Afrique : pourquoi la FIFA est accusée de manquer de respect au continent

L’Afrique représente l’un des géants du football mondial. Avec plus de 54 fédérations membres et un vivier inépuisable de talents qui évoluent dans les plus grands championnats européens, le continent africain constitue une force incontournable du ballon rond. Des légendes comme Samuel Eto’o, Didier Drogba, Mohamed Salah ou Sadio Mané ont brillé sur les pelouses internationales, tandis que la Coupe d’Afrique des Nations demeure depuis 1957 le rendez-vous majeur qui rassemble les meilleurs joueurs du continent. Pourtant, cette contribution massive au football planétaire ne semble pas être reconnue à sa juste valeur par l’instance dirigeante du football mondial.

Depuis plusieurs semaines, une vague d’indignation sans précédent secoue le football africain. Entre décisions unilatérales et calendriers imposés, la FIFA fait face à des accusations de mépris envers l’Afrique. Deux polémiques majeures cristallisent cette colère : d’abord la libération tardive des joueurs pour l’édition 2025 au Maroc, puis le passage de la CAN à un rythme quadriennal.

La FIFA retarde la libération des joueurs et sabote la préparation des sélections

Début décembre, la première onde de choc a frappé le football africain. La FIFA a cédé à la pression de l’association européenne des clubs en repoussant la date de libération des joueurs du 8 au 15 décembre, soit seulement six jours avant le début de la CAN 2025. Cette décision tardive, annoncée le 3 décembre via une circulaire spéciale, a bouleversé tous les plans de préparation des vingt-quatre sélections qualifiées.

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Tom Saintfiet, sélectionneur belge du Mali, a qualifié cette annonce de catastrophique : « En Europe, tout le monde pense que le football africain n’est pas important, c’est un manque de respect, je suis très en colère. Quant au revirement à une semaine de la date, je ne trouve pas ça très professionnel pour une instance comme la FIFA. »

Le technicien belge a également attaqué le directeur technique de la FIFA, Arsène Wenger : « Le problème, c’est que le directeur technique de la FIFA ne connaît rien au football de sélection. Hormis deux saisons au Japon, il a seulement travaillé avec des grands clubs en Europe, Arsenal et Monaco. Et c’est ce qu’il fait maintenant, le travail pour les grands clubs, pas pour les équipes nationales. »

Patrice Beaumelle, sélectionneur de l’Angola, a exprimé sa consternation : « Si les joueurs ne sont libérés que le 15, nous n’aurons que trois entraînements avant de partir pour Marrakech quatre jours avant notre premier match. Trois séances, ce n’est plus un stage, mais juste du bricolage ! Et je trouve que pour préparer une Coupe d’Afrique des Nations, c’est dramatique. »

Le technicien français a également dénoncé un deux poids deux mesures : « L’Afrique, c’est 54 Fédérations. Lorsqu’il s’agit de chercher des voix pour être élu à la FIFA, on sait utiliser le continent. En revanche, lorsqu’il faut le préserver, le mettre en avant et le valoriser à sa juste valeur, on oublie de le respecter. On ne respecte ni les Fédérations, ni les joueurs. »

Emerse Faé, sélectionneur de la Côte d’Ivoire, tenante du titre, a souligné les conséquences organisationnelles désastreuses : « Au départ on apprend qu’on a les joueurs le 8 décembre. On s’organise en fonction du 8 avec deux matches amicaux. Quand à la dernière minute, ils nous disent finalement ce sera le 15 parce que les clubs ont mis la pression, cela nous désorganise. On est obligé de revoir notre programme à la baisse. »

Habib Bèye, entraîneur du Stade Rennais et ancien international sénégalais, a fustigé cette décision malgré le fait qu’il bénéficie en tant qu’entraîneur de club de cette prolongation : « On a l’impression qu’on peut bouger cette CAN quand on veut, qu’on peut la placer où on veut, qu’on peut donner l’organisation qu’on veut. Ça ne se passe pas sur les autres fédérations ou sur les autres compétitions internationales. Tout le monde savait que la CAN a été placée là depuis très longtemps. »

Gernot Rohr, sélectionneur du Bénin, a résumé le sentiment général : « C’est un manque de respect par rapport aux sélectionneurs. Nous sommes en colère. »

Au-delà de l’aspect sportif, cette décision a engendré des pertes financières considérables pour les fédérations africaines. Des hôtels réservés, des matchs amicaux annulés, des infrastructures louées : des milliers d’euros ont été dépensés en vain. Le sélectionneur malien a également rapporté que deux de ses joueurs, Sikou Niakaté et Hamari Traoré, se sont blessés lors de leurs derniers matchs en club, illustrant les risques d’une préparation bâclée.

