Après des mois de mobilisation et de démarches silencieuses ou bruyantes, une porte semble enfin s’entrouvrir pour les familles des victimes des violences politiques au Sénégal. Le 10 juillet 2025, Pape Abdoulaye Touré, fondateur de l’Initiative Zéro Impunité (IZI), rencontrait le Premier ministre pour exiger des avancées concrètes sur les nombreux cas de violations des droits humains commis entre 2021 et 2024. Depuis cette entrevue, la pression n’a cessé de monter, portée par des ONG, des collectifs de victimes, et une société civile en quête de vérité. La justice sénégalaise, souvent accusée d’immobilisme, commence aujourd’hui à bouger sous les regards impatients d’un pays encore marqué par des cicatrices récentes.
Une étape décisive après le silence
C’est le ministre de la Justice, Ousmane Diagne, qui a récemment franchi un seuil attendu : il a transmis une demande formelle au procureur général, en vue de l’ouverture d’une enquête sur les violences politiques ayant endeuillé le Sénégal entre février 2021 et mars 2024 selon L’Observateur. Au moins 80 personnes auraient perdu la vie lors de manifestations souvent brutalement réprimées. La saisine vise à faire la lumière sur les crimes les plus graves : meurtres, actes de torture, assassinats, et potentiellement des faits qualifiables de crimes contre l’humanité.
Ces faits ne sont pas couverts par la loi d’amnistie, ce qui laisse une marge de manœuvre judiciaire inédite. Pour ceux qui réclament justice depuis des années, cette démarche n’est pas anodine. Elle marque un tournant, un moment où l’institution judiciaire sort d’une longue période de surdité perçue. Sur les réseaux, des voix saluent cette évolution tout en appelant à maintenir la pression. « Enfin du mouvement, continuons à mettre le pressing sur la justice… », écrivait un internaute sur X, refusant d’oublier le mutisme passé face aux drames vécus.
Lourd dossier, attentes fortes
Le poids symbolique de cette initiative est immense, mais il ne doit pas masquer la complexité du dossier. Boubacar Seye, président de l’ONG Horizon Sans Frontières et représentant du collectif des victimes du régime de Macky Sall, a exprimé sa satisfaction après la saisine. Pour lui, c’est une avancée, mais encore insuffisante. Il appelle à la nomination conjointe de procureurs et de juges d’instruction afin de garantir une prise en charge à la hauteur des attentes. « Plus de 80 morts sous le régime de Macky Sall. Le dossier est tellement lourd qu’il faut envisager l’hypothèse d’une codésignation », affirme-t-il, insistant sur l’importance d’un dispositif judiciaire rigoureux et indépendant.
L’enjeu dépasse la simple identification des auteurs. Il s’agit aussi de déterminer les responsabilités au sein des chaînes de commandement, d’évaluer le rôle des institutions et de redonner confiance à une population souvent confrontée à une impunité structurelle. Le traitement de ce dossier pourrait ainsi faire jurisprudence dans l’histoire politique sénégalaise, où la gestion des conflits et la répression restent des sujets sensibles.
Entre reconnaissance des victimes et restauration de l’État de droit
Les familles endeuillées, pour qui chaque jour sans réponse est une prolongation du traumatisme, attendent aujourd’hui des actes concrets. Il ne suffit plus d’ouvrir une enquête ; il faut qu’elle débouche sur des procès, des responsabilités établies, des réparations. Pour ces familles, la justice ne doit pas être une promesse vague, mais une réponse audible, claire et courageuse. Dans cette perspective, l’initiative du ministre de la Justice est perçue comme une première marche, mais le sommet reste lointain.
La gestion des violences politiques ne peut être réduite à une simple lecture sécuritaire ou à une opération de communication. Elle implique une volonté de refonder la relation entre les institutions et les citoyens. Pour un pays qui cherche à se projeter vers un avenir démocratique apaisé, le traitement de ces événements récents constitue une épreuve de vérité. Il en va autant de la mémoire nationale que de la crédibilité des dirigeants actuels.
Rendre justice aux victimes ne sera ni rapide ni simple. Mais ne rien faire serait une trahison historique. Le Sénégal, aujourd’hui, se trouve à la croisée des chemins entre mémoire, justice et refondation démocratique. Le mouvement est amorcé. Reste à voir s’il tiendra le rythme face au poids du passé.


