Alors que le monde accélère sa transition vers les technologies propres, l’Afrique se retrouve au cœur d’une compétition géopolitique d’une intensité inédite. Batteries électriques, panneaux solaires, éoliennes, téléphones, ordinateurs, satellites : toutes ces technologies reposent sur des minerais dits « stratégiques » — lithium, cobalt, cuivre, nickel, manganèse, terres rares. Or, le continent africain possède une part considérable de ces ressources, attisant les convoitises des grandes puissances. Entre promesse de développement et risque de nouvelle dépendance, l’Afrique joue désormais un rôle central dans une bataille mondiale qui redéfinit les rapports de force géoéconomiques.
Une richesse minérale convoitée par les puissances mondiales
L’Afrique abrite certaines des plus importantes réserves mondiales de minerais essentiels. La République démocratique du Congo détient plus de 76 % de la production mondiale de cobalt en 2024, un métal indispensable aux batteries lithium-ion. Le Zimbabwe détient 480 000 tonnes de réserves de lithium et a produit 22 000 tonnes en 2024, devenant le quatrième producteur mondial. Le Mali possède également des réserves importantes de lithium, notamment à travers le projet Goulamina qui prévoit une production de 142,3 millions de tonnes d’oxyde de lithium. Le Gabon est l’un des premiers producteurs mondiaux de manganèse. L’Afrique du Sud domine le marché du platine et du chrome. Le Madagascar, le Malawi et la Tanzanie sont riches en terres rares.
Cette concentration de ressources fait du continent un acteur incontournable de la transition énergétique mondiale. Les engagements chinois en Afrique dans le cadre des Nouvelles routes de la soie ont atteint 29,2 milliards de dollars en 2024, en hausse de 34 % par rapport à 2023, avec 17,6 % des investissements concentrés dans le secteur minier. La Chine, l’Union européenne, les États-Unis, l’Inde et plusieurs pays du Golfe cherchent à sécuriser leurs approvisionnements, chacun avec une stratégie différente.
Pour les Africains, cette situation peut être une opportunité sans précédent. Mais elle pose également une question cruciale : l’Afrique sera-t-elle encore une fois cantonnée au rôle de fournisseur de matières premières, ou parviendra-t-elle à maîtriser davantage la chaîne de valeur ?
La stratégie chinoise : un contrôle déjà bien avancé
La Chine est aujourd’hui l’acteur dominant du secteur des minerais stratégiques en Afrique. Pékin a investi massivement dans l’extraction, mais surtout dans le raffinage, le transport et la transformation — des segments à forte valeur ajoutée. Les entreprises chinoises sont responsables du raffinage de 90 % des éléments de terres rares et du graphite, et de 60 à 70 % du lithium et du cobalt. Les entreprises chinoises contrôlent 46 % de l’approvisionnement mondial en cobalt extrait et sont particulièrement présentes en RDC pour le cobalt, au Zimbabwe pour le lithium, en Zambie pour le cuivre.
Les entreprises chinoises ont notamment dépensé environ 4,5 milliards de dollars dans des projets liés au lithium au Zimbabwe, en RDC, au Mali et en Namibie. Au Zimbabwe, plusieurs grands projets sont contrôlés par des groupes chinois, dont Sinomine Resource Group qui a acquis la mine de Bikita pour 180 millions de dollars, et Zhejiang Huayou Cobalt qui a acheté la mine Arcadia près de Harare.
La force de la stratégie chinoise réside dans son approche intégrée : infrastructures, financement, partenariats publics-privés, industrialisation et diplomatie économique. Cette présence, bien que source d’investissements et de recettes fiscales pour les pays africains, suscite également des critiques concernant la transparence des contrats, les conditions de travail et la dépendance croissante.
La réponse des États-Unis et de l’Europe : sécuriser les chaînes d’approvisionnement
Conscients de leur retard, les États-Unis et l’Union européenne ont lancé plusieurs initiatives pour réduire leur dépendance envers la Chine. L’administration américaine a engagé plus de 4 milliards de dollars d’investissements dans le corridor de Lobito, une infrastructure ferroviaire stratégique reliant l’Angola, la RDC et la Zambie pour faciliter l’exportation de minerais vers l’Atlantique. Le président Biden a annoncé 560 millions de dollars supplémentaires lors de sa visite en Angola en décembre 2024, portant les engagements internationaux totaux à plus de 6 milliards de dollars.