Le passage de la CAN tous les quatre ans provoque un tollé général

Alors que la polémique sur la libération des joueurs n’était pas encore retombée, une deuxième bombe a explosé. Le 20 décembre 2025, à la veille du coup d’envoi de la CAN au Maroc, Patrice Motsepe, président de la Confédération africaine de football, a officialisé une réforme explosive : la compétition continentale se tiendra désormais tous les quatre ans à partir de 2028, abandonnant son format biennal traditionnel. Cette décision, présentée comme une harmonisation avec le calendrier mondial, a provoqué un tollé chez les acteurs du football africain qui y voient la main de Gianni Infantino et de la FIFA.

Tom Saintfiet, déjà remonté contre l’instance mondiale, n’a pas mâché ses mots lors d’une conférence de presse explosive. « La CAN existe depuis 1957, elle se déroule tous les deux ans, elle fait la fierté du continent. Passer à une CAN tous les quatre ans, retirer cela… je pourrais comprendre si cela venait d’une requête des fédérations africaines, une demande des joueurs africains. Mais là, cela se fait pour satisfaire les puissants, l’UEFA, les gros clubs des cinq grands championnats européens et la FIFA », a-t-il déploré avec véhémence.

Le technicien belge a poursuivi son réquisitoire : « On s’est tellement battus, depuis des décennies, pour que le football africain soit respecté, et voilà que l’Europe balaie cette histoire de près de 70 ans pour des raisons financières, et seulement pour ça. Beaucoup de grandes stars en Europe ont des origines africaines. Dans le monde, l’Afrique est le plus grand continent de football, en termes de passion, de qualité de joueurs, en termes d’histoire et d’héritage. »

Paul Put, sélectionneur de l’Ouganda, a directement pointé du doigt les priorités de la FIFA : « Le problème vient peut-être de la Coupe du monde et de la Coupe du monde des Clubs ? », s’est-il interrogé, faisant référence à la nouvelle compétition lucrative de Infantino qui a imposé ses dates aux dépens de la CAN.

Walid Regragui, sélectionneur du Maroc, pays hôte de la compétition, a adopté une position plus nuancée tout en reconnaissant des aspects négatifs : « Le format bi-annuel de la CAN permettait à de nombreuses équipes de progresser et de se développer rapidement. »

Les anciennes gloires du football africain ont également exprimé leur désaccord. Samuel Eto’o, aujourd’hui président de la Fédération camerounaise, s’était déjà opposé à cette idée en 2020, déclarant sur RFI : « Est-ce l’intérêt des Africains d’organiser une CAN tous les quatre ans ? Je crois que c’est plutôt celui des Européens. Ils veulent avoir à disposition les Mohamed Salah, Sadio Mané ou Pierre-Emerick Aubameyang. La FIFA défend l’intérêt des clubs européens. »

Joseph Antoine Bell, légende camerounaise, a comparé cette décision à un affront : « C’est comme si on vous disait, pour ceux qui partent à la messe tous les dimanches, que ce sera désormais tous les mois. Ne plus avoir sa fête chaque deux ans ne peut pas être réjouissant. »

Le journaliste français Gérard Dreyfus a dénoncé une tentative délibérée de marginalisation : « C’est une tentative de réduire la visibilité du football africain, de le rendre plus discret, plus docile, plus compatible avec les agendas européens et les logiques commerciales qui ne profitent qu’à quelques-uns. »

Même au sein de la CAF, cette annonce a suscité la consternation. Une source du département des compétitions de l’instance a confié à l’AFP : « Le comité n’a pas été consulté avant l’annonce de cette décision. Nous avons été surpris parce qu’elle pose des questions d’organisation qui nécessitent des discussions approfondies avant qu’une décision finale puisse être prise. »

Cette double controverse révèle une profonde fracture entre la FIFA et le football africain. Alors que l’instance mondiale prétend défendre l’intérêt du football global, les acteurs africains y voient plutôt une soumission aux exigences des puissants clubs européens. La CAN, compétition phare du continent depuis près de 70 ans, devient ainsi l’otage d’un calendrier international dominé par les intérêts européens. Reste à savoir si les 54 fédérations africaines sauront faire valoir leur poids électoral au sein de la FIFA pour inverser cette tendance et obtenir le respect que mérite leur contribution au football mondial.

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