À Thiobon, village de Casamance aux traditions profondément enracinées, le silence du bois sacré a laissé place aux pas fébriles des initiés. Ce 6 août 2025 marque une résurgence historique : le retour du Boukout après quatre décennies d’attente. Pour les habitants de Thiobon, ce Boukout n’est pas un simple retour aux sources. Il s’agit d’une victoire sur le temps. Maintenir vivant un tel rituel malgré les décennies, malgré l’exode rural, malgré la mondialisation, révèle une volonté farouche de transmettre un héritage vivant, pas un folklore figé.
Une génération entière dans l’attente du passage
Il aura fallu attendre quarante longues années pour que le Boukout, rite initiatique diola, revienne à Thiobon, localité du département de Bignona. Dernièrement célébré en 1983, le rituel n’avait plus eu lieu depuis, laissant plusieurs générations dans une position incertaine, entre jeunesse prolongée et maturité sans reconnaissance rituelle. Pour de nombreux hommes aujourd’hui adultes, voire âgés, l’entrée dans le bois sacré constitue une libération attendue et une consécration symbolique.
Les anciens, les chefs de lignage, les gardiens des traditions ont préparé cet événement dans la plus stricte discrétion. Le retour du Boukout ne se limite pas à une cérémonie, il représente un pont restauré entre les âges, les clans et les esprits. La longue interruption avait fragilisé certains repères. Ce redémarrage rétablit une continuité culturelle vitale.
De la fête visible à l’inconnu du bois sacré
Tout a commencé lundi soir par une cérémonie solennelle en présence du ministre des Infrastructures et des Transports terrestres et aériens, Yankoba Diémé. Mais ce mercredi 6 août, c’est dans un tout autre registre que le cœur de la cérémonie s’est activé. Les hommes, toutes classes sociales confondues, ont franchi le seuil du bois, portés par les chants, les danses, les cris et l’angoisse.
Ceux qui y entrent n’en ressortiront qu’après un processus d’initiation durant lequel les jeunes garçons se dépouillent de leur ancienne identité pour renaître en hommes. Ce moment est décrit par les anciens comme un effacement temporaire du monde connu. L’initié ne sait rien de ce qui l’attend. Ni les règles, ni les épreuves, ni même la durée. Ce mystère fait partie intégrante de la construction de son identité future. Pour beaucoup, il s’agit de la frontière à franchir pour être pleinement reconnu dans la communauté.
Continuer la mémoire, malgré les ruptures du temps
Les préparatifs ont nécessité l’implication de toute la communauté : anciens, jeunes, femmes, diaspora. Chacun, à son niveau, a contribué à maintenir l’équilibre du moment. Car un Boukout ne se convoque pas. Il se mérite. Il se négocie avec les esprits, les ancêtres, les lignages, la terre même.
Si le Boukout a retrouvé ses tambours à Thiobon, c’est aussi parce qu’un peuple a décidé qu’il était temps. Temps de fermer une longue parenthèse. Temps de réancrer la parole sacrée là où elle avait été suspendue. Et surtout, temps de rappeler qu’être adulte, ici, ne dépend ni de l’âge ni des diplômes, mais d’un voyage au cœur du bois, dans l’invisible, où l’on apprend à devenir homme en silence.



