Depuis bientôt un mois, la machine judiciaire sénégalaise fonctionne au ralenti. Aux guichets, les demandes s’empilent ; dans les salles d’audience, les dossiers dorment. Extraits de casier judiciaire, certificats, notifications, tout semble suspendu à une crise qui n’en finit pas de se prolonger. Derrière les murs des juridictions, le quotidien des justiciables s’est transformé en une longue attente sans échéance connue. L’origine du blocage ? Une profonde discorde entre les travailleurs de la justice, réunis au sein de l’Entente SYTJUST–UNTJ, et l’État, à propos du reclassement des greffiers dans la hiérarchie A de la fonction publique.
Ce litige, nourri par des années de frustrations, de promesses avortées et d’arbitrages différés, a fini par déclencher une nouvelle grève de 72 heures à partir de ce lundi 14 juillet. Les syndicats dénoncent une précarité institutionnalisée, des discriminations internes persistantes, et une absence de considération qui dépasse le cadre des fiches de paie. Plus qu’une demande catégorielle, ils présentent leur combat comme un cri d’alerte pour une justice plus juste envers ceux qui la rendent possible.
Une reprise du dialogue, mais sous tension
Ce week-end, un début de décrispation s’est esquissé. Une rencontre a eu lieu entre les représentants syndicaux et le ministre de la Justice, un homme qu’ils accusaient encore récemment de trahison. Si les griefs restent vifs, les deux parties semblent désormais disposées à rétablir un canal de discussion. Dans le même temps, les syndicalistes prévoient de rencontrer le ministre de la Fonction publique, Olivier Boucal, dont les propos tenus précédemment sur le « chantage » syndical avaient été vivement contestés.
Face à la polémique, ce dernier a tenté de rectifier le tir lors d’une déclaration télévisée. Il a exprimé son souhait de sortir de la confrontation pour installer une dynamique plus coopérative. Sur le fond, il admet la légitimité des revendications, notamment l’alignement des greffiers à la hiérarchie A. Toutefois, il insiste sur un point de blocage majeur : la loi exige une formation préalable pour tout reclassement. Selon lui, ce principe est non négociable. Pour éviter une impasse totale, plusieurs formats de formation ont été proposés : séminaires courts, apprentissage à distance ou alternance professionnelle, afin de permettre aux greffiers de suivre ce parcours sans abandonner leurs postes.
Une volonté de réforme freinée par les procédures
Le paradoxe de cette crise, c’est qu’elle oppose des acteurs qui semblent d’accord sur les principes, mais bloqués par les modalités. Le gouvernement reconnaît l’importance du rôle des greffiers, les syndicats acceptent l’idée d’une réforme encadrée, mais les conditions de mise en œuvre sont encore trop floues pour apaiser le terrain. Le droit administratif, avec ses textes rigides et son exigence de conformité, se révèle ici aussi contraignant qu’un jugement sans appel.
Ce qui se joue ne concerne pas seulement les greffiers. Derrière eux, c’est toute l’architecture du service public qui est interrogée : sa capacité à évoluer, à reconnaître les efforts, à réparer les déséquilibres sans sombrer dans l’injustice procédurale. Dans un pays où l’accès à la justice reste un marqueur de citoyenneté, la paralysie prolongée des tribunaux fragilise l’équilibre social. Si le gouvernement veut montrer qu’il tourne la page des lenteurs bureaucratiques, il lui faudra joindre les gestes aux intentions. La justice attend, les citoyens aussi.



