Depuis des décennies, les voyageurs africains font face à un véritable parcours du combattant pour obtenir un visa vers les pays occidentaux. Formulaires interminables, frais exorbitants, délais d’attente interminables et taux de refus élevés sont le lot quotidien de ceux qui osent rêver d’un séjour en Europe ou en Amérique du Nord. Les chiffres sont éloquents : près d’un tiers des demandes de visa Schengen émanant du continent africain sont rejetées, soit 10% de plus que la moyenne mondiale. En 2023, ces refus ont coûté aux Africains plus de 53 millions d’euros en frais non remboursables. Au-delà de l’aspect financier, c’est la dignité même des voyageurs qui est souvent mise à mal, comme en témoigne l’expérience de Winnie Byanyima, directrice de l’ONUSIDA, soumise à un contrôle humiliant à l’aéroport de Genève malgré son statut.
Il convient de noter que de nombreux pays africains exigent déjà des visas aux voyageurs occidentaux. Cependant, ces procédures sont généralement moins complexes et offrent une quasi-certitude d’obtention du visa. Les frais sont souvent plus modestes et les délais de traitement plus courts. Malgré cette relative facilité, une tendance émerge : certains pays africains qui n’exigeaient pas de visa aux Occidentaux commencent à remettre en question cette politique. Ils s’interrogent sur la pertinence de maintenir une ouverture unilatérale face aux obstacles croissants rencontrés par leurs propres citoyens lorsqu’ils souhaitent se rendre en Occident.
C’est dans ce contexte qu’un pays africain a décidé de franchir le pas et de prendre les choses en main. La Namibie, nation du sud-ouest du continent, vient d’annoncer une mesure qui pourrait bien faire date dans l’histoire des relations diplomatiques avec l’Occident. À partir d’avril 2025, les ressortissants de 33 pays, incluant ceux de l’Union européenne, du Royaume-Uni et des États-Unis, devront obtenir un visa pour fouler le sol namibien. Cette décision, loin d’être anodine, s’inscrit dans une logique de réciprocité : seuls les pays exigeant un visa aux Namibiens seront concernés par cette nouvelle réglementation.
La fin d’une ère de « bonne volonté » unilatérale
Le gouvernement namibien justifie sa décision par un besoin de « parité et d’équité dans les interactions diplomatiques ». Finis les gestes de bonne volonté à sens unique. Désormais, les voyageurs occidentaux devront s’acquitter de 100 dollars pour un visa de 90 jours, payable à l’arrivée. Une somme qui peut sembler modique comparée aux centaines d’euros déboursés par les Africains pour leurs demandes de visa Schengen, souvent sans garantie de succès.
Cette initiative a été largement saluée par la population namibienne et plus largement par la jeunesse africaine sur les réseaux sociaux. Michelle, une citoyenne namibienne qui attend depuis plus de deux ans un visa pour le Canada, voit dans cette décision un acte d’affirmation nationale : « Je pense que c’est juste. On a l’impression que la Namibie se défend ». Son expérience personnelle illustre parfaitement les disparités que cette nouvelle politique vise à corriger. Alors qu’elle a dépensé près de 500 dollars en frais de visa sans aucune garantie de l’obtenir, sa famille canadienne aurait pu, jusqu’à présent, venir la voir sans aucune formalité.
Entre tourisme et diplomatie : un équilibre délicat
Si l’annonce a été accueillie avec enthousiasme par de nombreux Africains, elle soulève des inquiétudes dans le secteur touristique namibien. Le tourisme, troisième contributeur au PIB du pays, pourrait-il pâtir de cette nouvelle réglementation ? L’Hospitality Association of Namibia s’est dite « très préoccupée » par le message envoyé à l’industrie mondiale du voyage. Cependant, certains experts comme Soni Nrupesh, basé à Windhoek, estiment que l’impact sera limité. Selon lui, le processus d’obtention du visa à l’arrivée restera simple et pourrait même avoir des effets positifs en encourageant le recours à des guides locaux plutôt qu’à des accompagnateurs étrangers.
La réaction des pays occidentaux à cette annonce reste mesurée. Le haut-commissaire britannique en Namibie, Charles Moore, a déclaré respecter le droit souverain de la Namibie tout en justifiant la politique de visa de son propre pays par une augmentation des demandes d’asile. Cette justification soulève la question épineuse de l’équilibre entre contrôle des frontières et liberté de circulation, un débat qui ne cesse de gagner en intensité à l’échelle mondiale.
En fin de compte, la décision de la Namibie va bien au-delà d’une simple question administrative. Elle marque un tournant dans les relations Nord-Sud, remettant en question des décennies de déséquilibre dans les politiques de visa. Plus qu’une mesure de rétorsion, elle apparaît comme un appel à repenser les modalités de voyage et d’échange entre les continents. Comme le souligne Michelle : « Les gens viennent en Namibie et l’adorent. Mais nous voulons aussi voir ce qui se passe de l’autre côté ». Dans un monde de plus en plus interconnecté, la réciprocité et l’équité dans les déplacements internationaux pourraient bien devenir les nouveaux mots d’ordre de la diplomatie mondiale.
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