Depuis plusieurs années, l’Europe tente de juguler l’immigration en provenance du continent africain à coups de pactes de contrôle aux frontières, d’accords bilatéraux et d’aides au développement. La France, souvent critiquée pour son ton condescendant vis-à-vis de ses anciennes colonies, incarne aux yeux de nombreux Africains cette approche paternaliste qui mêle conditionnalités politiques et intérêts économiques. Ce modèle de coopération, régulièrement contesté sur le terrain comme inefficace et intrusif, semble aujourd’hui à bout de souffle.
Face à une pression migratoire persistante et à la concurrence croissante d’acteurs comme la Chine, certains pays européens changent de stratégie. L’Italie, sous l’impulsion de Giorgia Meloni, prend une direction plus offensive, en brandissant un plan massif d’investissement à la fois comme levier diplomatique et outil de régulation migratoire.
Un plan ambitieux dévoilé au sommet de Bruxelles
Ce vendredi, lors d’un sommet majeur en Belgique, Giorgia Meloni a présenté son “plan Mattei pour l’Afrique”. L’événement s’est déroulé en présence d’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, qui a soutenu cette initiative dans le cadre des efforts européens en Afrique. Ce plan est l’un des piliers de la stratégie italienne pour répondre à la pression migratoire, tout en élargissant sa sphère d’influence sur le continent africain. Il prévoit 5,5 milliards d’euros d’investissements répartis dans quatorze pays africains, étalés sur des années.
Les secteurs en vue couvrent à la fois des besoins humanitaires et des intérêts stratégiques : santé, éducation…Les États pris en compte incluent des pays du Maghreb (à l’exception de la Libye), ainsi que des partenaires d’Afrique subsaharienne comme la Côte d’Ivoire, l’Éthiopie ou encore le Kenya.
Mais malgré les annonces ambitieuses, les chiffres réels tempèrent l’enthousiasme. Un rapport gouvernemental italien publié en novembre dernier révèle que moins de deux milliards d’euros ont, à ce jour, été alloués à des projets concrets. Le reste demeure à l’état de promesse, soulignant l’écart entre les discours politiques et les engagements effectifs sur le terrain.
Le plan Mattei sous l’ombre du Global Gateway
La stratégie italienne ne se déploie pas en vase clos. En arrière-plan, la Commission européenne cherche à fusionner le plan Mattei avec sa propre initiative, baptisée Global Gateway, qui prévoit 150 milliards d’euros d’investissements en Afrique. Ce programme vise notamment à contrer l’influence croissante de la Chine à travers ses « Nouvelles routes de la soie ».
Interrogée par l’AFP, une porte-parole de la Commission a reconnu que le plan italien représente un effort notable, même si son ampleur reste relativement modeste comparée à celle du dispositif européen. Tandis que Bruxelles mobilise des enveloppes colossales, Rome tente de conserver la main politique, en mettant en avant une approche bilatérale plus directe. En ciblant certains pays jugés stratégiques, l’Italie tente de rééquilibrer la relation entre l’Europe et l’Afrique, non pas en moraliste, mais en investisseur pragmatique.
Une nouvelle dynamique ou une promesse de plus ?
L’Italie parie sur un changement de méthode : plutôt que de renforcer uniquement les frontières extérieures ou signer des accords de retour, elle mise sur la création d’opportunités économiques locales pour endiguer les migrations à la source. Une idée séduisante sur le papier, mais dont l’impact reste incertain à court terme.
Le succès du plan Mattei dépendra autant de sa capacité à mobiliser des financements réels que de celle à générer de la confiance chez les partenaires africains, souvent méfiants à l’égard des projets venus d’Europe. Le risque est grand que cette promesse d’investissements ne rejoigne la longue liste d’initiatives annoncées avec éclat, mais mises en œuvre avec lenteur, voire abandonnées en chemin.
En articulant sa politique migratoire à une stratégie d’investissement régional, Rome propose un virage inédit dans les relations euro-africaines. Mais pour qu’il ne reste pas symbolique, ce tournant devra rapidement trouver sa traduction sur le terrain.
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