Algérie : la classe politique française se divise autour de l'accord de 1968

L’Assemblée nationale a adopté de justesse, jeudi 30 octobre, une proposition de résolution invitant à dénoncer l’accord franco-algérien de 1968. Porté par le Rassemblement national, le texte a recueilli 185 voix contre 184, une première pour ce groupe parlementaire. Le gouvernement indique privilégier une renégociation, tandis que plusieurs formations critiquent une démarche jugée clivante. L’enjeu clé concerne la politique migratoire et le cadre juridique applicable aux ressortissants algériens en France.

Les points de fracture au Parlement

Le vote serré consacre la stratégie du Rassemblement national lors de sa « niche parlementaire » : obtenir un soutien ponctuel au-delà de son camp sur un texte à portée symbolique forte. Plusieurs élus de droite, dont Les Républicains et des députés d’Horizons, ont appuyé la résolution, contribuant à son adoption. Pour ses promoteurs, dont le député Guillaume Bigot, l’objectif est d’aligner le régime applicable aux Algériens sur celui des autres nationalités. L’élu, à l’origine de la proposition, insiste sur un « travail collectif » et estime que son parti constitue « le vrai barrage républicain », tout en soulignant que la France « tient tête » à Alger. À l’inverse, la gauche parlementaire dénonce une initiative qui, selon elle, attise les tensions et banalise des thèses qu’elle combat depuis longtemps. Les débats se sont prolongés jusque dans l’hémicycle et sur les réseaux sociaux, où plusieurs responsables ont pointé l’absentéisme de certains députés lors du scrutin.

Ce résultat intervient alors que d’autres textes du même groupe n’ont pas franchi l’étape du vote, notamment une proposition sur le retour du délit de séjour irrégulier. La résolution sur l’accord de 1968, elle, n’a pas de valeur normative directe : elle n’oblige ni l’exécutif ni la France à rompre le cadre bilatéral. Son adoption a toutefois relancé la pression politique sur l’Élysée et Matignon. Jordan Bardella a appelé l’exécutif à mettre fin au dispositif, au nom d’une reprise de contrôle de la politique migratoire. Dans la majorité, la ligne affichée par le Premier ministre Sébastien Lecornu est de privilégier une voie de négociation. Face à la presse, il a assumé la nécessité d’actualiser un texte jugé daté, résumant sa position en une formule : « faut renégocier l’accord ». Plusieurs acteurs de la majorité soulignent que la conduite des traités relève du président de la République et que toute évolution devra s’inscrire dans le respect des engagements internationaux.

Sur le terrain politique, la séquence révèle des lignes de partage mouvantes. Les Républicains défendent une position de fermeté, estimant que les privilèges supposés de l’accord n’ont plus lieu d’être. À gauche, les Insoumis et des élus socialistes fustigent une démarche qualifiée d’hostile envers l’Algérie et préoccupante pour les Français d’origine maghrébine. Dans cette configuration, la faible marge au vote a cristallisé les critiques sur la mobilisation des différents groupes, chaque camp imputant à l’autre la responsabilité de l’issue. La résolution, adoptée à une voix, montre la fragmentation du paysage parlementaire et la capacité de textes ciblés à créer des coalitions fluctuantes.

Un traité ancien aux effets toujours sensibles

Conclu le 27 décembre 1968 et amendé à plusieurs reprises (1985, 1994, 2001), l’accord organise les conditions de séjour, de circulation et certaines modalités de regroupement familial pour les ressortissants algériens. Il prévoit notamment l’accès à un certificat de résidence de dix ans dans des cas déterminés, et des facilités administratives spécifiques qui le distinguent du droit commun. Au fil du temps, des pans du dispositif ont été resserrés, sous l’effet de l’harmonisation européenne (Schengen) et de réformes françaises. Des critiques récurrentes ciblent la coexistence de ce cadre bilatéral avec la législation générale sur l’immigration, créant, selon ses détracteurs, des asymétries juridiques. D’autres voix rappellent que l’accord encadre aussi des situations familiales et professionnelles concrètes, et que sa dénonciation ou sa refonte exigerait un travail technique conséquent pour éviter des vides ou des contentieux.

Depuis plusieurs mois, les relations entre Paris et Alger sont marquées par des séquences de crispation, souvent liées à la coopération migratoire, aux laissez-passer consulaires et à des dossiers mémoriels sensibles. Des échanges diplomatiques ont cherché, par cycles, à relancer les canaux de dialogue, sans dissiper toutes les divergences sur les réadmissions ni sur les attentes respectives en matière d’égalité de traitement. Dans ce climat, la perspective d’une renégociation pourrait être perçue à Alger comme une remise à plat du cadre hérité, tandis qu’en France le débat s’articule autour de l’efficacité des politiques de séjour et d’éloignement. Il pourrait être envisagé que des discussions techniques explorent des ajustements ciblés, mais leur aboutissement dépendrait d’un équilibre politique bilatéral et d’un calendrier diplomatique encore incertain.

La séquence parlementaire pose également la question de la méthode. Une dénonciation unilatérale, si elle était décidée, impliquerait de gérer les conséquences sur des milliers de situations administratives et sur la coopération consulaire quotidienne. Une renégociation, à l’inverse, laisserait place à une révision graduée, potentiellement calée sur des objectifs précis (readmissions, titres de séjour, étudiants, mobilité professionnelle). Les partisans d’une rupture estiment que seul un geste fort rétablirait une forme de réciprocité. Les tenants d’une mise à jour négociée plaident pour une solution juridiquement robuste, susceptible d’éviter des contentieux et de préserver les liens humains entre les deux rives. Dans l’un et l’autre cas, l’exécutif détient le levier, le Parlement n’ayant exprimé qu’une orientation politique.

À ce stade, l’équation se joue à trois niveaux : bilatéral, européen et intérieur. Bilatéral, parce que tout accord révisé devra tenir compte d’attentes spécifiques de part et d’autre de la Méditerranée. Européen, car le droit de l’Union encadre la circulation et le séjour des ressortissants de pays tiers, avec des marges d’aménagement limitées. Intérieur, enfin, puisque la majorité des dispositions relatives aux titres de séjour, au travail et à la vie familiale relèvent aussi de lois nationales et de pratiques préfectorales. Cette superposition de normes explique l’appel de plusieurs responsables à une approche « pragmatique », c’est-à-dire une adaptation ciblée plutôt qu’un chamboulement juridique global.

La portée politique du vote du 30 octobre est donc double. D’une part, il signale un durcissement du débat sur l’immigration et sur les régimes dérogatoires bilatéraux ; d’autre part, il met à l’épreuve la capacité de l’exécutif à piloter une trajectoire lisible entre fermeté et sécurité juridique. Les prochains échanges entre Paris et Alger diront si une fenêtre de renégociation s’ouvre et à quelles conditions. D’ici là, les acteurs politiques français continueront de se positionner, au gré des équilibres parlementaires, sur la manière d’articuler impératifs de souveraineté, stabilité des parcours de vie et coopération avec un partenaire régional majeur.

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