaké, son engagement s’est fait total. Il lui est arrivé de donner deux fois son sang dans le délai de trois mois presque pour n’en fournir qu’une seule fois, sur demande des responsables du centre de santé, rassurés qu’il en avait la capacité. « Nous sommes tellement organisés ici à Ouaké qu’il n’y a jamais eu de pénurie de sang dans notre centre de santé. C’est la veille permanente », dit-il. En plus des Foodio, les Lokpa très majoritaires à Ouaké et ses environs aussi s’adonnent volontiers à cette œuvre humanitaire. Dans sa famille, à le croire, il y a beaucoup de donneurs de sang. « Nous atteignons au moins 10. On ne s’attend à rien gagner en retour. La santé n’a pas de prix », souligne-t-il.
Abdoulaye Kanté a aujourd’hui 50 ans et vit à Tchalinga, un des villages très célèbres en la matière pour la quantité de ses donneurs de sang, situé à au moins 25 km du centre-ville Ouaké. Il s’y est attelé pendant 10 ans au moins avant de lâcher prise, sa santé devenant fragile. « Avant l’avènement d’une unité spéciale de transfusion sanguine ici à Ouaké, je fais partie des anciens donneurs qui n’hésitaient pas à se rendre à Djougou à plus de 50km d’ici pour le même but. Et j’y allais avec plaisir, parce que j’ai la certitude que de par mon geste, des vies humaines seront sauvées », se réjouit-il.
Abdel Azim, un autre jeune donateur de sang, un Foodio également et étudiant en fin de cycle à la Fast/Uac le fait depuis la classe de première au collège. « On ne peut pas arracher à l’être humain toute la quantité du sang qu’il a dans son corps. On ne prend qu’une petite quantité pour sauver des vies humaines », minimise-t-il, ajoutant qu’il est exalté par la forte motivation qui s’observe dans toute la commune de Ouaké autour du don de sang. « C’est comme si c’est inné en nous. Quelque soit le type de groupe sanguin, vous allez trouver la disponibilité à Ouaké », informe-t-il. Il revendique la décoration des donneurs de Ouaké au plan national, parce que dans tout l’Atacora/ Donga, il estime que cette commune demeure en tête en la matière. A l’endroit des jeunes de la localité et de tout le Bénin, il lancera cet appel: « donner son sang, c’est d’abord sauver une vie. Cela permet également de renouveler ses tissus sanguins et de se rajeunir, contrairement à ceux qui pensent que quand on donne son sang, on vieillit vite. C’est archi faux ».
Plus de 500 donneurs de sang, plusieurs cellules de base à Ouaké
Une dizaine de cellules de bases chargées de la sensibilisation des populations dans les zones urbaines comme dans plusieurs villages existent à Ouaké. Le seul arrondissement central en compte 06. Pour le Président de l’Association des donneurs de sang de cette commune, Zoumarou Alhassane, « C’est une question d’organisation, de volonté et surtout d’amour pour sa commune, et au delà, sa patrie. Tous les membres de ces cellules perçoivent de modestes moyens pour leur déplacement vers les villages mais ne s’en offusquent guère. Plus de 500 donneurs membres de cette association se manifestent spontanément pour donner leur sang à Ouaké. Certains à en croire le président bravent des vingtaines, voire des trentaines de kilomètres, à leurs propres frais, pour venir donner de leur sang dans le centre de santé. Le don de sang est désormais ancré dans la culture de l’homme de Ouaké. Si ailleurs, des gens craignent à ce jour, qu’en donnant leur sang, ils vident leur corps et pourraient mourir au profit de la santé d’une autre personne, c’est tout le contraire dans cette localité de la Donga et ailleurs dans le septentrion.
Chaque trois mois, depuis plus de vingt ans déjà qu’elle existe, l’Association des donneurs de sang locaux arrive à mobiliser plus de 150 poches de sang au moins, selon son président. En dehors des cellules de base créées, la mobilisation et la sensibilisation ont également gagné les nombreuses mosquées et des églises chrétiennes de la commune. Les prêches des imams en font la part belle régulièrement depuis que l’un d’entre eux a vu son enfant mourir d’anémie sévère.
