Le Nigeria et le Ghana étudient actuellement une formule inédite de coopération énergétique. L’idée est de fournir du gaz nigérian en contrepartie d’électricité ghanéenne, évitant ainsi le paiement en devises. Cette initiative, discutée lors d’une conférence internationale sur l’énergie à Accra, pourrait renforcer l’intégration régionale et contribuer à la stabilité des approvisionnements. L’enjeu principal réside dans la sécurisation de l’accès au gaz et la capacité à équilibrer les besoins en électricité des deux pays, tout en respectant les objectifs d’interconnexion de la CEDEAO.
Un mécanisme d’échange plutôt qu’une transaction financière
Le ministre ghanéen de l’Énergie et de la Transition verte, John Abdulai Jinapor, a présenté cette approche comme un moyen de contourner les difficultés financières liées aux importations de gaz. Le principe reposerait sur un barter, où le Ghana recevrait une partie du gaz produit au Nigeria et fournirait en retour de l’électricité grâce à ses centrales thermiques et hydrauliques. Ce mécanisme permettrait aux deux pays de réduire leur dépendance aux fluctuations monétaires et de privilégier un échange direct de ressources.
Le projet s’inscrit dans un contexte régional où la demande énergétique croît rapidement. Le Ghana, qui a investi dans ses capacités de production électrique ces dernières années, dispose déjà de lignes de transmission connectées à ses voisins via la West African Power Pool (WAPP). Le Nigeria, de son côté, reste le premier producteur de gaz du continent mais souffre de limitations dans ses infrastructures de distribution et de transformation. L’idée d’un échange énergétique apparaît donc comme une tentative de maximiser les atouts des deux pays.
Ce système pourrait aussi profiter à la sous-région, puisque l’électricité ghanéenne alimente déjà le Togo, le Bénin et parfois la Côte d’Ivoire. Si l’accord est finalisé, il renforcerait le rôle du Ghana comme hub énergétique. Le Nigeria y trouverait également un débouché plus sûr pour son gaz, en réduisant la pression sur ses exportations traditionnelles. Une étude indépendante sur les interconnexions électriques en Afrique de l’Ouest pourrait être citée dans ce cadre afin de mesurer l’impact potentiel de cette initiative.
Défis techniques et rappel des enjeux régionaux
L’un des points clés du projet reste l’évaluation de la valeur équivalente entre le gaz livré et l’électricité produite. Définir une base de calcul entre milliards de pieds cubes standard de gaz et mégawattheures d’électricité nécessite un cadre technique précis et transparent. Les experts rappellent que l’efficacité des centrales et les pertes en ligne jouent un rôle déterminant dans cette équation. Cette complexité pourrait représenter un obstacle si aucun mécanisme de régulation n’est mis en place.
Les infrastructures disponibles, notamment le West African Gas Pipeline (WAGP) reliant le Nigeria au Ghana via le Bénin et le Togo, offrent une base déjà opérationnelle. Mis en service en 2006, ce gazoduc a une capacité théorique de 5 milliards de m³ par an, mais seuls des volumes modestes y transitent actuellement. L’accord envisagé pourrait donner un nouvel élan à cette infrastructure, à condition d’investir dans des stations de compression supplémentaires.
Un rappel historique s’impose : l’intégration énergétique en Afrique de l’Ouest est une ambition de longue date de la CEDEAO. La création de la WAPP en 1999 avait pour objectif de mutualiser les ressources et de sécuriser l’approvisionnement électrique des États membres. Plusieurs projets pilotes ont vu le jour, mais les résultats sont restés en deçà des attentes en raison de contraintes techniques, financières et politiques. Cette nouvelle tentative entre le Nigeria et le Ghana s’inscrit dans cette dynamique, tout en cherchant à contourner les difficultés liées aux transactions en devises.
Cependant, les risques ne sont pas négligeables. Le Nigeria a déjà interrompu ses exportations de gaz pour des raisons de maintenance ou de priorités domestiques, ce qui suscite des inquiétudes sur la fiabilité de l’approvisionnement. Du côté ghanéen, certains économistes soulignent que la perte potentielle de recettes en devises, habituellement générées par les exportations d’électricité, pourrait fragiliser l’économie nationale. Ces critiques montrent que la réussite du projet dépendra autant de la technique que de la gouvernance.
La conférence d’Accra a également mis en avant les ambitions d’autres États de la sous-région qui suivent ce projet avec attention. Si le modèle s’avère fonctionnel, il pourrait être étendu à d’autres pays de la CEDEAO et contribuer à créer un marché régional plus cohérent. Des organismes comme la Banque africaine de développement pourraient être sollicités pour soutenir financièrement ce type d’initiatives.
La discussion autour de cet échange illustre la volonté des deux pays de trouver des solutions adaptées à leurs réalités économiques. Le succès ou l’échec de ce partenariat aura sans doute des répercussions au-delà de leurs frontières, sur l’ensemble du système énergétique ouest-africain.



