Le 2 juillet dernier, les tirs nourris de la Jama’at Nasr al-Islam wal Muslimin (JNIM) sur le poste frontalier de Diboli, au Mali, ont fait trembler jusqu’à Kidira, à moins de 1,5 kilomètre. Dans cette zone habituellement perçue comme périphérique, l’écho de la menace est désormais central. Le Sénégal, longtemps considéré comme préservé, découvre avec inquiétude la proximité d’un front terroriste mouvant, méthodique, et surtout plus ambitieux. L’épisode de Diboli agit comme une piqûre de rappel : les frontières administratives ne sont pas des digues contre l’instabilité.
Face à cet environnement qui se dégrade, les déclarations de l’ancien ministre des Affaires étrangères, Cheikh Tidiane Gadio, sonnent comme un avertissement stratégique. Pour lui, croire à la distance protectrice est une illusion dangereuse. L’avancée des groupes armés vers les côtes n’est pas un hasard tactique, mais une volonté structurée d’obtenir un débouché maritime. Et dans ce schéma, le Sénégal ne peut plus rester spectateur.
Réformer la CEDEAO ou périr fragmenté
Avec le retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger, la CEDEAO n’est plus que l’ombre de sa force collective initiale. Mais pour Gadio, même amputée, l’organisation garde une valeur stratégique indiscutable avec ses 370 millions d’habitants. Le défi, selon lui, n’est pas numérique mais politique. Il propose une réorientation de la coopération régionale, en y intégrant des pays frontaliers comme le Maroc, la Mauritanie ou le Tchad. Une CEDEAO repensée, élargie sur ses flancs, capable de penser la sécurité comme un filet unifié plutôt qu’une juxtaposition de garnisons isolées.
Cette vision repose sur l’idée que les groupes terroristes n’ont jamais respecté les frontières : leur mobilité s’oppose à nos lenteurs diplomatiques. Pour les neutraliser, il ne suffit plus d’équiper les armées. Il faut relier les doctrines, synchroniser les stratégies, et créer un mécanisme de réponse anticipée. Gadio souligne que les États qui tardent à collaborer deviennent tôt ou tard des cibles. L’échec est toujours collectif, même quand les tirs ne franchissent pas encore les lignes.
Une armée valeureuse, mais seule, ne tiendra pas
Le Sénégal peut compter sur une armée formée, disciplinée et engagée. Mais Gadio prévient : le courage ne remplace pas la coordination. Une défense efficace ne se construit plus à l’échelle d’un pays, mais d’un espace partagé. L’ancien ministre met ainsi en garde contre un excès de confiance nationale. Les terroristes, eux, n’ont pas de ministère de la Défense, mais ils possèdent une lecture fine des failles régionales. Ils attaquent là où la coopération échoue, où les communications se perdent entre capitales.
La proposition de Gadio ne se limite donc pas à un appel moral à la solidarité. Elle est fondée sur une analyse du terrain : face à une menace fluide et opportuniste, il faut opposer des alliances agiles, opérationnelles et débarrassées des rivalités de façade. Faute de quoi, les tirs de Diboli pourraient n’avoir été qu’un prélude à une déstabilisation beaucoup plus profonde. Pour le Sénégal, l’enjeu n’est pas de renforcer ses murs, mais de reconstruire la maison commune de la sécurité régionale.



