Pendant longtemps, le tourisme maghrébin a avancé par cycles irréguliers, alternant périodes d’euphorie et phases de repli brutal. Aujourd’hui, un pays de la région revendique un cap jamais atteint auparavant, un chiffre qui marque un tournant et relance le débat sur la capacité du Maghreb à transformer ses atouts touristiques en moteur durable de croissance. Derrière cette annonce, des choix stratégiques, des ajustements structurels et une volonté affichée de changer de méthode.
Une trajectoire maghrébine faite de rebonds et de ruptures
Le tourisme au Maghreb s’est imposé dès les années 1990 comme un pilier économique, porté par la proximité de l’Europe, un climat attractif et un patrimoine culturel dense. Le Maroc, la Tunisie et, dans une moindre mesure, l’Algérie ont bâti leur notoriété sur le balnéaire, les circuits culturels et les villes historiques. Cette dynamique a toutefois montré ses limites face aux chocs successifs : instabilité sécuritaire dans certaines zones, crises économiques mondiales, puis arrêt quasi total des flux pendant la pandémie de Covid-19.
La reprise observée à partir de 2022 a été progressive, parfois inégale selon les pays. Certains marchés ont misé sur la relance du tourisme intérieur, d’autres sur la reconquête de clientèles européennes ou africaines. Cette phase de redémarrage a également révélé une exigence nouvelle : celle de dépasser le simple retour aux chiffres d’avant-crise pour repenser l’offre, la gouvernance et l’expérience touristique. C’est dans ce paysage mouvant qu’un pays du Maghreb affirme avoir franchi un seuil symbolique inédit.
Un record d’onze millions de visiteurs
L’annonce a été faite par Sofiane Tekaya, ministre tunisien du Tourisme, à l’occasion d’un événement organisé par Office national tunisien du tourisme. Selon les autorités, la Tunisie aurait atteint, pour la première fois de son histoire, la barre des onze millions de touristes, avec une projection consolidée à l’horizon de la fin de l’année 2025 rapporte Xinhua.
Ce chiffre ne se résume pas à une performance statistique. Il est présenté comme le résultat d’un repositionnement du secteur, pensé à la fois sur le volume et sur la qualité de l’offre. Les responsables tunisiens insistent sur la diversification des produits proposés, combinant stations balnéaires, tourisme culturel, désertique et urbain, tout en cherchant à mieux répartir les flux sur l’ensemble du territoire.
La Tunisie met également en avant sa présence dans plusieurs classements internationaux, utilisés comme indicateurs de crédibilité et de visibilité. Ces références servent d’arguments pour rassurer les partenaires, attirer les investisseurs et renforcer la confiance des tour-opérateurs. L’objectif affiché reste clair : faire du tourisme un secteur capable d’entraîner d’autres activités économiques, notamment l’artisanat, les transports et les services.
Digitalisation et stratégie touristique tunisienne
Un autre axe mis en avant concerne la modernisation des outils de promotion et de gestion. Les autorités tunisiennes annoncent le lancement d’une campagne reposant sur la digitalisation et l’intelligence artificielle. Cette orientation vise à améliorer la gouvernance du secteur, fluidifier les parcours des visiteurs et adapter l’offre aux attentes exprimées sur les plateformes numériques.
Concrètement, cette approche pourrait permettre une meilleure personnalisation de l’expérience touristique, une optimisation de la communication à l’international et une exploitation plus fine des données liées aux flux de visiteurs. Elle répond aussi à une réalité concurrentielle : dans le bassin méditerranéen, les destinations se livrent une compétition intense, où la visibilité en ligne et la capacité à capter l’attention jouent un rôle déterminant.
Les responsables tunisiens présentent cette transformation comme un levier pour renforcer l’attractivité du pays, mais aussi pour améliorer l’efficacité administrative du secteur. La simplification des démarches, la coordination entre acteurs publics et privés et l’usage d’outils numériques sont évoqués comme des facteurs clés de performance.
Un seuil symbolique aux implications immédiates
Atteindre un tel niveau de fréquentation place la Tunisie dans une position particulière au sein du Maghreb. Ce résultat intervient alors que plusieurs pays de la région cherchent encore à stabiliser leur reprise touristique. Il souligne aussi l’importance du tourisme intérieur, mis en avant comme un amortisseur face aux aléas internationaux.
Cette performance pose néanmoins des défis immédiats. La gestion des flux, la pression sur les infrastructures et la préservation des sites touristiques deviennent des enjeux centraux. Le secteur est confronté à la nécessité de concilier croissance et durabilité, sans sacrifier la qualité de l’accueil ni l’équilibre social et environnemental.
Pour les autorités, l’enjeu consiste désormais à consolider ces acquis. Le seuil atteint ne constitue pas une fin en soi, mais un point d’appui pour structurer un modèle plus résilient. Les choix opérés dans les mois à venir, notamment en matière d’investissement, de formation et de gouvernance, détermineront la capacité du pays à maintenir cette dynamique.
Un signal fort pour la région
Au-delà des frontières tunisiennes, cette annonce résonne comme un signal pour l’ensemble du Maghreb. Elle rappelle que le tourisme reste un levier stratégique, à condition d’être repensé et adapté aux mutations actuelles. Les pays voisins observent attentivement cette trajectoire, entre inspiration et prudence.
Si les chiffres avancés se confirment durablement, la Tunisie pourrait renforcer son rôle de référence régionale en matière de relance touristique. Cette évolution illustre surtout une réalité partagée : dans un environnement incertain, le tourisme maghrébin ne peut plus se contenter de ses acquis. Il doit innover, se réorganiser et répondre à des attentes de plus en plus exigeantes.



