La banque suisse UBS vient de publier un rapport qui bouscule les certitudes sur la fabrique des grandes fortunes. En 2025, la transmission patrimoniale supplante désormais l’entrepreneuriat comme principal chemin vers le statut de milliardaire. Un renversement qui ébranle le mythe du mérite, même si un secteur résiste encore à cette logique dynastique : la technologie.
Une année record pour les héritiers
Le « Billionaire Ambitions Report » dévoilé le 4 décembre 2025 par UBS livre des chiffres éloquents. Entre avril 2024 et avril 2025, 91 individus ont accédé au rang de milliardaire grâce à des successions, empochant au total 298 milliards de dollars. Ce montant dépasse d’un tiers celui de l’année précédente. Sur ces 91 nouveaux ultra-riches, on compte 64 hommes et 27 femmes — tous propulsés au sommet sans avoir bâti quoi que ce soit.
« Ces héritiers sont la preuve d’un transfert de richesse pluriannuel qui s’intensifie », analyse Benjamin Cavalli, dirigeant de la division gestion de fortune chez UBS.
Sur les quinze prochaines années, environ 6 900 milliards de dollars — soit 5 900 milliards d’euros — transiteront d’une génération à l’autre au sein des familles les plus fortunées. Les États-Unis concentreront l’essentiel de ces flux, devant l’Inde, la France, l’Allemagne et la Suisse.
Le self-made man en voie de disparition ?
L’image de l’entrepreneur parti de rien pour conquérir le monde vacille. En 2024, le nombre de nouveaux milliardaires issus d’héritages a dépassé pour la première fois celui des entrepreneurs. Parmi les milliardaires de moins de 30 ans, aucun n’a construit sa fortune lui-même — tous l’ont reçue.
L’Hexagone montre cette tendance. Au début des années 1970, le patrimoine hérité représentait 35% de la richesse totale des Français. Ce ratio atteint aujourd’hui 60%. En deux générations, la naissance a supplanté le travail comme principal facteur d’enrichissement.
L’exception technologique : l’IA comme dernier ascenseur
Un secteur échappe pourtant à cette logique dynastique : la technologie, et particulièrement l’intelligence artificielle. En décembre 2025, trois Américains de 22 ans sont devenus les plus jeunes milliardaires autodidactes au monde grâce à Mercor, leur startup de recrutement par IA valorisée 10 milliards de dollars. Ils ont détrôné Mark Zuckerberg, qui avait atteint ce statut à 23 ans avec Facebook.
Ce n’est pas un cas isolé. Les fondateurs d’OpenAI, d’Anthropic ou de Mistral AI en France incarnent cette nouvelle génération de créateurs de richesse. Jensen Huang, patron de Nvidia, est devenu l’un des hommes les plus riches du monde grâce aux puces qui alimentent la révolution de l’IA. Dans ce domaine, le code source compte encore plus que l’arbre généalogique.
Des empires économiques verrouillés
En dehors de la tech, la concentration dynastique freine l’émergence de nouveaux acteurs. Dotés de ressources colossales, les héritiers peuvent racheter toute jeune pousse menaçante avant qu’elle ne devienne concurrente. Plutôt que d’inventer, ils acquièrent. Plutôt que de risquer, ils absorbent ceux qui osent.
Dès 1962, l’économiste Milton Friedman alertait sur ce danger. Il décrivait des héritiers tentés de se retirer de la compétition économique pour protéger leurs acquis, figeant les hiérarchies de fortune sur plusieurs générations.
La France entre égalité proclamée et dynasties naissantes
Le cas français cristallise les contradictions. Patrie de l’égalité des chances, la France figure parmi les futurs épicentres de la transmission milliardaire. Les géants du luxe — LVMH, Hermès, Kering, L’Oréal — préparent leur passation de pouvoir. Demain, le nom de famille primera sur le talent dans ces empires.
Les grandes fortunes savent aussi se déplacer. La Suisse, les Émirats arabes unis, Singapour et les États-Unis attirent ces patrimoines nomades grâce à des fiscalités avantageuses.
Dans quinze ans, près de 6 000 milliards d’euros auront changé de mains. À l’issue de ce gigantesque transfert, une question s’imposera : hors du code informatique, existe-t-il encore un chemin vers la richesse pour ceux qui n’ont pas eu la chance de naître dans la bonne famille ?


