CEDEAO des peuples, profiter de la crise pour repenser notre communauté

La CEDEAO, communauté économique des états de l’Afrique, regroupement de quinze états ouest-africains, traverse une profonde crise multiforme. Cette crise qui prend source dans les différents putschs militaires (Burkina-Faso, Guinée, Mali et Niger) et s’aggrave avec la sortie annoncée de trois pays membres fondateurs.

Je le dis tout de go : la sortie des trois pays de l’AES (Burkina Faso, Mali et Niger) est autant démagogique que dangereuse : dangereuse pour la démocratie dans des pays où les dirigeants, de fait, ont fait le choix d’une gouvernance fermée. On arguera que les élections ne font pas la démocratie, mais comment restaurer un régime légitime, comment créer de la confiance si ces régimes militaires se refusent à tout calendrier électoral clair et convenu. 

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La crise profonde que prolonge cette sortie des états de l’AES de la CEDEAO doit nous imposer de repenser le modèle de construction de notre communauté. Nous admettons que la CEDEAO est la construction la plus aboutie des cinq blocs régionaux africains. Les interventions militaires et sanctions, depuis 1999 et le protocole additionnel, ont été jusqu’à ces dernières années, relativement couronnées de succès. Que ce soit en Sierra Leone, au Liberia, en Côte d’Ivoire ou en Gambie les interventions de la CEDEAO ont permis de stabiliser les pays et de faciliter les transitions. 

Les atermoiements et graves maladresses sur les cas malien, burkinabé, guinéen et nigérien n’ont pas conforté cet interventionnisme, pourtant bienvenu. Les différents régimes de sanction, ou les bénédictions tacites accordées (le Burkina de Damiba puis Traoré n’est pas sous sanction hormis la suspension et la Guinée de Doumbouya se voit dérouler le tapis rouge) ont laissé l’impression d’une organisation sous influence, en fonction des intérêts des parrains. 

C’est là toute l’opportunité, si opportunité il faille voir, de cette crise. Permettre à la CEDEAO de se réinventer et de prendre le pouls des récriminations légitimes de sa population. La crise actuelle ne devrait pas se résoudre dans les discussions des salons feutrés ou dans les arrangements politiques entre protagonistes. 

Elle doit donner lieu à une refonte structurelle de l’organisation pour l’aligner sur les ambitions de sa jeunesse et la rendre moins bureaucratique. La CEDEAO a une belle opportunité de se débarrasser du manteau de « syndicats des chefs d’état » ou d’instrument de néocolonialisme à la solde de puissances étrangères. 

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Quelques pistes me semblent à privilégier dans ce sens 

Les dirigeants ouest africains doivent avoir le courage de reposer le débat des troisièmes mandats au sein de la communauté, considérés par l’opinion publique comme des coups d’état civils. Si les premières tentatives ont échoué du fait des oppositions de la Gambie et du Togo (Yahya JAMMEH et Faure GNASSINGBÉ), puis de la Côte d’Ivoire (Alassane Ouattara), cette crise offre une belle opportunité pour les chefs d’état de la région de s’aligner avec les aspirations au changement de leurs populations. À l’avant-garde continental, nous serons le premier bloc à poser clairement le principe de l’interdiction des troisièmes mandats, sous quelque forme qu’elle puisse subvenir. Cette disposition pourrait renforcer le protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité.

La CEDEAO des peuples passe aussi par des mécanismes de soutien communautaire. Si les militaires au pouvoir dans les pays de l’AES se plaignent, à juste titre, d’un manque de soutien de la CEDEAO dans leurs combats contre le terrorisme, il faut entendre le besoin pressant de solidarité qu’ils expriment. En Afrique, la tradition enseigne que quand la cour du voisin brûle, il faut accourir pour éteindre les flammes. La CEDEAO doit se doter de réels mécanismes militaires et sociaux, des outils rapides d’intervention au profit des pays en crise (sécuritaire, financière et politique). La CEDEAO des peuples, c’est aussi l’indispensable mécanisme de consultation populaire, en dehors d’un parlement inaudible et dont le rôle est méconnu de ses populations. Il est peut-être arrivé, le moment de poser les débats d’intégration en réformant le principe de désignation des députés du parlement de la CEDEAO et en procédant à une élection directe auprès des populations. Cela implique un renforcement des prérogatives du parlement, et donc de la communauté. 

Enfin, il est peut-être venu, le moment, de doter la commission d’organes indépendants et non soumis aux intérêts de leurs pays respectifs. La présidence de la Commission de la CEDEAO doit cesser d’être une récompense pour les politiques, et disposer de véritables outils de pouvoir : sanctions contre les entraves à la libre circulation des personnes et des biens, sanction contre les mauvais élèves de la gouvernance économique et politique, et le président de la commission doit faire lui-même l’objet d’une élection (peut-être indirecte) et non d’une nomination. 

