La sortie musicale de Thiat a provoqué un véritable débat. Alors que le député Amadou Ba de PASTEF y voit une manifestation de la liberté d’expression, d’autres s’en offusquent et multiplient les réponses improvisées sur les réseaux sociaux. Ce contraste illustre la place singulière que le rap occupe dans la vie politique sénégalaise : un miroir qui ne renvoie pas seulement l’image du pouvoir en place, mais aussi celle d’une société en perpétuelle discussion sur ses choix et ses contradictions.
Un langage musical façonné par la contestation
Depuis ses origines à la fin des années 1980, le rap sénégalais s’est construit dans l’arène du conflit politique. Le contexte de réélection controversée d’Abdou Diouf et l’ouverture progressive de l’espace médiatique ont offert aux jeunes artistes un champ d’expression inédit. Pour beaucoup, ce style musical est devenu une tribune où la colère sociale trouvait un écho. Comme le rappelle le rappeur Matador, « le rap sénégalais est né engagé ».
Quelques années plus tard, la compilation « Politichiens » (2000) marquait un jalon important. Elle donnait voix à une jeunesse exaspérée, dénonçant la duplicité des élites et l’emprise d’autorités religieuses perçues comme complices. Cette œuvre, au-delà de son succès artistique, s’imposait comme une chronique sociale qui traduisait en musique la méfiance vis-à-vis de la classe dirigeante.
Des collectifs militants à la scène politique
La critique n’est pas restée confinée aux albums. Avec le collectif Y’en a marre, fondé en 2011 par des rappeurs comme Thiat, Fou Malade et Kilifeu, l’engagement a pris une dimension citoyenne. Ce mouvement a participé activement à la mobilisation contre la tentative d’Abdoulaye Wade de briguer un troisième mandat. Les concerts devenaient alors autant de meetings improvisés où l’on encourageait les jeunes à retirer leur carte d’électeur et à participer au scrutin.
Ce rôle de catalyseur s’est prolongé après l’arrivée de Macky Sall au pouvoir. Le groupe Keur Gui, dont Thiat est membre, s’est illustré par des morceaux sans concession. L’un des plus marquants, « Saï Saï au cœur » (2018), brossait un portrait sombre de la gouvernance Sall, accusée d’avoir trahi les espoirs de changement. Ainsi, chaque transition politique au Sénégal a trouvé en face d’elle un rap contestataire prêt à mettre des mots tranchants sur les désillusions populaires.
« Porozé Bi », une nouvelle salve contestataire
Aujourd’hui, c’est le régime de Bassirou Diomaye Faye et de son Premier ministre Ousmane Sonko qui fait l’objet de la plume acerbe de Thiat. Son dernier morceau, « Porozé Bi », joue sur la déformation du mot « projet » pour pointer l’écart entre les grandes annonces politiques et la réalité quotidienne des Sénégalais. Derrière l’ironie se dessine une critique implacable : celle d’un pouvoir accusé de dérive autoritaire et d’échecs économiques retentissants.
La réaction suscitée par cette chanson confirme que le rap est devenu un acteur incontournable du débat national. Certains y voient une légitime interpellation, d’autres une attaque frontale contre un régime à peine installé. Thiat confirme que la scène rap reste l’un des rares espaces où le peuple entend encore sa colère transformée en rythme et en paroles.



