Maroc - Algérie : regards croisés sur deux modèles de défense

Les chiffres de la défense ne se limitent pas à des colonnes comptables. Ils traduisent des choix politiques, des ambitions géostratégiques et une certaine conception de la sécurité nationale. Au Maghreb, cette réalité se manifeste chaque année à travers les budgets militaires du Maroc et de l’Algérie, deux puissances régionales qui mobilisent des ressources considérables pour renforcer leurs capacités armées. Depuis plusieurs années, la défense occupe une place centrale dans les priorités nationales des deux pays.

Les investissements en équipements, infrastructures et partenariats stratégiques reflètent la volonté de consolider leur position dans une région où l’équilibre militaire reste un facteur déterminant de stabilité. C’est dans ce cadre que les projets de loi de finances 2026 mettent en évidence deux approches distinctes de la puissance : l’une tournée vers la modernisation raisonnée, l’autre fondée sur la supériorité quantitative.

Maroc : une planification tournée vers la modernisation durable

Le Maroc affiche une stratégie de défense fondée sur la continuité et la rationalisation des investissements. Selon une analyse récente publiée par la plateforme espagnole Defensa, les autorisations d’engagement de l’Administration de la Défense nationale atteignent 157,17 milliards de dirhams, soit environ 14,7 milliards d’euros. Ces crédits, destinés à financer des programmes pluriannuels, illustrent la volonté de Rabat de consolider ses capacités sans déséquilibrer son économie.

Cette enveloppe englobe désormais des projets d’infrastructures destinées à moderniser les installations militaires. L’objectif est d’améliorer la logistique et les conditions opérationnelles des Forces armées royales tout en poursuivant la montée en gamme technologique. Le Maroc privilégie une stratégie dite de Smart Power, articulée autour de la qualité, de la coopération et de l’innovation. Ses partenariats récents avec les États-Unis, Israël, l’Inde et la Turquie traduisent cette orientation vers la maîtrise technologique et la recherche d’une autonomie progressive dans la production de matériel de défense.

Sur le plan économique, les dépenses militaires marocaines — environ 5,1 milliards d’euros — représentent 3,4 % du PIB et 7,66 % du budget général de l’État, selon les estimations du Fonds monétaire international pour 2025. Ce ratio demeure soutenable pour une économie en croissance, tout en maintenant une marge budgétaire pour les secteurs sociaux.

Algérie : la primauté de la puissance et de la dissuasion

À l’opposé, l’Algérie privilégie une logique de volume et de dissuasion. Son projet de loi de finances 2026 consacre environ 3 305 milliards de dinars algériens — soit 22,8 milliards d’euros — à la défense nationale. Les crédits de paiement, presque équivalents, témoignent d’une mobilisation immédiate de ressources pour couvrir les dépenses courantes et les contrats en cours. Cette approche traduit une gestion axée sur la disponibilité opérationnelle d’une armée numériquement importante et dotée d’un équipement varié.

Les forces aériennes algériennes continueront d’être renforcées par l’arrivée de nouveaux appareils d’origine russe : Sukhoï Su-57, Su-35 et Su-34, selon les données relayées par Defensa. Cette orientation maintient la dépendance du pays à la technologie militaire russe, tout en assurant une puissance de feu significative dans la région.

Le poids budgétaire de cette stratégie reste considérable. Les 22,1 milliards d’euros alloués à la défense représentent 8,9 % du PIB et 15,1 % du budget général de l’État — un niveau supérieur à celui de la plupart des grandes puissances militaires mondiales. Cette proportion place l’Algérie parmi les pays où la part du PIB consacrée à la défense est la plus élevée, comparable à celle d’États en situation de tension permanente. À titre de comparaison, les dépenses combinées de l’éducation et de la santé (environ 18,5 milliards d’euros) restent inférieures au seul budget militaire.

Deux philosophies de la sécurité nationale

Ces chiffres traduisent deux conceptions opposées de la sécurité. Le Maroc mise sur une montée en compétence et une diversification technologique dans une logique d’investissement à long terme. L’Algérie, elle, conserve une stratégie de masse, fondée sur la dissuasion et la robustesse immédiate de ses forces.

Si la première approche vise la durabilité et la transformation qualitative, la seconde repose sur la puissance matérielle et la réponse rapide. Cette différence reflète aussi les structures économiques des deux pays : Rabat finance son effort de défense sur une base budgétaire relativement équilibrée, tandis qu’Alger dépend fortement des revenus des hydrocarbures, rendant sa politique militaire plus vulnérable aux fluctuations du marché pétrolier.

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