La CEDEAO est un formidable instrument. Celui d’abord des peuples. Des communautés qui ne connaissent ni frontières et dont le brassage va au-delà des langues pour s’intégrer dans des traditions séculaires. Elle est un instrument, celui des millions d’entrepreneurs ; promoteurs de grandes ou petites entreprises et dont les sacrifices font le dynamisme et la croissance de nos économies.

Elle est enfin un instrument social pour les pays enclavés et pour les populations les plus reculées. Elle est moins un club ou un syndicat d’une élite souvent déconnectée des réalités et aspirations de ceux qu’ils dirigent. Il est venu le moment, de retourner cet instrument aux mains de ces véritables détenteurs.

A propos de l’auteur

Ayéfèmi Faozane ORO est un citoyen de la CEDEAO, et actuel représentant au Bénin du Think Thank “L’Afrique des Idées”. Il est passionné des questions publiques et des politiques d’intégration. Il milite activement pour l’intégration complète des peuples ouest-africains et africains et défend la nécessaire appropriation des outils de la communauté par les peuples.

6 réponses

  1. Avatar de Godd'on
    Godd’on

    Je pense qu’en fait nous avons bien besoin d’une communauté des peuples en Afrique de l’ouest, puis en Afrique toute entière. Il y a énormément d’avantage. Mais la question cruciale, c’est le financement de cette organisation à travers un mécanisme sérieux et responsable de contribution de la part des citoyens communautaires. C’est évident qu’il y ait corruption, néocolonialisme ou impérialisme lorsqu’une puissance étrangère prend la bureaucratie de cette organisation. Malheureusement, c’est le cas à la CEDEAO.

  2. Avatar de Napoléon
    Napoléon

    Vous parlez de la CEDEAO des peuples. À sa création, a-t-on pris l’importance de consulter les populations respectives ou leur représentation respective ? Et rappelez-vous si vous étiez né à cette époque, que tous les pères fondateurs de la CEDEAO étaient tous des chefs militaires. Pourquoi donc cette aversion aujourd’hui contre les militaires qui ont pris leur responsabilité dans leur pays après que les civils obstruaient les constitutions de leur pays pour s’éterniser au pouvoir. Aversion qui d’ailleurs est sélective : Au Tchad il y a eu coup d’État, pourtant qui n’est pas décrié parce que c’est la France qui a parrainé. Il en est de même pour le Gabon.

  3. Avatar de Napoléon
    Napoléon

    Une intégration communautaire n’est pas encore une confédération et non plus un état fédéral au-dessus des états souverains pour se permettre de déployer des mesures aussi coercitives envers des États indépendants jouissant de la plénitude de leur souveraineté.
    Les interventions militaires de la CEDEAO au Liberia, en Sierra Léone et en Gambie étaient des faux pas contre des petits États. Pourra- t-on intervenir contre le Nigeria qui a connu plusieurs coups
    D’état ?
    Une intégration économique régionale ne saurait être réalisée au bout des armes en blessant l’intégrité des frontières et la souveraineté des peuples.

  4. Avatar de Napoléon
    Napoléon

    Les peuples de l’Afrique de l’Ouest n’ont pas acquis chèrement leur indépendance pour désormais se lancer dans des guerres fratricides au profit des puissances étrangères. Si c’est cela le but, mieux vaut alors s’abstenir de cette communauté instrumentalisée par le colonisateur.
    Cette une illusion de croire à ce que la CEDEAO réalisera tel et tel projet. Pour le faire, il faut qu’elle ait les moyens. Mais quels sont les moyens dont dispose cette organisation communautaire ? Quel est le financement ? qui finance la CEDEAO ? Dont la construction du siège est un don étranger, le budget de fonctionnement est souvent alloué par l’Union européenne. Qui se soucie de payer sa part de contribution dans la CEDEAO ? Cela ne peut donner le résultat que nous voyons.

  5. Avatar de Napoléon
    Napoléon

    Non, la CEDEAO mourra sa belle mort. Car la plupart des chefs d’État qui la composent ne sont pas encore mûrs pour une telle entreprise. Il se trouve qu’ils sont encore très occupés par les intérêts mesquins personnels que les puissances étrangères peuvent leur offrir.
    Pour la libre circulation des biens et des personnes, il peut toujours avoir des accords bilatéraux. On n’a pas besoin pour cela de s’adhérer volontairement à une organisation qui inflige des sanctions, qui intervient militairement dans les pays, qui décide de la fermeture des frontières pour étouffer tout le monde afin de plier les États aux injonctions des puissances étrangères.

  6. Avatar de ronsard
    ronsard

    Quelle CEDEAO des peuples ?? Un slogan illusionniste, oui. Attendez que ces putschistes s’installent dans la durée, pour réprimer ou charcuter ces mêmes peuples…a la togolaise. Et vous croyez que le double jeu du Togo de Faure avec ces putchistes, c’est pour le bonheur de ces peuples, hein? C’est plutôt pour s’offrir un boulevard sans encombre et s’acheter le silence des panafricons pour consolider le pouvoir a vie des Eyadema

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