La récente vague de critiques sur les réseaux sociaux contre la communauté libanaise de Côte d’Ivoire n’est pas qu’une simple réaction émotionnelle à la rumeur d’une migration massive. Elle révèle un malaise profond, ancien, qui mérite une analyse approfondie. Les blogueurs et influenceurs ivoiriens qui élèvent la voix ne font que cristalliser un ressentiment accumulé depuis des années.
Une puissance économique incontestable mais controversée
La communauté libanaise, estimée à près de 100 000 personnes en Côte d’Ivoire, soit 90% de la diaspora libanaise en Afrique de l’Ouest, détient un pouvoir économique considérable. Les chiffres sont éloquents : 40% de l’économie ivoirienne est sous contrôle libanais, représentant 8% du PIB national. Selon Joseph Khoury, président de la Chambre de commerce et d’industrie libanaise de Côte d’Ivoire (CCILCI), leurs 3 000 sociétés dominent des secteurs stratégiques : immobilier, industrie, transports, et grande distribution. La métallurgie, la pétrochimie (notamment la production de matières plastiques) et la parfumerie sont particulièrement sous leur mainmise.
Cette mainmise économique s’étend jusqu’au foncier, avec des quartiers entiers d’Abidjan, comme Marcory, largement acquis par des investisseurs libanais. Si certains rappellent que leur présence est antérieure à l’indépendance du pays, d’autres s’interrogent sur l’équilibre d’un tel système économique.
Un système parallèle révélateur d’une mentalité de supériorité
La prospérité économique des Libanais en Côte d’Ivoire s’accompagne d’un choix délibéré de vivre en marge de la société ivoirienne, choix qui traduit une mentalité profondément problématique. La communauté a consciemment développé un système parallèle complet : écoles privées où les enfants ivoiriens sont rares, cliniques exclusives qui révèlent une volonté de distinction sociale, concours de beauté communautaires, réseaux sociaux distincts. Cette organisation n’est pas le fruit du hasard, mais bien celui d’une vision hiérarchisée de la société où la communauté libanaise se considère comme une élite devant se préserver de tout « mélange » avec la population locale.
Cette mentalité de supériorité se manifeste jusque dans les interactions quotidiennes. Le refus de s’intégrer véritablement à la société ivoirienne n’est pas qu’une simple préférence culturelle : il reflète une conception hautaine des rapports sociaux, héritée d’une époque que l’on croyait révolue. Plus préoccupant encore, certains membres de cette communauté, ayant obtenu la nationalité ivoirienne par des voies parfois douteuses, poussent l’arrogance jusqu’à narguer les nationaux en se proclamant « plus Ivoiriens qu’eux« .
Cette attitude de supériorité se retrouve également dans le monde du travail, où les employés ivoiriens, même qualifiés, se voient régulièrement traités comme des subalternes, indépendamment de leurs compétences ou de leur position. Ce comportement traduit une vision profondément ancrée de supériorité raciale et sociale qui n’a plus sa place dans une Côte d’Ivoire moderne et égalitaire.
Le traitement des Africains au Liban : la source du ressentiment
Le malaise actuel prend une dimension particulière à la lumière du traitement réservé aux Africains au Liban. Le système de la kafala, véritable forme d’esclavage moderne selon les ONG, place les travailleurs africains dans une situation de vulnérabilité extrême. Les employées de maison subissent des traitements inhumains : confiscation systématique des passeports dès leur arrivée à Beyrouth, conditions de travail proches de l’esclavage, violences physiques et morales quotidiennes.
Face à cette situation, les influenceurs ivoiriens appellent à une stricte réciprocité. Leurs revendications sont claires : si les passeports des Africains sont confisqués au Liban, pourquoi ne pas appliquer les mêmes restrictions aux Libanais en Afrique ? Cette demande de réciprocité, bien que radicale, traduit une exaspération légitime face à l’asymétrie de traitement entre les deux communautés.
Pour une cohabitation basée sur le respect mutuel
La prospérité économique ne peut plus servir d’écran de fumée aux problèmes d’intégration. Les voix qui s’élèvent aujourd’hui exigent, à juste titre, un respect réciproque. Comme le souligne Hamed Koffi Zarour, cadre du PDCI et lui-même métis ivoiro-libanais, « l’hospitalité de la Côte d’Ivoire ne doit pas être interprétée comme de la faiblesse ».
La solution passe par plusieurs actions concrètes :
- L’amélioration urgente du traitement des Africains au Liban avec la participation active de la diaspora libanaise en Afrique.
- Une plus grande ouverture de la communauté libanaise vers la société ivoirienne
- La fin des pratiques discriminatoires
- Un contrôle plus strict des processus d’acquisition de la nationalité
- L’application du principe de réciprocité dans le traitement des ressortissants
La Côte d’Ivoire, (et l’Afrique en général) fidèle à sa tradition d’hospitalité, a toujours su accueillir ceux qui contribuent à son développement. Mais cette hospitalité n’est pas un blanc-seing : elle exige respect, intégration et réciprocité. Les autorités ivoiriennes doivent désormais veiller à ce que ces principes soient strictement respectés, pour le bien de toutes les communautés qui composent le pays.
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