A la dernière célébration de la Journée mondiale de transfusion sanguine, les populations de Ouaké ont été félicitées lors des manifestations nationales organisées à Tanguiéta. Le président ne cache pas sa satisfaction même s’il réclame plus d’actes de reconnaissance aujourd’hui de la part des autorités compétentes. « Nous voulons organiser très bientôt une journée de fidélisation de nos donneurs de sang et nous plaidons pour que les responsables nationaux en charge de la santé nous fournissent au moins 500 tee-shirts et autres pour les motiver. Il réclame aussi des dispositifs appropriés pour ces donneurs pendant le prélèvement, qui continuent de s’allonger sur des bancs ordinaires ou des couchettes de fortune ».
Ouaké, point de convergence de plusieurs cas d’anémie venus d’ailleurs
Yacoubou Aziz, biologiste médical de formation est le point focal du Poste de transfusion sanguine de Ouaké (Pts). « Au niveau de la commune de Ouaké, il y a un engouement extraordinaire autour de la consolidation de la chaîne de vie. Vous n’êtes pas sans savoir que par jour, ce sont des milliers de personnes qui perdent la vie à cause du manque de sang », fait-il observer. « C’est depuis 2009, que nous nous sommes lancés dans cette bataille pour que les gens ne meurent plus pour faute de sang. Nous avons travaillé avec toutes les couches socioprofessionnelles de notre commune et montrer l’importance du don de sang. Pour une population qui a souffert pendant des dizaines d’années de graves cas d’anémie, surtout pendant les saisons pluvieuses et qui trouvent aujourd’hui l’occasion d’abriter un Poste de transfusion sanguine, elles ont très tôt compris qu’il faut le faire vivre », explique-t-il. Résultat: partout dans les quatre coins de Ouaké aujourd’hui, il y a des cellules de dons de sang.
Pendant l’année scolaire, les responsables du Pts de Ouaké ont la facilité d’aller dans les collèges locaux. Avec l’aide des directeurs et surveillants généraux, ils arrivent à faire énormément de prélèvements. Si les élèves, premiers donneurs de sang sont les plus nombreux de la commune, les besoins s’accroissent pendant les vacances. Il fallait donc varier les cibles en se rabattant vers la population en général. « Nous avons aujourd’hui à Ouaké des donneurs de sang au niveau de toutes les franges de la population. Même au niveau des églises et des mosquées. Quand ça chauffe, on est dans les églises les dimanches et les vendredis, avec l’aide des imams, nous allons dans les mosquées. Bien entendu, nous descendons aussi dans les villages et avec la forte implication des élus locaux, nous arrivons à faire des collectes de sang à tout moment de l’année, si bien qu’au niveau de notre Pts ici, il est extrêmement rare d’avoir de pénurie de sang », affirme-t-il. « Le médecin chef, le médecin coordonnateur de la zone sanitaire, la Direction départementale de santé, tous se donnent la main pour que la disponibilité du produit sanguin ne souffre aucunement ici », rassure-t-il.
En 2020, il a été prélevé près de 1600 poches de sang dans la seule commune de Ouaké, un record au plan national, selon des données statistiques. « En matière de don sang, il y a certes d’autres communes qui font des prouesses, mais on va nous compter au bout des doigts, non seulement dans le département de la Donga, mais dans tout le Bénin », clame le point focal. A le croire, Ouaké est devenu le point convergent des cas d’anémie, même les plus graves dans l’Atacora/Donga et au delà. «Nous recevons des malades qui viennent de Parakou, des 2KP, de Kouandé, de Natitingou, de Ketou, du Nigeria et du Togo voisin. Les hôpitaux de Kara envoient pratiquement ici tous les cas admis à leur niveau. On en reçoit même de Sokodé qui est pourtant un centre de référence en matière de don de sang dans le nord Togo »,informe-t-il. Des données récentes issues des investigations menées rapportent qu’au dernier point fait, à la date du 08 janvier 2021, pour le groupe sanguin O+, Ouaké disposait de 22 poches, Bassila 0 poche, Djougou 0 poche, Kérou 0 poche, Natitingou 4 poches.
