L’adoption à une large majorité, le 27 juin dernier, du nouveau règlement intérieur de l’Assemblée nationale (138 voix pour, une abstention), visait à refondre les règles internes du Parlement pour les adapter aux dynamiques institutionnelles actuelles. Mais cette volonté de modernisation vient de rencontrer un coup d’arrêt partiel : le Conseil constitutionnel, saisi pour contrôle, a retoqué quatre articles jugés contraires à la Loi fondamentale. Derrière ce rejet se joue une ligne de crête entre efficacité parlementaire et respect de l’équilibre entre les pouvoirs.
Frontière entre enquête parlementaire et indépendance judiciaire
L’un des points les plus controversés concerne l’alinéa 2 de l’article 56, qui obligeait toute personne convoquée par une commission d’enquête à se présenter, y compris sous la contrainte de la force publique. Une disposition qui, sur le papier, renforçait les moyens de contrôle du Parlement. Mais appliquée aux magistrats, elle suscite de sérieuses objections. Pour le Conseil constitutionnel, cette mesure piétine le principe d’indépendance de la justice, un pilier protégé par la Constitution. Le pouvoir judiciaire ne saurait, même symboliquement, être soumis à une logique d’intimidation parlementaire, aussi louable soit-elle en termes de transparence.
Toutefois, le Conseil ne ferme pas complètement la porte à l’audition de magistrats. Il reconnaît qu’une telle participation est envisageable, mais uniquement dans un cadre respectueux des garanties propres à leur statut. Une manière de rappeler que la séparation des pouvoirs ne se limite pas à une ligne sur un organigramme, mais repose sur des garde-fous juridiques stricts.
Mandat parlementaire et motion de censure
Autre article censuré : l’alinéa 6 de l’article 60. Celui-ci associait la perte du mandat d’un député à une seule condition — la condamnation pénale définitive avec déchéance des droits civiques. Une interprétation restrictive qui, selon le Conseil, affaiblit le cadre prévu par la Constitution, plus nuancé et plus large dans les motifs de déchéance. Cette limitation aurait pu, dans les faits, permettre à un élu condamné pour d’autres motifs graves de conserver son siège, faute de correspondance stricte avec le critère fixé.
Même logique de protection de la souplesse démocratique avec l’article 111, alinéa 6, qui interdisait à un groupe parlementaire de retirer une motion de censure une fois la discussion entamée. Le Conseil rappelle qu’aucune norme constitutionnelle n’impose une telle rigidité. En politique, les majorités et les équilibres sont mouvants ; empêcher un retrait revient à graver dans le marbre ce qui devrait rester réversible. Une motion de censure n’est pas un missile lancé sans retour possible, mais un outil d’expression politique qui doit rester maniable jusqu’au bout.
Haute Cour de Justice : une omission aux effets institutionnels majeurs
Le quatrième article jugé incompatible avec la Constitution touche au fonctionnement de la Haute Cour de Justice. Si le texte adopté par l’Assemblée en reprend les grandes lignes prévues dans les articles 99 et 100 de la Constitution, il omet un point capital : le renouvellement de ses membres à chaque législature. En oubliant cette clause, les rédacteurs ont ouvert la voie à une continuité artificielle dans la composition de cette instance, qui pourrait aboutir à une justice politique figée et potentiellement biaisée.
Cette omission, loin d’être un simple détail technique, remet en question le principe même de légitimité démocratique des membres de cette juridiction spéciale. Une juridiction aussi sensible — compétente pour juger le président de la République ou les ministres — ne saurait fonctionner sur la base d’une inertie institutionnelle.
Une alerte juridique pour les institutions de la République
Au-delà de ces censures spécifiques, le message du Conseil constitutionnel est clair : la révision d’un règlement intérieur, même motivée par des impératifs de modernisation, doit impérativement respecter l’architecture constitutionnelle. En replaçant la Constitution au sommet de la hiérarchie des normes, les juges constitutionnels rappellent aux députés que l’efficacité parlementaire ne peut s’exercer au détriment des fondements de l’État de droit.
Le Parlement devra désormais revoir sa copie sur ces quatre points, en intégrant les remarques du Conseil. Un exercice délicat mais nécessaire pour consolider la légitimité et la robustesse des institutions sénégalaises. Cette décision marque un moment charnière dans la consolidation du jeu démocratique au Sénégal : entre volonté de réforme et exigence de rigueur constitutionnelle, chaque mot compte, chaque article engage.



