Le silence des tribunaux devient assourdissant. Depuis près de deux mois, l’activité des juridictions sénégalaises est lourdement perturbée par un mouvement de grève observé par les travailleurs de la justice. Réunis sous la bannière de l’entente SYTJUST–UNTJ, ces derniers poursuivent leur bras de fer avec l’État, sans perspective immédiate de sortie de crise. Dans ce climat d’enlisement, le Conseil de l’Ordre des avocats du Sénégal rompt sa réserve et tire la sonnette d’alarme. Selon lui, la situation actuelle va bien au-delà d’un simple conflit social : elle touche au cœur même du pacte républicain.
« Cette situation paralyse le fonctionnement du service public de la justice et porte gravement atteinte aux droits de ses usagers », souligne le Conseil dans un communiqué, exprimant son inquiétude face à la paralysie du service public. L’institution rappelle que, si le droit de grève est légitime, il ne peut se traduire par une mise entre parenthèses du droit pour les citoyens d’être jugés dans des délais raisonnables. Le maintien de la détention provisoire pour des centaines de personnes, l’aggravation du surpeuplement carcéral, et la rupture du droit à un procès équitable figurent parmi les effets immédiats de cette situation.
Une crise de confiance entre acteurs de la justice
Depuis le début du mouvement, les tentatives d’apaisement ont échoué. Le dialogue entre le ministère de la Justice et les grévistes est rompu, tandis que les décisions unilatérales de l’État ont contribué à envenimer le climat. La réquisition de personnel décidée récemment, ainsi que les ponctions opérées sur les salaires des grévistes, ont été vécues comme des actes de défiance. En réponse, un nouvel appel à la grève est annoncé pour les 6, 7 et 8 août prochains, signalant une radicalisation progressive du mouvement.
Dans ce contexte tendu, le Conseil de l’Ordre des avocats estime que l’État ne peut se contenter de mesures de rétorsion administrative. « Il incombe à l’État de garantir la continuité du service public, le respect de ses engagements et l’autorité de la loi », insiste l’Ordre, pointant la responsabilité de l’exécutif dans le maintien d’un accès effectif à la justice.
La situation actuelle s’apparente à une grève de l’ombre. Les audiences ne se tiennent plus ou de façon sporadique, les dossiers s’empilent, les délais de procédure explosent. Dans les maisons d’arrêt, des détenus attendent leurs audiences depuis des semaines, sans aucune visibilité. L’impact est aussi palpable sur les justiciables civils, nombreux à voir leurs litiges bloqués sans possibilité de recours immédiat.
Une justice au ralenti, une économie sous pression
Les conséquences ne se limitent pas au champ judiciaire. Les blocages actuels affectent également le climat des affaires. Contrats suspendus, procédures notariales en attente, décisions d’expulsion ou d’indemnisation gelées : pour de nombreux acteurs économiques, l’inertie du système judiciaire se traduit par une perte de confiance et des préjudices financiers considérables. Dans les tribunaux de commerce, les audiences sont devenues rares, alors que le règlement rapide des différends contractuels est vital pour les PME en difficulté.
En dénonçant l’impact global de la grève, le Conseil de l’Ordre des avocats espère susciter une prise de conscience des autorités. Le message est clair : une justice à l’arrêt n’est pas seulement une faille institutionnelle, c’est un facteur d’instabilité sociale, un risque sanitaire dans les prisons et un frein à la relance économique.


