La sortie est rare, le ton sans détour. En s’attaquant frontalement aux pratiques qu’il qualifie de criminelles dans le secteur pétrolier nigérian, Aliko Dangote a choisi de briser un silence longtemps entretenu autour de ce qu’il considère comme l’un des principaux freins au développement économique du Nigeria. Pour l’homme d’affaires, la menace ne vient pas uniquement des contraintes techniques ou financières liées à l’industrie pétrolière, mais d’un système parallèle, organisé et profondément enraciné, qu’il n’hésite pas à comparer — et à juger plus dangereux — que les réseaux de trafic de drogue.
Cette déclaration, faite lors d’une conférence de presse, dépasse la simple dénonciation personnelle. Elle met en lumière des dysfonctionnements précis, des pertes chiffrées et des tensions persistantes entre investisseurs privés, structures publiques et régulateurs, dans un secteur stratégique pour la première économie d’Afrique.
Aliko Dangote, une figure centrale de l’économie africaine
À la tête du groupe Dangote, présent dans le ciment, le sucre, les engrais et l’énergie, Aliko Dangote s’est imposé depuis plus de deux décennies comme l’industriel le plus influent du continent. Sa trajectoire est souvent citée comme l’exemple d’un capitalisme africain capable de transformer des marchés dominés par l’importation en pôles de production locale. Son projet de raffinerie de pétrole, estimé à près de 20 milliards de dollars, incarne cette ambition : réduire la dépendance du Nigeria aux produits pétroliers raffinés importés et repositionner le pays comme un acteur industriel à part entière.
C’est précisément ce projet, présenté comme un tournant pour l’économie nigériane, qui sert aujourd’hui de révélateur aux résistances internes du secteur. Les difficultés rencontrées depuis son lancement ont progressivement poussé Dangote à rendre publiques des pratiques qu’il dit combattre depuis plusieurs années.
Nigeria, secteur pétrolier et régulation sous tension
Au cœur des critiques formulées par le milliardaire figure la Nigerian Midstream and Downstream Petroleum Regulatory Authority, l’organisme chargé de la régulation du secteur pétrolier en aval et en milieu de chaîne. Dangote dénonce un environnement marqué par la corruption, des décisions administratives lourdes et des relations qu’il qualifie de particulièrement conflictuelles entre régulateurs, distributeurs et investisseurs.
Selon lui, ces tensions ne relèvent pas de simples désaccords techniques. Elles se traduisent par des obstacles concrets à l’exploitation des infrastructures, des retards coûteux et une pression financière permanente sur les opérateurs. Il a même exprimé, sur un ton volontairement provocateur, le souhait que certains de ses interlocuteurs institutionnels subissent les mêmes pertes financières que celles endurées par sa raffinerie, afin de mesurer l’ampleur des dommages causés.
Mafia pétrolière, sabotages et pertes financières au Nigeria
L’élément le plus marquant de son intervention reste toutefois sa description de ce qu’il appelle la « mafia pétrolière ». Pour Dangote, ces réseaux dépassent en nocivité les cartels de la drogue rapporte Legit, non pas par la violence visible, mais par leur capacité à infiltrer de nombreux niveaux de décision et d’exécution. Il souligne que, contrairement aux trafiquants de drogue qui se connaissent et opèrent dans des cercles relativement identifiables, les acteurs de ces réseaux pétroliers impliqueraient un nombre beaucoup plus large d’intervenants, souvent dissimulés derrière des fonctions légales.
Les conséquences sont, selon lui, mesurables. Dangote affirme que la raffinerie qu’il a construite a subi des vols et des sabotages répétés, entraînant des pertes estimées à plusieurs dizaines de millions de dollars en équipements. Il évoque notamment des actes ciblés, comme le retrait intentionnel de pièces essentielles sur des installations industrielles majeures, rendant leur fonctionnement impossible.
Ces pratiques ne toucheraient pas uniquement les infrastructures privées. Le magnat nigérian a rappelé que les raffineries appartenant à l’État ont elles aussi été victimes de sabotages à répétition, contribuant à leur mise à l’arrêt prolongée. Il a rapporté que l’ancien dirigeant de la Nigerian National Petroleum Company Limited, Mele Kyari, lui aurait décrit des dizaines d’actes de sabotage ayant visé la raffinerie de Port Harcourt, empêchant sa réhabilitation effective.
Face à cette situation, Dangote explique avoir été contraint de renforcer massivement la sécurité de son site industriel, au point d’y employer davantage d’agents de sécurité que d’ouvriers. Une décision lourde de sens, qui illustre, selon lui, le niveau de menace auquel sont confrontés les investissements industriels dans le secteur pétrolier nigérian.
