Luke Kemp, expert en risques globaux à l’Université de Cambridge, vient de publier Goliath’s Curse, un livre qui jette une lumière crue sur la fragilité du monde contemporain. Après avoir étudié plus de 400 sociétés anciennes sur une période de 5 000 ans, il identifie des mécanismes récurrents d’effondrement et souligne que le monde d’aujourd’hui pourrait ne pas échapper à cette logique, à moins d’un basculement profond.
Un système unique, sans précédent historique
Contrairement aux civilisations passées, qui étaient isolées les unes des autres, Kemp estime que nous faisons désormais partie d’un seul bloc globalisé, que rien ne vient contrebalancer. Il le désigne comme un « géant systémique mondial », fruit de l’interdépendance économique, technologique et politique. Un Goliath planétaire dont les failles internes risquent de provoquer une rupture brutale.
Ce modèle n’a pas de filet de sécurité. L’universalité du capitalisme, combinée à une exploitation continue des ressources humaines et naturelles, pousse selon lui les sociétés modernes vers une forme d’instabilité chronique. Dans un entretien accordé à The Guardian et relayé par Cnews, Kemp souligne : « Les élites puisent toujours davantage dans les richesses collectives, affaiblissant peu à peu les fondations de nos sociétés ».
Des dirigeants guidés par des logiques destructrices
Au fil de ses recherches, Kemp a identifié un facteur de risque souvent ignoré : le profil psychologique des personnes au sommet du pouvoir. Il met en avant la présence marquée d’une « triade sombre » — machiavélisme, égocentrisme extrême et comportement antisocial — chez de nombreux décideurs actuels. Ces traits, loin d’être anodins, minent la capacité des institutions à prévenir les crises ou à réagir de manière éthique et prévoyante.
Dans ses propos, Kemp ne cache pas sa préoccupation : « Je ne crois pas que le futur soit prometteur. Mais je crois encore en la capacité des peuples à agir ». Une nuance importante qui traduit une distinction entre les structures de pouvoir défaillantes et les ressources humaines encore disponibles pour réinventer le cours des choses.
Deux directions opposées : la rupture ou la transformation
L’auteur envisage deux chemins possibles pour l’humanité : l’un, le plus probable selon lui, mènerait à une dégradation irréversible de notre système global, sous l’effet combiné des inégalités, des dérèglements écologiques et des crises politiques. L’autre, plus exigeant mais encore envisageable, impliquerait une refonte en profondeur de nos rapports à l’économie, au pouvoir et à l’environnement.
Il ne s’agit pas de simples ajustements techniques ou de nouvelles régulations financières. Pour Kemp, c’est un véritable changement de civilisation qu’il faudrait initier — moins centralisé, plus équitable, et fondé sur une meilleure gestion des biens communs.
Une réflexion ancrée dans l’urgence actuelle
Ce livre paraît à un moment où le sentiment d’épuisement du modèle actuel gagne du terrain, tant chez les chercheurs que dans l’opinion publique. Les tensions internationales, les crises environnementales et les déséquilibres sociaux interrogent la solidité de nos institutions et leur capacité à résister aux chocs du siècle.
À travers une approche historique et systémique, Luke Kemp invite à considérer l’effondrement non pas comme une fatalité lointaine, mais comme une conséquence logique si les dynamiques actuelles se poursuivent. Son message n’est pas tant de faire peur que de pousser à une prise de conscience : l’histoire ne se répète pas à l’identique, mais les patterns ignorés, eux, reviennent toujours.
