Depuis une dizaine d’années, les intelligences artificielles ont quitté les laboratoires pour investir notre quotidien. De simples assistants vocaux dans les téléphones, elles se sont muées en générateurs de textes, en traducteurs instantanés ou encore en créateurs d’images et de vidéos. Les plus puissants modèles sont aujourd’hui capables de résumer des centaines de pages en quelques secondes ou d’analyser des volumes gigantesques de données que des experts mettraient des semaines à parcourir. Dans le monde des affaires, de l’éducation ou de la santé, ces outils se sont imposés comme des alliés incontournables. C’est dans cette dynamique que l’Albanie a choisi de franchir une étape spectaculaire : intégrer une intelligence artificielle au plus haut niveau de son gouvernement révèle l’agence Reuters.
Une ministre qui ne connaît pas la tentation
Baptisée Diella, qui signifie « soleil » en albanais, cette entité numérique a reçu la charge des marchés publics. Sa mission consiste à gérer et attribuer les appels d’offres par lesquels l’État collabore avec des entreprises privées pour réaliser divers projets. Contrairement à un ministre humain, Diella n’a ni besoins personnels ni intérêts financiers. Elle est ainsi présentée comme imperméable aux pots-de-vin, aux intimidations et aux sollicitations visant à fausser le processus. Le Premier ministre Edi Rama, entamant son quatrième mandat, voit dans ce choix une façon radicale de couper court à la corruption qui gangrène traditionnellement ce secteur stratégique.
Le pari d’une gouvernance algorithmique
Placer une intelligence artificielle au cœur des décisions liées aux finances publiques revient à confier un volant sensible à une machine supposée incorruptible. Les partisans de cette innovation estiment qu’un tel système assure une impartialité totale : aucun dossier ne peut être favorisé en dehors des critères définis par avance. On pourrait comparer ce rôle à celui d’un arbitre électronique dans un match de football : le logiciel ne ressent aucune pression et applique les règles sans émotion. Cependant, cette délégation du pouvoir à un programme soulève des interrogations. Qui contrôle les paramètres qui orientent ses choix ? Comment garantir que les entreprises évincées ne soupçonnent pas des biais cachés dans l’algorithme ?
Au-delà de ces incertitudes, le message envoyé est clair : Tirana veut se poser en pionnière d’une administration débarrassée de ses failles humaines. Dans un pays où les soupçons de corruption sont récurrents, l’arrivée d’un ministre virtuel est à la fois une expérimentation audacieuse et une déclaration politique. Reste à savoir si ce « soleil » numérique éclairera durablement la vie publique albanaise ou s’il ne fera qu’ouvrir un nouveau champ de débats sur la place des machines dans les décisions qui engagent une nation.



