Lorsque le premier vol du Comac C919 a eu lieu en 2017, le monde a assisté avec étonnement à l’entrée fracassante de la Chine dans l’arène de l’aéronautique civile, jusque-là dominée par Boeing et Airbus. Le développement de cet avion, piloté par l’entreprise d’État Commercial Aircraft Corporation of China (Comac), marquait un tournant stratégique : la volonté affichée de Pékin de construire un appareil de classe mondiale, destiné à rivaliser avec les géants occidentaux. Ce projet, financé massivement et promu comme un symbole de souveraineté technologique, montrait une Chine désireuse de briser sa dépendance aux technologies étrangères.
Mais en dépit de cette ambition nationale, le C919 reste étroitement lié aux fournisseurs occidentaux pour des éléments clés. Le moteur LEAP-1C, par exemple, est conçu par CFM International, une coentreprise entre l’américain General Electric et le français Safran. Cette réalité est aujourd’hui au cœur des tensions, comme l’a révélé une déclaration transmise à Reuters par un porte-parole de l’ambassade de Chine à Washington, dénonçant fermement les mesures restrictives prises par les États-Unis à l’encontre des exportations de haute technologie vers la Chine.
Washington ferme les vannes de la haute technologie
Les États-Unis ont décidé de suspendre certaines licences d’exportation vers la Chine. Parmi les secteurs concernés, celui des réacteurs d’avions, notamment les moteurs LEAP-1C équipant les C919, est désormais sous surveillance étroite. Le département américain du Commerce a précisé à Reuters qu’il procédait actuellement à un examen approfondi de ces exportations, et qu’en attendant, plusieurs licences ont été suspendues ou soumises à de nouvelles exigences.
Cette décision intervient dans une logique de contrôle renforcé, où la sécurité nationale sert de levier pour empêcher Pékin d’accéder à des technologies jugées sensibles. L’avion chinois, qui devait incarner l’indépendance industrielle du pays, devient ainsi un point d’impact dans un conflit bien plus profond, où la technologie est l’instrument d’un rapport de force global.
Pour la Chine, cette politique américaine constitue une manœuvre de blocage délibéré. Le porte-parole de son ambassade n’a pas mâché ses mots, accusant Washington d’exploiter la notion de sécurité nationale pour justifier un « blocus malveillant » et une « répression » contre le développement industriel chinois.
Quand la technologie devient une arme diplomatique
Le cas du C919 est emblématique d’un phénomène plus large : les chaînes d’approvisionnement internationales deviennent des zones de tension, et chaque composant stratégique un enjeu de souveraineté. En contrôlant les flux technologiques, les États-Unis tentent de ralentir, voire d’entraver, les avancées chinoises dans les domaines d’avenir. Le secteur aéronautique n’est pas le seul concerné ; les restrictions sur les semi-conducteurs, les outils de fabrication de puces ou encore les systèmes d’intelligence artificielle suivent la même logique.
Cette politique vise à maintenir une forme de dépendance technologique en coupant l’accès de la Chine à certaines briques essentielles. Si Pékin tente de riposter en accélérant le développement de moteurs nationaux, comme le CJ-1000A, ceux-ci ne sont pas encore prêts à équiper commercialement le C919, qui, malgré ses avancées, reste donc vulnérable.
Les implications dépassent le seul secteur de l’aviation. En verrouillant certaines exportations, les États-Unis posent des conditions à l’évolution industrielle de leur principal rival stratégique. Ce faisant, ils redessinent les contours du commerce mondial, où la coopération industrielle cède progressivement la place à une logique d’affrontement et de dissuasion.
Le ciel s’assombrit pour le rêve industriel chinois
Le blocage des exportations de moteurs LEAP-1C est plus qu’un simple revers pour le programme Comac. Il révèle une fragilité structurelle : celle d’un modèle de développement encore tributaire de technologies étrangères. Et c’est précisément cette dépendance que les États-Unis exploitent, en transformant la chaîne d’approvisionnement en levier de puissance.