De la sécurisation du dispositif en place
Plusieurs personnes pourraient s’interroger sur la sécurisation du dispositif mis en place et la qualité du sang si abondamment disponible à Ouaké. Le point focal du Pts Yacoubou Aziz donne des assurances. « Il faut dire qu’il y a d’abord la volonté d’aller vers un poste de don de sang. Mais lorsque tu viens et tu veux faire don de sang, il y a un ensemble de critères qui sécurisent autant le donneur que le receveur. L’âge, le poids, certaines maladies et consorts », détaille-t-il. « On vérifie tout sur le donneur. Et lorsque le sang est prélevé, il n’est pas utilisé tout de suite à un malade. Ce sang subit d’abord un certain nombre d’examens. Après tout ceci, si ce sang est certifié conforme, il peut être donné à un malade. Quand il n’ est pas conforme, il est assujetti à la destruction par le service d’hygiène du centre. Il y a donc tout un dispositif sécuritaire tout autour », renseigne le Point focal. Et de poursuivre : « N’importe qui ne vient pas prendre du sang dans un Poste de transfusion sanguine, il y a des critères, des formalités et des documents à remplir provenant d’une structure sanitaire. Et nous prenons toujours le soin de rappeler d’abord ladite structure pour des vérifications nécessaires » laisse-t-il entendre, saluant le « dynamisme et la parfaite organisation » mis en place depuis quelques années dans ce secteur par l’Agence nationale de transfusion sanguine.
Le maire, des chefs d’arrondissement….tous donneurs de sang
D’après les normes nationales et les recommandations des institutions sanitaires, si 2% de la population béninoise pouvait donner son sang, il n’y aurait jamais de pénurie. Et déjà les nombreux donneurs de Ouaké et ses environs amènent déjà la commune à s’y approcher. Une source proche de la Direction départementale de santé de la Donga confirme que Ouaké n’est plus très loin de ce chiffre. Résultat d’un travail de fourmi et d’une implication exceptionnelle des autorités locales. Tout le monde a compris à Ouaké la nécessité de donner son sang pour sauver des vies. Le maire de la commune Ouolou Dramane, des chefs d’arrondissement et plusieurs autres élus locaux sont tous des donneurs de sang. « L’implication des élus locaux a été très déterminante. Quand vous descendez dans un arrondissement ou le responsable numéro 1 vient en premier donner son sang, c’est normal que la population y adhère », observe la même source. Le premier adjoint au maire Zacharie Adamou Moustapha est fier de donner son sang, non seulement pour sauver des vies mais pour montrer l’exemple. « C’est avec bonheur que je le fais chaque fois pour susciter l’adhésion massive de nos mandants, car un responsable doit toujours donner l’exemple en premier pour montrer l’intérêt et tout le sens de l’acte qu’il appelle sa population à poser »,insiste-t-il.
L’histoire autour de ça aussi est qu’il y a eu à Ouaké, beaucoup de personnes qui ont perdu leurs parents dans le passé parce qu’elles n’ont pas trouvé du sang. En ce moment, la commune n’était pas encore autorisée à abriter un Poste de transfusion sanguine. « Maintenant qu’on a l’opportunité, chacun se dit, moi j’ai déjà perdu un parent par manque de sang, pourquoi ne pas mobiliser des gens à aller donner leur sang pour que d’autres personnes ne subissent pas le même sort que moi, en son temps », analyse l’autorité communale. Elle en appelle d’une part à plus de volonté politique et aussi à de bonnes volontés au plan local pour mieux accompagner et encourager les nombreux donneurs de sang de Ouaké. « Que les gens le comprennent : le sang n’est pas pour l’agent de santé ni pour faire plaisir aux centres de santé, mais c’est pour nous même. Demain, on ne sait pas qui sera dans le besoin. Tout le monde peut avoir problème de sang à tout moment et en tout lieu. Un accident ou une maladie peut vous apporter à être dans un besoin pressant de sang pour ne pas mourir. Le don de sang est indiqué tous les 3 mois chez l’homme et tous les 4 mois chez les femmes. Mais au moins une fois dans sa vie, il faut qu’on donne son sang pour sauver l’humanité à un moment donné. » conseille-t-elle.
Erickson Assouan, Partenariat OSIWA-LNT
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