Nucléaire : pourquoi le projet de Bill Gates inquiète

L’annonce est tombée comme une victoire pour l’industrie américaine : la Commission de réglementation nucléaire (NRC) a finalisé son évaluation de sûreté du réacteur expérimental Natrium, ouvrant la voie à la construction de l’unité prévue dans le Wyoming. Pourtant, derrière cette accélération administrative, des voix de plus en plus fortes dénoncent une dérive dangereuse. Des experts en sûreté voient dans la rapidité du processus un signal d’alarme, estimant que les garde-fous essentiels n’ont pas été pleinement respectés.

TerraPower et les choix techniques américains qui divisent

TerraPower, entreprise cofondée par Bill Gates, s’est imposée comme l’un des porte-étendard de la nouvelle génération de réacteurs nucléaires. Le projet Natrium bénéficie d’un soutien massif : jusqu’à 2 milliards de dollars de financement partagé avec le département américain de l’Énergie. Le réacteur, présenté comme un petit module de 345 MW refroidi au sodium, est conçu pour fonctionner avec des dispositifs dits passifs censés empêcher les défaillances graves. Certains spécialistes estiment toutefois que ces systèmes pourraient, dans certaines situations, aggraver la propagation d’un accident plutôt que l’atténuer. Cette architecture particulière a nourri des interrogations depuis ses débuts, mais les inquiétudes se sont accentuées avec l’évolution du cadre réglementaire.

Ce qui trouble le plus les experts est la décision de la NRC d’avaliser une conception dépourvue d’une enceinte de confinement classique. L’organisme évoque un “confinement fonctionnel”, mais reconnaît ne pas être en mesure d’affirmer que ce dispositif pourra jouer pleinement son rôle. Sans structure physique dédiée pour retenir les rejets radioactifs en cas d’incident sévère, certains scientifiques redoutent que la moindre défaillance technique devienne difficile à maîtriser. Le recours au sodium liquide comme fluide caloporteur nourrit également les critiques : cette substance peut s’enflammer au contact de l’air ou de l’eau, une caractéristique qui réactive des inquiétudes déjà observées dans d’anciens projets de réacteurs de quatrième génération.

Pressions politiques et bataille autour de la sûreté nucléaire aux États-Unis

L’autre élément qui alimente la polémique est la vitesse à laquelle le dossier a été traité. La demande de permis déposée en mars 2024 devait initialement faire l’objet d’un examen de plusieurs années. Pourtant, sous l’impulsion d’un décret du président Donald Trump imposant un délai maximal de 18 mois, l’étude a été bouclée beaucoup plus rapidement que prévu. Pour Edwin Lyman, spécialiste de l’Union of Concerned Scientists, cette précipitation s’apparente à un abandon des principes fondamentaux de protection des populations rapporte Common Dreams. Selon lui, certaines analyses techniques auraient été repoussées à une phase ultérieure, alors que leur résolution est indispensable avant toute construction.

Lyman avertit que le personnel de la NRC n’a pas eu le temps matériel d’examiner en profondeur les questions les plus sensibles. Il souligne que le réacteur, en cas d’emballement de puissance, pourrait connaître une montée rapide de température susceptible d’endommager un combustible déjà extrêmement radioactif. Il estime également que reporter l’étude de certaines failles à l’étape de l’autorisation d’exploitation reviendrait à placer la gestion des risques dans une zone d’incertitude où les corrections seraient difficiles, voire impossibles, à mettre en œuvre.

Une avancée technique… et un débat loin d’être clos

L’approbation du Natrium ouvre un nouveau chapitre pour l’industrie nucléaire américaine. Les autorités affirment que le projet respecte les normes de sûreté actuelles et représente une évolution nécessaire vers des installations plus flexibles. Pourtant, les réserves exprimées par des spécialistes de premier plan montrent que la discussion dépasse largement le cadre technologique. Elle touche à la manière dont un pays arbitre entre innovation rapide, sécurité publique et exigences politiques.

Laisser un commentaire