Ces dernières années, l’Europe a considérablement renforcé ses politiques migratoires. De la Méditerranée à la Scandinavie, les gouvernements européens ont multiplié les mesures restrictives, limitant l’accès aux demandeurs d’asile et durcissant les conditions d’obtention de permis de séjour. Cette tendance s’explique par la montée des partis nationalistes et conservateurs, les préoccupations économiques et les défis d’intégration. L’harmonisation des politiques migratoires au sein de l’Union européenne reste complexe, chaque État conservant une grande autonomie dans ce domaine. Les accords avec des pays tiers pour limiter les flux migratoires se sont multipliés, tandis que les procédures administratives deviennent plus lourdes et les critères d’éligibilité plus stricts.
L’Italie referme la porte de sa citoyenneté
L’Italie a franchi une nouvelle étape restrictive le 4 avril dernier lorsque Antonio Tajani, ministre des Affaires étrangères, a signé un décret-loi transformant radicalement l’accès à la nationalité italienne. Désormais, seuls ceux ayant un parent ou grand-parent né en Italie et détenant la citoyenneté italienne à la naissance pourront obtenir la nationalité. Cette décision rompt avec une tradition permettant aux descendants d’Italiens de toute génération de revendiquer la citoyenneté en prouvant leur lien avec un ancêtre né après la création du royaume d’Italie en 1861. Selon Tajani, cette réforme vise à mettre un terme aux abus et au commerce lucratif qui s’est développé autour de l’acquisition de la nationalité italienne, avec des agences facturant des milliers de dollars pour aider à rassembler les documents nécessaires.
Le phénomène avait pris une ampleur considérable ces dernières années. Le nombre d’Italiens vivant hors des frontières du pays a augmenté de 40% en dix ans, passant de 4,6 millions en 2014 à 6,4 millions en 2024, principalement grâce aux descendants d’émigrés devenus citoyens. En Argentine, les attributions de nationalité sont passées de 20 000 en 2023 à 30 000 l’année suivante, tandis qu’au Brésil, elles sont montées de 14 000 à 20 000. Ces demandes submergent non seulement les consulats et tribunaux, mais aussi les administrations locales. À San Donà di Piave, près de Venise, la moitié du personnel municipal travaillait exclusivement sur les dossiers de nationalité de personnes résidant principalement au Brésil et qui, selon le maire, ne mettraient probablement jamais les pieds dans sa commune.
Une politique à deux vitesses
Cette réforme intervient dans un contexte paradoxal pour l’Italie, qui fait face à une grave crise démographique due au vieillissement de sa population et à la baisse de natalité. Pourtant, le gouvernement de Georgia Meloni poursuit une politique migratoire restrictive. Les enfants d’immigrés légaux établis en Italie doivent attendre d’avoir 18 ans pour demander la nationalité, et uniquement s’ils ont résidé dans le pays depuis leur naissance. Cette situation affecte environ 1,2 million d’enfants qui, bien que nés et élevés en Italie, restent officiellement étrangers malgré leurs liens profonds avec le pays.
Les incohérences de cette politique sont flagrantes. Le quotidien Il Fatto Quotidiano considère que la réforme cherche à distinguer les vrais Italiens des faux. Le cas du président argentin Javier Milei illustre parfaitement ces contradictions. Bien qu’il n’ait jamais vécu en Italie, Milei a reçu en décembre dernier la nationalité italienne sans aucune démarche, simplement parce que son grand-père a émigré d’Italie au début du XXe siècle. Pendant ce temps, des millions d’enfants nés sur le sol italien attendent toujours la reconnaissance de leur citoyenneté.
Pour Tajani, l’obtention d’un passeport italien ne devrait pas être motivée uniquement par les avantages pratiques qu’il procure, comme la possibilité de voyager sans visa dans de nombreux pays. Il insiste sur le fait que la citoyenneté représente bien plus qu’un simple document de voyage facilitant le shopping à Miami. Cette vision stricte de la nationalité a provoqué de vives réactions, notamment de la part de Fabio Porta, député représentant les Italiens d’Amérique du Sud, qui dénonce une tentative de stigmatisation des Italiens de l’étranger et critique le caractère unilatéral de la décision prise sans consultation du Parlement ni des organisations concernées.
Cette nouvelle restriction italienne reflète une tendance générale en Europe, où l’accès à la citoyenneté devient de plus en plus difficile. Elle met en lumière les tensions entre ouverture et repli identitaire, entre nécessités démographiques et préservation d’une certaine conception de l’identité nationale. Pour l’Italie, pays historiquement d’émigration devenu terre d’immigration, cette réforme marque un tournant significatif dans sa relation avec sa diaspora mondiale et dans sa définition même de la citoyenneté.
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