Le Maghreb connaît depuis plusieurs années une montée en puissance progressive de ses capacités militaires. Longtemps cantonnée à des programmes de modernisation classiques, cette dynamique semble aujourd’hui entrer dans une nouvelle phase, marquée par une recherche accrue de supériorité technologique. Les informations faisant état d’une possible livraison de chasseurs russes de dernière génération à l’Algérie ont ravivé les débats sur l’équilibre stratégique régional. Sans confirmation officielle à ce stade, cette perspective soulève néanmoins une question centrale : assiste-t-on à un simple ajustement défensif ou à un tournant stratégique susceptible de rebattre les cartes au Maghreb ?
Une modernisation militaire inscrite dans la durée
La modernisation des forces armées maghrébines ne constitue pas un phénomène nouveau. Depuis plus d’une décennie, les États de la région investissent massivement dans la défense, notamment dans les domaines de l’aviation de combat, de la défense aérienne et des systèmes de surveillance. Cette évolution s’explique à la fois par la dégradation de l’environnement sécuritaire régional, notamment au Sahel, et par la volonté des États de préserver leur autonomie stratégique.
L’Algérie s’est engagée depuis longtemps dans une politique de renforcement de ses capacités militaires, en s’appuyant sur une doctrine de dissuasion et de protection de son vaste territoire. Cette approche repose sur une armée conventionnelle solide, dotée d’équipements lourds et d’une aviation de combat considérée comme l’une des plus importantes du continent africain. De son côté, le Maroc a également poursuivi une modernisation soutenue de ses forces armées, avec un accent particulier mis sur l’interopérabilité et la coopération avec des partenaires occidentaux.
Ainsi, la dynamique actuelle ne saurait être interprétée comme une rupture brutale, mais plutôt comme l’aboutissement d’une trajectoire déjà engagée. Toutefois, la nature des équipements envisagés semble indiquer un changement qualitatif plus que quantitatif.
Le facteur aérien au cœur des équilibres stratégiques
L’aviation de combat occupe une place centrale dans les équilibres militaires contemporains. Elle constitue non seulement un outil de dissuasion, mais aussi un marqueur de puissance et de crédibilité stratégique. Dans ce contexte, l’éventuelle acquisition par l’Algérie du Sukhoi Su-57, avion de combat de cinquième génération, suscite un intérêt particulier. Plusieurs sources dont Meta-Defense ont évoqué la possible livraison à l’Algérie.
Conçu pour intégrer des capacités avancées de furtivité, de guerre électronique et de supériorité aérienne, le Su-57 représenterait, s’il était effectivement déployé, un saut technologique notable dans la région. Il s’agirait moins d’un simple renforcement numérique que d’un changement de paradigme, traduisant une volonté d’accéder à des technologies de pointe généralement réservées aux grandes puissances militaires.
Face à cette hypothèse, le Maroc s’appuie sur une flotte modernisée de F-16, régulièrement mise à niveau, et intégrée dans une architecture de défense reposant sur des standards occidentaux. Ces appareils, bien que de génération antérieure, demeurent performants et s’inscrivent dans une doctrine axée sur la polyvalence et la coopération internationale.
La comparaison entre ces deux modèles ne se limite pas à leurs caractéristiques techniques. Elle reflète surtout des choix stratégiques distincts, l’un privilégiant l’autonomie technologique et la dissuasion, l’autre misant sur l’intégration et la complémentarité avec des alliés.
Rivalité régionale et logique de dissuasion
Les relations entre Alger et Rabat, marquées par des tensions politiques persistantes, alimentent naturellement les interprétations en termes de rivalité militaire. La question du Sahara occidental, les divergences diplomatiques et la fermeture des frontières terrestres constituent autant de facteurs qui nourrissent la méfiance mutuelle.
Pour autant, l’augmentation des capacités militaires ne doit pas être automatiquement assimilée à une volonté de confrontation. Les doctrines officielles des deux pays mettent en avant la défense du territoire national et la dissuasion, plutôt que la projection offensive. Dans ce cadre, la montée en gamme des équipements vise avant tout à éviter toute vulnérabilité stratégique et à maintenir un équilibre perçu comme crédible.
La dissuasion repose autant sur la réalité des capacités que sur la perception qu’en ont les acteurs régionaux. L’annonce, même non confirmée, de l’acquisition de systèmes de très haut niveau participe ainsi à une forme de communication stratégique, destinée à envoyer des signaux sans franchir le seuil de l’escalade.
Les grandes puissances en toile de fond
Au-delà de la rivalité régionale, les évolutions militaires au Maghreb s’inscrivent dans un contexte international plus large. La région constitue un espace d’intérêt stratégique pour plusieurs grandes puissances, en raison de sa proximité avec l’Europe, de son rôle dans la stabilité méditerranéenne et de son voisinage avec le Sahel.
La Russie, en particulier, cherche à renforcer ses partenariats en Afrique du Nord, notamment à travers la coopération militaire. Une éventuelle livraison d’avions de combat de dernière génération s’inscrirait dans cette logique d’influence, tout en offrant à Moscou une vitrine pour ses capacités industrielles et technologiques.
Les États-Unis et plusieurs pays européens demeurent, quant à eux, des partenaires clés du Maroc, tant sur le plan militaire que sécuritaire. Cette configuration contribue à faire du Maghreb un espace où s’expriment des influences multiples, sans pour autant aboutir à des alignements rigides ou exclusifs.
Il serait toutefois excessif de réduire les choix des États maghrébins à une simple projection des rivalités entre grandes puissances. Les décisions en matière de défense répondent avant tout à des considérations nationales, même si elles s’insèrent dans des équilibres globaux.
Entre stabilité régionale et incertitudes futures
La montée en puissance qualitative des armements au Maghreb pose inévitablement la question de ses conséquences sur la stabilité régionale. Dans un environnement déjà fragilisé par les crises sahéliennes, la lutte contre le terrorisme et les enjeux migratoires, toute évolution des équilibres militaires est observée avec attention.
À court terme, rien n’indique une volonté de rupture ou de confrontation ouverte entre les principaux acteurs régionaux. Les investissements actuels semblent davantage relever d’une logique de précaution stratégique que d’une préparation à un conflit. À moyen terme, en revanche, la sophistication croissante des équipements pourrait accroître la complexité des équilibres et rendre la gestion des crises plus délicate.
Des cartes partiellement rebattues
La perspective d’une course aux armements au Maghreb mérite donc une lecture nuancée. Si les cartes ne sont pas entièrement rebattues, elles sont indéniablement en cours de redistribution. Plus que la quantité d’armes, c’est leur qualité et leur portée symbolique qui modifient les perceptions et les calculs stratégiques.
Le véritable enjeu réside désormais dans la capacité des États de la région à conjuguer modernisation militaire et mécanismes de dialogue, afin d’éviter que la recherche de sécurité ne se transforme en facteur d’instabilité. Dans cette équation délicate, la dissuasion reste un outil, mais elle ne saurait se substituer durablement à la diplomatie et à la coopération régionale.