L’Union européenne, de son côté, a mis en place la stratégie Global Gateway qui vise à mobiliser 150 milliards d’euros pour l’Afrique d’ici 2030, ainsi que le Critical Raw Materials Act, entré en vigueur le 23 mai 2024. Cette législation vise à garantir que d’ici 2030, au moins 10 % de la consommation annuelle de l’UE provienne de l’extraction européenne, 40 % de la transformation et 25 % du recyclage, tout en s’assurant que pas plus de 65 % de l’approvisionnement en matières premières stratégiques ne provienne d’un seul pays tiers.
L’Europe tente de proposer une alternative plus transparente et plus durable aux partenariats chinois, en insistant sur l’environnement, la gouvernance et le partage équitable des bénéfices. Pour les pays africains, cette concurrence entre grandes puissances peut représenter une opportunité de négocier de meilleures conditions, si elle est gérée avec intelligence.
Les défis internes : gouvernance, environnement et redistribution
Malgré les richesses minérales considérables, les populations africaines ont souvent tiré peu de bénéfices de l’exploitation des ressources naturelles. Le risque de voir se reproduire les erreurs du passé — extraction sans transformation locale, corruption, pollution, conflits — est réel. Plusieurs défis majeurs persistent :
1. La gouvernance et la transparence
La gestion des contrats miniers demeure un point sensible. Dans certains pays, le manque de contrôle parlementaire, la faiblesse institutionnelle ou les accords négociés dans l’opacité font perdre des milliards de dollars de recettes potentielles.
2. L’environnement et les communautés locales
L’exploitation du cobalt ou du lithium peut provoquer des dégâts importants : pollution des sols, contamination de l’eau, destruction d’écosystèmes, déplacements de populations. Les normes environnementales restent souvent insuffisantes ou mal appliquées.
3. La faible industrialisation
La plupart des pays africains se limitent encore à l’exportation à l’état brut des minerais. Or la véritable valeur se situe dans la transformation : batteries, composants électroniques, alliages industriels. Sans montée en compétences, l’Afrique restera dépendante des fluctuations des prix mondiaux et continuera d’exporter sa richesse à bas coût.
Une opportunité pour industrialiser le continent
Pourtant, le contexte actuel offre une fenêtre historique. La demande mondiale pour les minerais stratégiques devrait exploser dans les vingt prochaines années. Si les pays africains adoptent des stratégies cohérentes, ils peuvent devenir des pôles industriels majeurs dans plusieurs secteurs :
1. Fabrication de batteries et stockage énergétique
La RDC et la Zambie ont annoncé en 2021 un projet commun pour fabriquer des batteries de véhicules électriques, qui sera installé dans une zone franche de 2 000 hectares à la frontière entre les deux pays. Le Maroc ou l’Afrique du Sud pourraient également attirer des investissements pour produire des batteries destinées aux véhicules électriques.
2. Usines de raffinage locales
Au lieu d’envoyer le lithium ou le cobalt brut en Asie, plusieurs pays envisagent de développer leurs propres usines de traitement. Le Zimbabwe a ordonné aux producteurs de lithium de soumettre leurs plans de bénéficiation avant mars 2024, stipulant qu’aucun nouveau permis ne serait accordé sans plan de transformation locale approuvé.
3. Développement de zones économiques dédiées
La RDC a établi une zone économique spéciale pilote à Maluku, couvrant 244 hectares et offrant des avantages fiscaux aux investisseurs, avec une exonération fiscale de cinq à dix ans. Ces zones permettraient d’attirer des entreprises technologiques, de créer des emplois et de stimuler les exportations.
4. Partenariats régionaux
Une approche intégrée — par exemple une alliance des pays producteurs de cobalt ou de lithium — renforcerait la capacité de négociation du continent.
Vers une nouvelle « guerre froide » des ressources ?
La bataille mondiale des minerais stratégiques s’inscrit dans un contexte de rivalité géopolitique croissante. La transition énergétique nécessite des volumes gigantesques de métaux critiques. Chaque grande puissance veut garantir sa souveraineté technologique, ce qui risque d’exacerber les tensions.
L’Afrique, centre de gravité de ces ressources, se retrouve dans une position paradoxale : elle est convoitée, mais doit éviter d’être instrumentalisée. Le défi pour les dirigeants africains sera de naviguer dans ce paysage complexe sans perdre leur souveraineté économique.
Certains analystes évoquent même le risque d’une nouvelle forme de dépendance : non plus pétrolière, mais minérale. Les pays africains doivent donc tirer les leçons du passé et imposer des conditions qui favorisent un développement durable et équitable, tout en préservant leurs intérêts stratégiques à long terme.



