Sénégal : L'ancien ministre Moustapha Niasse défend un endettement stratégique

Il est de ceux dont la parole continue de résonner, même loin des sommets de l’État. À 85 ans, Moustapha Niasse, l’un des derniers témoins vivants de tous les régimes sénégalais depuis l’indépendance, s’est exprimé avec force lors d’un séminaire international organisé à la résidence de l’ambassadeur du Maroc au Sénégal. Dans une intervention nourrie par plusieurs décennies d’exercice du pouvoir, l’ancien président de l’Assemblée nationale a proposé une lecture audacieuse de l’endettement public, appelant les États africains à renverser la peur du déficit en faveur d’une politique d’investissement assumée.

L’expérience d’un homme d’État face aux dogmes économiques

Moustapha Niasse n’est pas un conférencier ordinaire. Ancien directeur de cabinet du président Léopold Sédar Senghor, puis ministre des Affaires étrangères sous Abdou Diouf, Premier ministre de Abdoulaye Wade et président de l’Assemblée nationale sous Macky Sall, il a traversé six décennies de haute fonction. Cette trajectoire lui confère une hauteur de vue que peu peuvent revendiquer au Sénégal. Et c’est avec cette légitimité qu’il remet en cause les discours alarmistes sur la dette publique.

Dans une salle attentive, il a formulé un raisonnement pragmatique : la dette n’est pas un problème en soi, c’est l’usage qu’on en fait qui doit être interrogé. Prenant l’exemple des États-Unis, pays parmi les plus endettés du monde mais toujours moteur de l’économie mondiale, il propose aux nations africaines de s’inspirer de cette dynamique. Pour lui, les inquiétudes sur l’endettement masquent souvent une absence de stratégie claire d’investissement.

Des ressources naturelles comme levier de remboursement

L’argument central développé par Niasse repose sur la capacité des pays africains à rembourser une dette bien orientée, notamment grâce à leurs richesses naturelles. Dans le cas du Sénégal, les réserves pétrolières et gazières récemment mises en exploitation offrent une opportunité inédite de capter des revenus futurs. Si l’endettement sert à bâtir des infrastructures, à moderniser l’appareil productif, à sécuriser l’accès à l’éducation ou à la santé, alors le remboursement devient possible et vertueux.

Cette position tranche avec une certaine orthodoxie budgétaire défendue par les institutions financières internationales, souvent centrée sur la limitation des déficits à court terme. Pour Moustapha Niasse, il est temps d’adopter une approche ciblée, où chaque emprunt serait adossé à un projet précis à fort retour social et économique. Une doctrine du crédit utile, qui exigerait aussi une gouvernance rigoureuse et des mécanismes transparents de suivi.

Une vision panafricaine de la solidarité économique

Ce message, Niasse l’a délivré dans un cadre régional : un séminaire axé sur l’émergence d’une Afrique atlantique intégrée. Loin des discours techniques, il a cherché à transmettre une philosophie politique : celle d’un continent capable d’assumer ses ambitions. L’endettement devient alors un outil de souveraineté, à condition de ne pas le subir mais de le maîtriser.

À l’heure où les débats sur les financements innovants se multiplient sur le continent, sa prise de parole résonne comme une invitation à dépasser les peurs héritées. Ce n’est pas le premier à défendre cette ligne, mais sa voix, portée par une longévité institutionnelle exceptionnelle, apporte une résonance particulière. Son discours n’est pas celui d’un économiste théoricien, mais celui d’un homme d’appareil, aguerri aux réalités de l’administration, des négociations internationales et des arbitrages politiques.

Dans un pays en quête de nouveaux repères économiques à l’heure du gaz et du pétrole, l’appel de Moustapha Niasse à une dette productive n’est pas une provocation : c’est une proposition. Une parmi d’autres, mais portée par l’un des derniers artisans de la continuité républicaine.

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