Éthiopie : le super-barrage de tous les dangers

Le Grand barrage de la Renaissance (GERD), construit sur le Nil Bleu, s’apprête à entrer en service. Présenté par l’Éthiopie comme une réponse stratégique à ses besoins énergétiques, il suscite en parallèle des inquiétudes profondes en Égypte et au Soudan. Ce projet emblématique cristallise les espoirs de développement mais aussi les tensions liées au partage des eaux du Nil.

Une ambition énergétique et économique pour l’Éthiopie

Avec un coût estimé à 4 milliards de dollars, le GERD est le plus grand projet hydroélectrique d’Afrique. Sa capacité installée dépasse 6 000 mégawatts, ce qui en fait un outil central pour couvrir les besoins en électricité d’un pays de plus de 120 millions d’habitants. L’objectif est double : assurer l’indépendance énergétique et transformer l’Éthiopie en fournisseur régional d’électricité.

Le gouvernement d’Addis-Abeba espère ainsi stimuler l’industrialisation, réduire la dépendance aux énergies fossiles et exporter vers des pays voisins tels que Djibouti, le Kenya ou le Soudan. La Banque mondiale estime que plus de 60 % des Éthiopiens n’ont toujours pas accès à l’électricité. Le barrage est donc perçu comme un levier de croissance, susceptible de générer des revenus en devises et de soutenir les ambitions économiques nationales.

Selon le Premier ministre Abiy Ahmed, ce projet doit être vu comme « un moteur de prospérité partagée », une déclaration visant à rassurer ses voisins tout en affirmant la souveraineté du pays sur ses ressources hydriques.

Des inquiétudes majeures en Égypte et au Soudan

Pour l’Égypte, qui dépend du Nil à près de 97 % pour son approvisionnement en eau, le remplissage du barrage représente une menace directe. Les autorités égyptiennes craignent que la régulation du flux du fleuve réduise l’accès à une ressource vitale pour l’agriculture et l’alimentation de plus de 110 millions d’habitants. Comme le souligne Le Monde, Le Caire insiste sur la nécessité d’un accord juridiquement contraignant.

Le Soudan, bien que susceptible de bénéficier d’une électricité à moindre coût, redoute des perturbations dans la gestion de ses propres barrages, notamment celui de Roseires, situé en aval. Les risques concernent la régulation des crues, la sécurité hydraulique et l’impact potentiel en cas de sécheresse prolongée.

Ces inquiétudes sont amplifiées par l’absence d’un accord tripartite clair. L’Égypte s’appuie sur les traités de 1929 et 1959 pour revendiquer des droits historiques sur le Nil, tandis que l’Éthiopie considère ces textes comme obsolètes et hérités de la période coloniale.

Un dialogue régional toujours dans l’impasse

Depuis 2011, plusieurs cycles de négociations ont été organisés sous l’égide de l’Union africaine ou avec la médiation de partenaires internationaux, sans résultat concret. Les discussions achoppent sur la durée du remplissage du réservoir et les mécanismes à mettre en place en période de sécheresse.

Le barrage, d’une capacité de stockage d’environ 74 milliards de m³, pourrait modifier de manière significative le débit du Nil Bleu. Cette perspective alimente les tensions diplomatiques et a conduit l’Égypte à multiplier les démarches auprès du Conseil de sécurité de l’ONU. L’AP News souligne que l’Éthiopie a poursuivi son projet malgré les pressions, affirmant que ses besoins en développement ne pouvaient être retardés.

Malgré ces tensions, Addis-Abeba insiste sur le fait que le projet ne vise pas à priver ses voisins de l’eau, mais à mieux exploiter un potentiel hydroélectrique largement sous-utilisé.

Un symbole de puissance et un test pour la coopération régionale

Le GERD est devenu un symbole de fierté nationale en Éthiopie. Il illustre la volonté d’affirmer une autonomie stratégique face aux contraintes régionales et aux dépendances extérieures. Mais il met aussi à l’épreuve la capacité des pays du bassin du Nil à trouver des compromis sur une ressource partagée et vitale.

Comme le rappelle Courrier International, seule une gestion concertée du fleuve permettra de réduire les risques de confrontation. En l’absence d’accord, le barrage de la Renaissance demeure un atout pour l’Éthiopie, mais un sujet de préoccupation majeure pour ses voisins.

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