Les relations transatlantiques ont connu une nouvelle secousse avec les déclarations fracassantes du vice-président américain JD Vance, qui n’a pas hésité à qualifier l’Europe de « vassal permanent » des États-Unis. Début mars, celui-ci avait déjà provoqué l’indignation des chancelleries européennes en minimisant la valeur militaire des pays du Vieux Continent. Dans une sortie remarquée, il avait affirmé qu’un accord économique avec les États-Unis constituerait pour l’Ukraine « une meilleure garantie de sécurité que 20.000 soldats d’un pays quelconque qui n’a pas mené de guerre depuis 30 ou 40 ans ». Cette pique à peine voilée envers les capacités défensives européennes avait été perçue comme une humiliation par de nombreux dirigeants du continent, déjà échaudés par les positions de l’administration Trump.
L’Europe rabaissée au rang de « vassal » américain
Dans son entretien accordé mardi au site d’information britannique UnHerd, JD Vance porte l’affront à un niveau supérieur en utilisant une terminologie féodale pour décrire la relation actuelle entre Washington et ses alliés européens. « Ce n’est pas bon pour l’Europe, et ce n’est pas dans l’intérêt de l’Amérique, que l’Europe soit un vassal permanent des États-Unis en termes de sécurité », a-t-il déclaré sans ambages. Cette métaphore médiévale, inhabituelle dans le langage diplomatique contemporain, révèle la vision profondément hiérarchique que l’administration Trump entretient des relations transatlantiques.
Cette caractérisation de l’Europe comme subordonnée aux États-Unis ne s’arrête pas à une simple formule choc. Vance développe sa pensée en pointant la dépendance structurelle du continent en matière de défense : « La réalité est que – c’est brutal à dire mais c’est vrai – toute l’infrastructure de sécurité européenne a été, depuis ma naissance, subventionnée par les États-Unis d’Amérique ». Ce constat sans concession s’accompagne d’un jugement sévère sur les capacités militaires européennes, Vance affirmant qu’à l’exception de la France, du Royaume-Uni et de la Pologne, « la plupart des États européens ne disposent pas d’une armée capable d’assurer une défense raisonnable« .
Une indépendance européenne sous injonction américaine
Paradoxalement, après avoir rabaissé l’Europe au rang de dépendance féodale, Vance appelle à une révision fondamentale de cette relation. « Nous considérons l’Europe comme notre alliée. Nous souhaitons simplement une alliance où les Européens seront un peu plus indépendants, et nos relations en matière de sécurité et de commerce vont le refléter », a déclaré le vice-président. Cette vision d’une Europe plus autonome semble moins relever d’une reconnaissance de la souveraineté européenne que d’une volonté américaine de se décharger de responsabilités jugées trop coûteuses.
Cette injonction à l’indépendance ressemble davantage à un ultimatum qu’à une invitation au partenariat équilibré. Tel un suzerain lassé de protéger son vassal, l’administration Trump semble pousser l’Europe hors du parapluie américain, non par respect de son autonomie mais par impatience face à ce qu’elle perçoit comme un déséquilibre injuste. Cette approche s’inscrit dans la continuité des exigences répétées de Donald Trump qui, depuis son retour à la Maison Blanche, somme les pays européens d’augmenter substantiellement leurs dépenses de défense.
Vance a cependant nuancé son propos en suggérant qu’une Europe militairement plus robuste aurait pu jouer un rôle modérateur lors de certaines aventures militaires américaines controversées. Il a notamment évoqué que par le passé, une Europe plus forte aurait potentiellement pu empêcher « le désastre stratégique » de la guerre d’Irak lancée en 2003 sous l’administration Bush. Cette reconnaissance des erreurs stratégiques américaines passées détonne avec le ton généralement accusatoire de ses déclarations.
Au-delà de la vassalité militaire: une remise en cause civilisationnelle
Les critiques du vice-président ne se limitent pas au domaine sécuritaire. Comme il l’avait déjà fait lors de son discours à la Conférence de Munich en février dernier, Vance élargit son réquisitoire à des questions sociétales et politiques. Il avait alors vivement reproché aux dirigeants européens leur gestion de l’immigration, jugée trop permissive à ses yeux, et avait exprimé des inquiétudes concernant la liberté d’expression en Europe.
Ces remarques révèlent une dimension idéologique dans la conception que l’administration Trump se fait de l’alliance transatlantique. La vision de Vance semble dépasser les simples considérations pragmatiques de répartition des charges financières pour toucher à des questions d’identité et de valeurs fondamentales. Cette approche marque une rupture avec la tradition diplomatique américaine qui, depuis l’après-guerre, avait généralement maintenu une distinction entre les questions sécuritaires et les débats internes aux sociétés européennes.
Par ailleurs, Vance a évoqué les négociations commerciales en cours entre Londres et Washington, estimant qu’elles avaient « de bonnes chances » d’aboutir à un « excellent accord qui soit dans le meilleur intérêt des deux pays« . Cette mention d’un rapprochement économique avec le Royaume-Uni post-Brexit pourrait être interprétée comme une stratégie visant à privilégier les relations bilatérales avec certains pays européens au détriment d’une approche globale avec l’Union européenne, que Donald Trump a vivement critiquée pour sa politique commerciale jugée inéquitable envers les États-Unis.
Les propos de JD Vance ne représentent pas simplement une nouvelle friction diplomatique, mais bien un ultimatum déguisé: l’Europe doit cesser d’être un « vassal » et assumer sa propre défense, selon les conditions fixées par Washington. Face à cette gifle symbolique, les dirigeants européens se trouvent confrontés à un choix délicat: accepter l’humiliation d’une « émancipation » dictée par leur suzerain américain ou développer une véritable autonomie stratégique qui pourrait impliquer des tensions durables avec leur allié historique. Entre ces deux voies, le chemin que choisiront les capitales européennes déterminera l’avenir des relations transatlantiques pour les décennies à venir.
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