Maroc - Algérie : une réconciliation est-elle encore possible ?

L’ex-chef d’État tunisien Moncef Marzouki remet au premier plan un débat longtemps mis en veille : celui d’un éventuel dégel entre le Maroc et l’Algérie. Après des décennies de tensions persistantes, de repositionnements diplomatiques et de rivalités régionales, son intervention sonne comme un appel à réimaginer l’avenir du Maghreb. Il invite les deux pays à reprendre le dialogue et à redonner vie à l’Union du Maghreb Arabe (UMA), paralysée depuis des années. Une telle démarche ne concernerait pas seulement les gouvernements, mais influencerait profondément l’équilibre politique, économique et humain de tout l’espace maghrébin.

Un appel à « dépasser l’obstacle » et à reconstruire un espace maghrébin partagé

Dans son intervention relayée par Morroco World News, Moncef Marzouki évoque l’urgence de sortir le Maghreb de ce qu’il considère comme une impasse historique. Pour lui, la normalisation entre Rabat et Alger ne constitue pas uniquement un acte politique, mais un impératif stratégique pour l’avenir de près de 100 millions de citoyens maghrébins. L’ancien chef d’État plaide pour la réactivation de l’Union du Maghreb Arabe, fondée en 1989 mais paralysée depuis plus de vingt ans. Selon lui, cet ensemble devrait permettre l’application de cinq droits fondamentaux : circuler librement, s’installer, travailler, posséder des biens et participer aux élections locales dans n’importe quel pays de la région. Ce projet, présenté comme une promesse d’intégration et de mobilité, ambitionne de réduire les barrières administratives et nationales qui fragmentent aujourd’hui le Maghreb.

Il estime aussi qu’il est temps de « dépasser l’obstacle du différend sur le Sahara », un point de rupture majeur depuis les années 1970. Sa formulation ne nie pas la sensibilité du dossier, mais suggère que la question pourrait être traitée par une approche diplomatique renouvelée plutôt que par des positions irréconciliables. Dans un message publié sur Facebook le 4 novembre, il a parlé du « moment d’une réconciliation historique entre frères », un choix lexical soulignant la dimension identitaire, culturelle et affective des relations entre les deux sociétés, au-delà des États.

Depuis la fermeture de la frontière terrestre entre les deux pays en 1994, les liens humains, économiques et sociaux se sont affaiblis. Pourtant, les dynamiques commerciales, culturelles et familiales entre les populations demeurent fortes, parfois à travers des déplacements aériens, parfois grâce aux réseaux sociaux, parfois par le souvenir d’un temps où la frontière n’était pas un mur politique. Cet appel à la réconciliation se situe donc aussi dans une mémoire collective, faite de langue partagée, traditions proches et interdépendances anciennes.

Entre rivalités géopolitiques, enjeux énergétiques et nouvelles alliances régionales

La question de la possibilité d’une réconciliation doit être analysée à l’aune des équilibres géopolitiques actuels. Depuis de nombreuses années, le dossier du Sahara occidental cristallise les divergences diplomatiques. Le Maroc défend une proposition d’autonomie sous sa souveraineté, qui a été soutenue par l’ONU il y a quelques jours, renforçant sa position sur la scène internationale. L’Algérie, de son côté, maintient son soutien au Front Polisario, ce qui continue de bloquer la plupart des discussions bilatérales et entretient une impasse persistante entre les deux voisins.

S’y ajoutent des tensions plus récentes, notamment avec la normalisation des relations entre Rabat et Israël en 2020. Ce rapprochement, perçu comme un repositionnement stratégique du Maroc, a renforcé les inquiétudes d’Alger, qui y voit une intrusion d’un nouvel acteur à sa frontière ouest. Dans le même temps, les deux pays se projettent aussi sur l’Afrique de l’Ouest à travers des projets énergétiques concurrents. Le premier, porté par le Maroc et le Nigeria, vise à créer un gazoduc longeant la côte ouest-africaine jusqu’à l’Atlantique. Le second, soutenu par l’Algérie, s’appuie sur un itinéraire transsaharien reliant le Nigeria à l’Europe en passant par le Niger. Ces deux infrastructures symbolisent des visions opposées du développement régional.

Les dynamiques diplomatiques dans la région se redéfinissent également à travers les relations avec la France. Le Maroc et Paris se sont rapprochés ces derniers mois, avec des visites officielles, des échanges économiques renforcés et des accords sur des dossiers stratégiques tels que la sécurité et l’énergie. Ce rapprochement se manifeste notamment par le soutien français à la position marocaine sur le Sahara, ce qui attire particulièrement l’attention d’Alger, où les relations avec Paris restent tendues. Pour l’Algérie, ce renforcement du partenariat franco‑marocain est perçu comme un déséquilibre régional qui pourrait affaiblir sa propre influence diplomatique dans la zone.

La réconciliation, dans cette situation, n’est donc pas impossible, mais elle suppose une volonté politique forte. Aucun des deux pays ne semble prêt, pour l’instant, à faire le premier pas sans garanties. Pourtant, l’idée d’une détente progressive, initiée par des échanges culturels, universitaires ou économiques, pourrait constituer une voie alternative, moins spectaculaire mais plus durable.

L’appel de Marzouki rouvre une question qui n’a jamais réellement disparu : celle d’un Maghreb intégré, capable de s’affirmer sur la scène mondiale. La réconciliation entre le Maroc et l’Algérie ne serait pas seulement un acte diplomatique, mais un tournant historique susceptible de transformer l’équilibre régional, d’améliorer la circulation des personnes et des biens, et de renforcer la stabilité. Mais pour que cet horizon se dessine, il faudra plus qu’un appel : un dialogue lucide, patient, et la reconnaissance mutuelle que l’avenir de l’un ne peut être construit contre l’autre, mais peut-être avec lui.

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