L’Algérie engage un nouveau chantier de mémoire en lançant une enquête nationale sur les crimes environnementaux hérités de la colonisation française. Une commission multisectorielle vient d’être installée à Alger pour inventorier les zones affectées par les essais nucléaires, chimiques et militaires menés entre 1960 et 1966, notamment à Reggane et In Ekker.
Placée sous la codirection du Centre national d’études et de recherche sur la Résistance populaire, le Mouvement national et la Révolution du 1er Novembre 1954 (CNERMN54) et de l’Observatoire national de l’environnement et du développement durable (ONEDD), la commission rassemble des représentants de la Défense nationale, de la Santé, de l’Agriculture, de la Recherche scientifique et de l’Hydraulique. Son objectif est de recenser et documenter les atteintes durables à la nature et à la santé humaine causées par les activités coloniales.
Selon la ministre de l’Environnement et de la Qualité de la vie, Kaouter Krikou, cette démarche vise à produire une base scientifique solide sur les impacts écologiques et sanitaires laissés par la colonisation. Les travaux devraient notamment porter sur la contamination des sols, les eaux polluées, ainsi que sur la présence de déchets radioactifs dont les sites exacts d’enfouissement restent encore inconnus.
Des séquelles persistantes d’une période de domination
Le colonialisme européen a profondément marqué les territoires africains. Des exploitations minières intensives aux déforestations massives, de nombreux pays du continent ont hérité de déséquilibres écologiques durables. En Algérie, ces traces sont particulièrement visibles dans le sud du pays, théâtre d’essais nucléaires et d’opérations militaires dont les effets se prolongent sur plusieurs générations. C’est précisément cet héritage que les autorités veulent désormais évaluer avec rigueur.
Entre 1960 et 1966, la France a mené dix-sept explosions nucléaires sur le sol algérien. Le premier essai, baptisé Gerboise bleue, a marqué le début d’une série d’expérimentations dont les conséquences radiologiques demeurent mesurables. Les autorités algériennes demandent depuis des années la publication complète des archives françaises relatives à ces essais, y compris les cartes des sites d’enfouissement des déchets radioactifs, des équipements et matériaux contaminés.
Cette exigence a encore été réaffirmée à Vienne, lors de la 79ᵉ session de la Conférence générale de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), où la délégation algérienne a appelé à la transparence totale sur ces opérations.
Outre les effets des radiations, les chercheurs et responsables évoquent également les conséquences de l’usage d’armes chimiques durant la guerre d’indépendance. Ces substances auraient altéré la qualité des sols et des nappes phréatiques, aggravant les conditions de vie des populations rurales.
Entre recherche et mémoire
Ce travail de documentation, à la fois scientifique et historique, s’inscrit dans une dynamique plus large de reconnaissance des impacts coloniaux. Le président Abdelmadjid Tebboune a plusieurs fois rappelé que la question des essais nucléaires constitue un dossier à traiter entre Alger et Paris.
La commission nouvellement créée représente une étape vers une meilleure compréhension de ces dommages et pourrait, à terme, servir de base à des demandes officielles de réparation ou de coopération environnementale.



