Film sur l'émir Abd El-Kader : 20 ans d'attente, Alger relance le projet pharaonique

Figure emblématique de la résistance algérienne du XIXe siècle, l’émir Abd El-Kader a dirigé pendant 17 ans la lutte contre l’invasion française de l’Algérie avant sa reddition en 1847. Au-delà de ses exploits militaires, cet homme d’État et penseur soufi a jeté les bases du premier État algérien moderne et établi des principes humanitaires sur le traitement des prisonniers de guerre, bien avant les conventions de Genève. Emprisonné en France malgré les promesses d’exil en terre arabe, il finira sa vie à Damas où son courage lors du sauvetage de chrétiens persécutés en 1860 lui vaudra une reconnaissance internationale. Aujourd’hui considéré comme le père fondateur de la nation algérienne, son parcours exceptionnel attend depuis des décennies une adaptation cinématographique digne de sa stature.

Le président Abdelmadjid Tebboune a convoqué le 8 décembre 2025 un cercle restreint de hauts responsables pour une réunion consacrée exclusivement au film sur l’émir Abd El-Kader. Cette mobilisation présidentielle témoigne de l’impatience des autorités face aux retards accumulés depuis le lancement initial du projet en 2007. Dix-huit ans plus tard, aucune caméra n’a encore tourné pour ce biopic qui devait rivaliser avec les grandes productions internationales comme Gandhi ou Omar El Mokhtar.

L’établissement public « Al Djazaïri », structure créée spécifiquement en 2021 par décret présidentiel pour produire ce film, multiplie les contacts avec des réalisateurs et scénaristes de renom. Son président-directeur général Saadene Ayadi insiste sur la nécessité de recruter un grand nom du cinéma mondial capable d’assurer une diffusion internationale, constatant que la plupart des films algériens à succès local n’ont jamais bénéficié d’une distribution significative à l’étranger.

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Le projet algérien face aux ambitions cinématographiques internationales

En octobre 2024, Tebboune a ordonné le lancement d’un nouvel appel d’offres international pour la production et la réalisation. Le cahier des charges précise que le film doit conférer à l’œuvre « une dimension universelle » reflétant le parcours de l’émir dans l’édification de l’Algérie contemporaine, son rayonnement international et ses efforts pour la protection des minorités. Le président souhaite ouvrir la voie aux compétences cinématographiques algériennes et mondiales, tout en respectant un cadre strict de vérification historique.

Le ministre de la Culture Zouhir Ballalou a effectué en avril 2025 une visite de travail au siège d’Al Djazaïri, présidant une réunion avec la commission scientifique chargée de vérifier la conformité du scénario avec les faits historiques. Cette commission rassemble des experts et historiens de premier plan. Le ministre a martelé la nécessité du respect strict du calendrier fixé et exigé que le film soit à la hauteur des attentes du peuple algérien, avec une qualité internationale consacrant la grandeur de ce symbole national.

Le scénariste et membre du conseil d’administration Boukhalfa Amazit souligne l’enjeu du film : montrer au monde la véritable image de l’émir Abd El-Kader, et non celle véhiculée dans les références coloniales qui le présentent comme une partie de l’histoire française, dépourvu de son statut de résistant et omettant les souffrances endurées par lui, sa famille et ses proches lors de sa détention en France.

Alger confronté aux délais et à la concurrence française

Plusieurs scénarios ont été approuvés au fil des années, et des budgets conséquents ont été alloués, mais le tournage n’a jamais démarré. En 2013, une autorisation de transfert de 17,56 millions de dollars avait été accordée sur le compte de la société américaine Libre Studio, impliquant l’ancienne ministre de la Culture Khalida Toumi. Cette tentative n’a abouti à rien, ajoutant un chapitre supplémentaire à ce feuilleton bureaucratique.

La France prépare de son côté une série sur l’émir Abd El-Kader produite par Canal+ et scénarisée par Abdel Raouf Dafri, auteur de Mesrine et Un prophète. Ce projet, qui raconterait le duel entre le chef d’État algérien et l’officier français Lucien de Montagnac, risque de devancer l’Algérie dans la représentation de son propre héros national. La série précédente de Dafri, Alger Confidentiel, avait déjà suscité un tollé à Alger.

Parallèlement au projet officiel, le réalisateur algérien Mohamed Yabdri, installé aux États-Unis, a produit de manière indépendante un docu-fiction de 70 minutes sur l’émir. Salim Aggar, chargé de gestion d’Al Djazaïri, a précisé que ce film autofinancé avec un budget dépassant 50 millions de dinars contient des interviews d’experts occidentaux et algériens ainsi que des reconstitutions historiques. La sortie est prévue pour l’automne 2025 en Algérie, suivie d’une projection internationale en 2026. Ce projet indépendant pourrait offrir une première réponse cinématographique en attendant le grand biopic officiel.

Le rêve d’un destin hollywoodien pour l’émir Abd El-Kader demeure entre les mains d’une bureaucratie qui peine à transformer les ambitions présidentielles en réalité cinématographique. Entre les commissions scientifiques, les appels d’offres successifs et les exigences de qualité internationale, le plus grand défi reste peut-être de passer des discours aux actes, avant que d’autres ne racontent cette histoire algérienne.

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